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Moyen Orient et Monde - Reportage

« Je n’arrivais plus à raisonner tellement j’avais peur »

À Raqqa, « l'enfer » des Syriens fuyant l'EI.

Des civils fuyant la zone de l’Euphrate, à l’est de Raqqa, se dirigent à bord de pick-up vers des régions contrôlées par les Forces démocratiques syriennes (FDS), le 30 mars 2017, en Syrie. Rodi Said/Reuters

Dans un camp de déplacés au nord de Raqqa, des Syriens ayant fui ce fief du groupe État islamique (EI) gardent encore un souvenir vif de la peur régnant dans la ville que les jihadistes désertent progressivement.
La semaine dernière, quelques centaines de civils sont parvenus à quitter la « capitale » de l'EI en Syrie – but ultime d'une vaste offensive soutenue par Washington – et se sont réfugiés à Aïn Issa, localité à 50 km plus au nord sous le contrôle des forces antijihadistes. La plupart de ces habitants ont fui à la suite de rumeurs concernant la solidité du barrage de Tabqa, le plus grand de Syrie et situé à 55 km à l'ouest de Raqqa. Ce dernier menacerait de céder en raison de violents combats dans la zone depuis une dizaine de jours entre l'EI et les Forces démocratiques syriennes (FDS), alliance arabo-kurde appuyée par la coalition internationale.
« La Hisba (police de l'EI) déclarait par haut-parleurs : La terre des musulmans va être inondée, le barrage de Tabqa s'est effondré », raconte Mohammad Mahmoud, 38 ans, qui a fui la ville avec sa famille et celles de ses frères en payant 1 000 dollars à un passeur. « Je n'arrivais plus à raisonner tellement j'avais peur », explique-t-il. Les vêtements empoussiérés, le visage marqué par l'épuisement, Mohammad pousse sa mère septuagénaire sur une chaise roulante aux roues boueuses, témoin du long trajet à pied de 14 heures. « Là-bas, c'est l'enfer. La peur règne, et il y a des raids aériens » de la coalition sous commandement américain, témoigne Mohammad en évoquant sa ville, aux mains de l'EI depuis 2014. Il tire sur une cigarette avec délectation, comme une revanche sur l'interdiction de fumer en vigueur dans les territoires sous contrôle de l'EI en Irak et en Syrie. « L'EI est fini, la plupart de ses membres ont fui vers Mayadine et Boukamal » dans la province de Deir ez-Zzor (Est) en majorité contrôlée par l'organisation ultraradicale, affirme-t-il. Il se souvient des jihadistes promettant de revenir « combattre les Kurdes et les Américains », traitant les habitants de « lâches qui n'ont pas fait le jihad ».

« N'allez pas chez les infidèles ! »
Dans le camp qui accueille actuellement plus de 2 000 familles déplacées, dont 400 de Raqqa, des enfants se promènent avec des sandwichs et des bouteilles d'eau à la main, après un périple marqué par la faim et la soif. À l'intérieur de tentes frappées du sigle du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR), des hommes attendent leur tour pour se faire raser la barbe. Ceux qui terminent se dévisagent dans un miroir, un rien surpris.
À l'entrée du camp, une file de déplacés sont fouillés par les Assayech, la police kurde. En fuyant Raqqa, « nous avions terriblement peur des bombardements aériens, que (la coalition) nous prenne pour des combattants de l'EI », assure Ahmad, la cinquantaine. En revanche, « on n'avait plus peur de fuir Raqqa comme avant car les combattants de l'EI sont de moins en moins visibles », dit cet homme, entouré de six enfants assis sur des valises. Les jihadistes « ont abandonné la plupart des barrages, ils ont construit des tunnels autour de la ville et installé des sacs de sable à l'intérieur » pour défendre leurs positions, poursuit Ahmad. « Daech craint une attaque contre Raqqa », renchérit de son côté Zouheir, utilisant un acronyme en arabe de l'EI. Beaucoup de ses combattants ont fui avec leurs familles à bord de motos ».
Alors que les jihadistes eux-mêmes fuyaient la ville, « ils disaient aux habitants : N'allez pas chez les infidèles ! » ironise Zouheir, qui utilise un pseudonyme car ses proches se trouvent encore à Raqqa. Vendeur de tabac, une activité interdite par l'EI, ce jeune homme de 25 ans dit avoir été emprisonné et flagellé à plusieurs reprises. « Mais si je n'avais pas pris ce risque, je n'aurais pas nourri ma famille », explique-t-il, assis près de sa fille d'un an, Qamar. Il s'interrompt en se souvenant de ses proches restés bloqués dans la ville de 300 000 habitants. « Je ne sais rien d'eux », dit-il, les yeux embués de larmes.
L'EI cherche à freiner l'avancée des FDS qui encerclent progressivement Tabqa, l'un des principaux verrous sur le chemin de Raqqa. Depuis le 21 mars, les combats ont tué 110 civils et 68 jihadistes à Tabqa et ses environs, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH).
« Plus l'étau se resserre, plus on recevra des déplacés », soulève Jilal al-Ayyaf, le gérant du camp.

Delil SOULEIMAN/AFP

Dans un camp de déplacés au nord de Raqqa, des Syriens ayant fui ce fief du groupe État islamique (EI) gardent encore un souvenir vif de la peur régnant dans la ville que les jihadistes désertent progressivement.La semaine dernière, quelques centaines de civils sont parvenus à quitter la « capitale » de l'EI en Syrie – but ultime d'une vaste offensive soutenue par Washington – et...

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