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Culture - Art visuel

« La loi de l’Existence »... d’un trafiquant de drogue devenu chèvre zébrée

Les Twin Galleries du musée Sursock accueillent deux vidéos signées Maha Maamoun, une artiste des bords du Nil qui explore dans ses œuvres l'esprit égyptien, notamment à l'aune de sa poussée révolutionnaire.

«  Dear Animal  », une vidéo à l’humour corrosif mêlant images documentaires et scènes de fiction. Photo DR

Qui a-t-il de commun entre une chèvre zébrée et un trafiquant de drogue ? Entre ce même animal hybride et une activiste engagée dans la révolution égyptienne ? Rien, a priori, sinon d'être les protagonistes de Dear Animal, une vidéo de 25 minutes signée Maha Maamoun.
Un décalage apparent, une ambiguïté voulue qui sont, semble-t-il, la marque de fabrique de cette artiste basée au Caire et qui manifeste dans toutes ses œuvres « un intérêt porté à la circulation, à la consommation et à la fonction des images », indique Nora Razian, responsable des expositions au musée Sursock.

L'art est une manière de voir le monde, dit-on. Celui de Maha Maamoun réside surtout dans sa manière de voir l'Égypte contemporaine. De scruter en profondeur tout ce qui constitue sa culture vernaculaire – littérature, cinéma, imagerie et photographie – pour la reconfigurer en œuvres visuelles, faites d'un mélange de témoignage subversif, de dérision cocasse et de réflexion philosophico-existentielle.

 

« Cher animal »
Dans Dear Animal (2016), justement, elle entrelace des images inspirées de deux ensembles de textes totalement différents. D'une part, une sélection de lettres au ton personnel, signées le dauphin et écrites par Azza Shaaban, une réalisatrice-productrice qui s'était impliquée dans la révolution de janvier 2011 avant de se réfugier en Inde pour panser ses blessures morales et psychologiques. Et, d'autre part, un récit surréaliste de l'écrivain égyptien Haytham el-Wardany sur le thème d'un trafiquant de drogue qui se transforme en animal étrange.

« En 2013 et 2014, au cours de ces années qui ont suivi la révolution égyptienne, j'ai observé une augmentation de l'apparition des animaux dans les récits des personnes autour de moi. On retrouvait l'analogie animalière aussi bien dans les écrits fictifs que les articles de presse, dans les médias, les talk-shows à la télé... Je me suis demandé si l'utilisation croissante de ces métaphores était due à l'ambiguïté, à l'indétermination de cette période. De là est née l'idée de ce film », explique l'artiste, présente à Beyrouth lors du vernissage.

Entrecroisant donc le fait et le mythe, les images documentaires et les scènes de fiction, cette vidéo à l'humour corrosif et aux différentes strates de lecture offre une méditation sur les relations entre l'homme et l'animal. Mais aussi sur « notre rapport à la violence et à l'inconnu », signale Nora Razian dans la préface du livret accompagnant cette première exposition individuelle de la photographe et vidéaste égyptienne au Liban intitulée La loi de l'existence.

Née en 1972 en Californie, Maha Maamoun a grandi au Caire. Après des études d'histoire et d'économie, elle se tourne vers l'art visuel avec l'obsession d'explorer, à travers ses œuvres, les composantes et paradoxes de cette mégalopole dans laquelle elle vit. Ainsi, depuis une dizaine d'années, cette Égyptienne au teint de porcelaine darde son regard bleu aiguisé sur tout ce qui l'entoure pour nourrir son travail d'images réelles et de fabulations allégoriques. L'ensemble servant à tracer le portrait alternatif du Caire et de ses habitants. Sans doute dans une recherche assidue de ce qui constitue l'esprit égyptien.

 

(Lire aussi : Un nouvel alphabet s'étale sur les murs de Beyrouth)

 

Les visiteurs de la nuit
Moins insolite et finalement moins accrocheuse, la seconde œuvre de l'artiste présentée dans les Twin Galleries du musée Sursock revisite la révolution égyptienne à partir d'une compilation d'images de téléphonie mobile collectées des réseaux sociaux et autres YouTube. Le film qu'elle en tire, intitulé Night Visitors : the Night of Counting Years, 2011 (qui fait référence au film de 1969 de Chadi Abdel Salam du même nom, plus connu sous son sous-titre de al-Mummia), offre à voir, au moyen de séquences tremblantes et pixelisées, l'entrée par effraction de manifestants égyptiens dans les bâtiments de la Sécurité de l'État au Caire. Des images qui conduisent le spectateur à travers les pièces obscures de ces bâtiments jadis impénétrables, depuis les geôles et lieux de torture aux murs maculés de sang, jusqu'aux bureaux tout en dorures des fonctionnaires reliés par téléphones directs avec le président. Des images qui font implicitement référence « aux visiteurs de la nuit, surnom donné aux agents de répression de l'État dont l'une des méthodes préférées était l'incursion nocturne aux domiciles des opposants au régime », souligne l'artiste. Une vidéo qui s'articule, elle aussi, autour d'une réflexion sur la nature humaine en période de troubles.

En somme, en faisant des interventions et des juxtapositions inhabituelles dans l'image qu'elle capture ou emprunte de diverses sources, Maha Maamoun offre une perception nouvelle des représentations familières. Jouant de l'absurde et de l'humour noir, ses deux œuvres, « issues de la même période de mutation », donnent à réfléchir sur les multiples aspects du pouvoir de l'État dans l'Égypte contemporaine et leur interférence dans la sphère la plus intime de la vie de ses citoyens.
Jusqu'au 12 juin.

Maha Maamoun : carte de visite
Le travail photographique et vidéo de Maha Maamoun a été présenté dans de nombreuses institutions muséales, dont le Centre Pompidou à Paris, la Tate Modern à Londres, le MoMA à New York, le Mathaf à Doha, le Mori Art Museum à Tokyo, le Witte de With à Rotterdam, ainsi que le Beyrouth Art Center, la Biennale de Charjah et la 64e Berlinale.
En plus de sa pratique artistique, elle est membre fondateur du Contemporary Image Collective (CIC), un espace indépendant à but non lucratif pour l'art et la culture au Caire.

 

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