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Culture - Portrait

Rami Dalle, s’en tenir aux fées...

Gamin précoce à l'itinéraire quasi romanesque, Rami Dalle brouille tant les frontières de son art qu'il en devient difficile de l'étiqueter. Rencontre avec ce collectionneur furibond, titulaire du Prix Boghossian (design) 2016, qui fait feu de tous ses talents pour fabriquer des choses et ressusciter des émotions.

Sincérité et audace ont valu à Rami Dalle, électron très libre, le Prix Boghossian 2016 catégorie design. Photo DR

Au début, on ne savait pas très bien qui c'était. Figure récurrente, mais secrète, de la jeune garde artistique libanaise, on avait croisé ses œuvres délicatement foutraques sur des vitrines qu'il échafaudait comme autant de plans sur la comète, ou sinon dans des expositions où elles kidnappaient l'attention. Puis, on avait entr'aperçu sa mine de poète maudit à gueule de bois lorsqu'il remportait le Prix Boghossian (catégorie design) 2016. Ça s'était arrêté là, mais cela avait intrigué.

Seulement, la rencontre complique la chose quand Rami Dalle semble aussi insaisissable que prévu, aussi illimitable (et inimitable) que redouté. Un physique, pour commencer, qu'une certaine facilité ferait qualifier de beau-bizarre et où se télescopent tant d'époques et de personnages. Il y a le teint enfariné d'un Pierrot sans Colombine et l'œil comme écarquillé de mascara qu'ont dû rougir des nuits fauves. Et malgré son romantisme vague, on le découvre assez empreint de malice sous ses sourcils de tibétain qui battent de l'aile quand l'empoigne un sourire en coin. Sans oublier l'anachronisme chez ce buveur de vin blanc au réveil, « ça me donne de l'énergie », aux savates qui font la navette entre les deux espaces de son atelier de Bourj Hammoud, qui tient du cabinet de curiosités, et laisse les bruits de la rue ensoleillée grimper par les fenêtres ouvertes. Ce qui n'est pas coutume pour celui qui avoue préférer la pénombre qui le barricade, cette heure inspirée où il tire l'épée de sa créativité pour « ressusciter un monde de souvenirs, de curiosités et d'émotions ».

Fabriqué lui-même
Bien que ce décret semble clair de prime abord, inutile de chercher à en savoir plus : Rami Dalle n'a jamais su, ou même voulu, trouver l'adjectif qui qualifierait au mieux sa profession. « On m'a estampillé "designer de vitrines", mais je n'ai pas envie de choisir ou d'enfermer mon travail dans une boîte », dit-il d'entrée de jeu. Ceci dit, son goût prononcé pour les pérégrinations interdisciplinaires et ses appétences pour l'indéfini n'empêchent pas le jeune homme de se raconter haut et fort, de parler dru et cru. Il avance de but en blanc, comme pour éviter les effets de manche : « Je n'ai pas grandi dans un milieu artistique. Pourtant, je me souviens que pendant les récrés, au lieu de jouer au ballon comme le reste des garçons, je collectionnais des feuilles mortes, des cailloux. Plus jeune, je construisais des petits personnages avec les kleenex qui traînaient à côté de mon biberon. »

On comprend assez vite que son ascension a été une bataille personnelle quand tant de fils à papa se contentent d'être biberonnés aux facilités. Rami Dalle aborde la chose avec lucidité : « Puisqu'il faut bien trouver des explications à tout, je dois avoir hérité cette passion de fabriquer des choses par ma maman qui montait, avec les moyens de bord, des décorations de Noël ou de Pâques. C'est ce côté bancal, parfois même de mauvais goût, qui m'a marqué. »

Avec le temps, à Souk el-Ahad, en compagnie de son père, ou dans les puces en solitaire, Dalle va faire collecte de ce qu'il classe avec une maniaquerie d'archiviste et qu'il entasse malgré les désagréments de ses parents qui tentent de résister à l'envahissement. « Au fil du temps, j'ai développé un intérêt pour l'artisanat du XIXe siècle, en particulier les arts pratiqués par les femmes et les enfants, le crochet, le point de croix. » Il collectionne des albums de cheveux XIXe (contenant des mèches vintage), des maisons de poupées, des figurines échappées d'un conte victorien, comme autant de rêveries jaunies auxquelles il tord le cou et redonne vie à travers des installations qu'il ficelle dans la pénombre de sa chambre d'enfant. Et de poursuivre : « Il doit y avoir, là encore, une résonance à ma mère qui nous fabriquait des couvertures et des vêtements pendant la guerre. »

Comme un adulte
Parallèlement à ses études en design graphique à la LAU qu'il a obtenu avec félicitations, Rami Dalle décroche sa première installation de la vitrine de The Counter à Beyrouth : « J'ai été approché par Chérine Magrabi qui m'a proposé ce job à l'instinct, alors que je n'avais aucune expérience dans le domaine. » S'opposant à la pensée moyenne, inverseur de tendances, réactif aux bien-pensances, le fabriqueur puise dans une myriade d'objets hétéroclites arrachés d'une mémoire sépia : bijoux, coquillages, jouets, textiles, laine ou carcasses rouillées, qu'il métisse avec un éventail de matériaux allant de la cire à l'argile, en passant par des plumes ou des fibres végétales pour la création de ses scénographies fantaisistes, à la croisée du bizarre désuet et du beau innovateur et auxquelles des enseignes prestigieuses (Hermès et Rolex pour n'en citer qu'eux) font appel à la pelle.

Surtout, de ses mains affûtées comme des dagues, il monte et anime de tendres contes baroques qui semblent craqueler les conventions comme le vernis de ses œuvres. II l'explique ainsi : « Je ne suis pas un expert de telle ou telle technique. Je travaille à l'instinct, tous les moyens et les médiums sont bons pour arriver à l'expression la plus juste du sentiment que je veux transmettre. » Une sincérité et une audace qui ont valu à cet électron libre le Prix Boghossian 2016 en catégorie design. Puis un passage à la vitesse supérieure, le temps des responsabilités, employer deux personnes, s'installer dans un studio, planifier ses journées, pitcher ses projets, tant de choses qui l'horripilent : « Dans la forme, je dois faire les choses comme un adulte, certes. Mais dans le fond, je resterai à jamais un enfant qui joue à fabriquer des choses. »

 

 

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Au début, on ne savait pas très bien qui c'était. Figure récurrente, mais secrète, de la jeune garde artistique libanaise, on avait croisé ses œuvres délicatement foutraques sur des vitrines qu'il échafaudait comme autant de plans sur la comète, ou sinon dans des expositions où elles kidnappaient l'attention. Puis, on avait entr'aperçu sa mine de poète maudit à gueule de bois...

commentaires (2)

BON JEU ET BONNE CHANCE !

LA LIBRE EXPRESSION

09 h 59, le 23 février 2017

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • BON JEU ET BONNE CHANCE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 59, le 23 février 2017

  • Peut-on aller rever dans votre atelier de Bourg Hammoud? Où se trouve--t-il s'il vous plait Rami?

    Marie-Hélène

    08 h 02, le 23 février 2017

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