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Culture - Portrait

Vladimir Kurumilian, c’est peut-être un détail pour vous...

Pianiste fantasque doublé d'un architecte hors cadre, Vladimir Kurumilian invente une musique stupéfiante de poésie qui se balance sur le fil ténu de l'improvisation. Il présente ce soir son concert « Ana bahlam bik – Je rêve de toi » * à Paris.

Vladimir Kurumilian.

Un tatouage en forme de croissant de lune lui fait l'avant-bras stellaire. Et il ne manquait que cela pour confirmer une première impression : Vladimir Kurumilian est d'ailleurs. À défaut d'être autre part, exilé sur sa planète ou dans son propre espace-temps. Ce n'est pas sa beauté d'une étrangeté déconcertante ou ses yeux, harpons prêts à s'apparier aux étoiles sous la tonnelle de ses sourcils ailés, qui contrediraient cette hypothèse. Encore moins sa curieuse façon de répondre, ou de ne pas répondre, continuant sur sa lancée, sans s'interrompre, partant loin et revenant doucement comme prennent pied les astronautes. Pourtant, à mesure que le garçon déroule son propos articulé et bien rodé, on a l'impression que la banquise calme se desquame, que ça turbine, que ça usine en dessous. C'est qu'il est en ce moment sur plusieurs fronts, presque une habitude pour ce jeune homme de 27 ans, aux appétences de couteau suisse, que tout passionne. Entre la musique et l'architecture, entre son piano qui l'expulse vers d'autres galaxies et ses croquis qui lui clouent les chimères, entre les racines et les ailes, l'artiste n'a pas envie de choisir.

 

Chercher la fêlure
Hyperactif depuis l'enfance, il a toujours su où il allait. Dans la maison familiale, la musique éclaire les journées. Le papa est accordéoniste et architecte d'intérieur, et, naturellement, il inculque très tôt à son fils la fibre stakhanoviste de ces deux disciplines. Kurumilian s'en souvient ainsi : « Mon père a été aussi mon mentor. Il me faisait jongler entre musique et dessin, sans arrêt, c'était essentiel à ses yeux. » Excellent élève, multitalents au berceau, le gamin modèle et modelé se révèle comme un surdoué harmonieux auquel le conservatoire tend les bras. À propos de cette expérience au cours de laquelle il pianote avec acharnement et sans essoufflement aucun, il dit avec lucidité : « Le conservatoire, c'est la technique. Mais au bout de 15 ans d'examens, de rigueur et de dureté, j'ai eu besoin de passer à autre chose. À de la liberté surtout, d'où ce virage à l'improvisation. »

L'enfant prodige se lasse donc de ces journées de jongleur d'ébènes et d'ivoires, plusieurs heures au clavier, de cette atmosphère peu douillette où la notion de limites semble étrangler toute spontanéité. Pour patauger à nouveau dans la gadoue du réel, rien de tel que de se lancer dans l'improvisation. « Oui, je pense avoir fait une contre-réaction à ces années où l'erreur n'est pas admise. Aujourd'hui, par contre, je recherche les accidents dans ma musique et j'en affectionne les fêlures »,
admet le musicien.

 

(Lire aussi : Simon Ghraichy, Liszt et les Amériques)

 

« Je pars où j'ai envie »
À partir de 2009, en improvisateur foutraque et inventeur frénétique qui maîtrise son instrument en s'y risquant au chamboule-tout, Vladimir Kurumilian donne une série de concerts d'impro au piano dont Quand le rythme devient obsessionnel en 2009 et A piano in my Pillow en 2012, où il travaille avec Alaa Minawi, un designer de lumière. Il explique la genèse de projets pareils : « L'ambiance et la mise en scène autour desquelles je brode mes prestations sont ce qui donne le ton. La suite n'est que spontanéité, même s'il faut de la discipline et du flair surtout pour savoir gérer mon temps sur scène. ». Et de rajouter : « Voilà pourquoi ce que je fais se rapproche le plus d'une improvisation disciplinée. »

Sur scène, le pianiste disparaît donc sur une voie incertaine que creusent ses doigts en temps réel. Il dit : « Je me déconnecte, je pars où j'ai envie », et pourtant, le public le suit alors qu'il bascule l'anse de ses hasards au bras de ses notes indomptées. Puis, quand il atterrit de ce vol plané où se trimbalent ses fantaisies colorées, le musicien enfile sa tenue d'architecte en refusant catégoriquement de forcer des parentés artificielles entre les deux pans de sa vie : « Je me suis demandé pourquoi faut-il absolument créer des liens entre les deux disciplines auxquelles je touche. Ces deux choses s'irriguent sans se croiser. »

 

Dormir partout
L'ancien de la fondation Starch, cuvée 2016, poursuit : « Je travaille par phase, par projet, par état d'âme. À l'époque de Starch, par exemple, c'est l'architecture qui prenait quasiment tout l'espace. En ce moment, je me repenche sur ma musique. C'est cyclique et c'est grâce à Starch que j'ai compris qu'il fallait accorder un temps distinct à chacune des deux. » Aujourd'hui, même s'il s'évite la compulsion des projets bouche-trous, il reconnaît à l'architecture cette capacité à l'amarrer, à lui tracer des bornes, lui qui affectionne tant les errances en roue libre. « J'aime bien le fait que l'architecture impose ses limites de par le projet, le client. Alors qu'en musique, et dans l'impro en l'occurrence, je dois me créer mes propres contraintes. »

C'est le cas de son concert parisien qui aura lieu ce soir au Studio 30 et sera une sorte de prélude à son prochain (et premier) album studio dont les 7 morceaux relateront 7 chapitres d'une histoire d'amour. « Ça s'appelle Ana bahlam bik comme un avant-goût de mon disque où je reprends Batwannes bik sur l'un des titres. Le concert d'improvisation se développera autour de cette reprise », conclut-il avant de filer vers son vol de nuit. « Ça me permettra de dormir un peu, je dors partout ! »
En somme, rien de surprenant pour cet idéaliste patenté qui voudrait s'engager pour une cause, celle de « l'amour gay », et qui partage l'ADN lunaire de son idole Björk. Qui dort (ou qui joue du piano) debout rêve éveillé.

* « Ana bahlam bik » – Je rêve de toi, Vladimir Kurumilian en concert de musique improvisée au piano. Jeudi 9 mars 2017 à 20 heures au Studio 30, 35 rue des Annelets, 75019 Paris.

 

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