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Liban - Interview

Boris Cyrulnik à « L’OLJ » : Les épidémies de violence se résorbent un jour ou l’autre

« Les terroristes ont souvent subi un isolement affectif précoce, entraînant une perturbation de leur développement. »

Ce n'est pas par hasard que Boris Cyrulnik est devenu psychiatre et psychanalyste. Durant son enfance, la déportation de ses parents et celle à laquelle il a échappé de peu lui ont fait subir un énorme traumatisme qui l'a poussé à décider très jeune d'embrasser la carrière. Depuis, il est devenu la star française de la « psy » avec, à son actif, de nombreux ouvrages à succès vendus à plus de 1,5 million d'exemplaires.
Ce chercheur en neuropsychologie et professeur d'éthologie à Toulon, qui a popularisé le concept de résilience (renaître de sa souffrance), ne se prend pas la tête pour autant. Avec modestie et humour, il présente en des termes simples et légers des problèmes compliqués et graves. Comme celui de la violence, que L'Orient-Le Jour a évoqué avec lui, jeudi, lors de son passage à Beyrouth, à l'occasion de la signature de son dernier ouvrage, Ivres paradis, bonheurs héroïques, au Salon du livre francophone.
Dans un contexte mondial de recrudescence de la violence et du terrorisme, L'OLJ a ainsi demandé à l'expert quels sont les mécanismes psychologiques qui génèrent les actes terroristes, quels sont les processus de défense des populations face à ces crimes de masse et si, éventuellement, il y aurait moyen de réfréner le déchaînement de la violence.

De sa voix posée et enveloppante, M. Cyrulnik répond d'emblée que « les terroristes qui sèment l'effroi, torturent et décapitent, organisant des mises en scène spectaculaires et filmées pour terroriser ceux qui ne partagent pas leurs croyances, sont des fanatiques et des pervers qui ne peuvent maîtriser leurs pulsions », soulignant qu' « ils ne se rendent pas compte de leur violence et ne ressentent ni culpabilité ni émotion lorsqu'ils passent à l'acte ». Le spécialiste affirme en outre qu'ils ont le culte du chef, « se soumettant à la parole d'un maître qui dénue leurs mots et slogans de toute pensée et les transforme en outils de récitation ».

Tuer au nom de la morale

Pour le célèbre neuropsychiatre, « les terroristes sont souvent des individus fragilisés par des traumatismes qui ont provoqué leur isolement précoce, entraînant ainsi des perturbations au niveau de leur développement ». Selon lui, « cet isolement les empêche d'accéder à la théorie de l'autre, et leur fait croire que la leur propre est la seule valable ». Praticien pendant plus de quarante ans, M. Cyrulnik affirme dans ce cadre avoir rencontré, durant sa longue expérience clinicienne, nombre de terroristes français d'extrême gauche qui, victimes d'isolement précoce, « pensaient détenir la seule vérité et étaient convaincus qu'il faut, au nom de la morale, tuer ceux qui ne veulent pas la partager ».

Ne pas se soumettre tout en s'abstenant de se venger

Dès lors, comment les populations réagissent-elles lorsqu'elles sont ciblées par les attaques meurtrières ? Le chercheur distingue entre deux réactions.

« L'une ancienne, qui répond à la violence par la violence, et l'autre plus récente, à travers laquelle les personnes touchées refusent de se soumettre, tout en s'abstenant de nourrir une vengeance. » Et d'illustrer chacune de ces attitudes par des exemples. « Je me trouvais à Munich au lendemain de l'attaque contre le Bataclan (13 novembre 2015), lorsque des militants du mouvement allemand d'extrême droite Pegida (Patriotes européens contre l'islamisation de l'Occident) se sont mobilisés dans la rue pour aller venger les victimes en massacrant des musulmans, opérant ainsi un amalgame entre islam et terrorisme. » Ce même réflexe violent, certains Français l'ont eu également, suite à l'attentat de Nice en juillet. « Venus faire leur deuil sur la Promenade des Anglais où a eu lieu la tuerie, les parents des trente musulmans fauchés (soit près du tiers des 84 victimes) ont été insultés et sommés de rentrer dans leur pays d'origine, comme s'ils avaient perpétré eux-mêmes l'attentat dans lequel leurs proches avaient perdu la vie ! » déplore M. Cyrulnik, mettant en garde contre ce processus de violence que les intégristes cherchent à enclencher et que rien ne pourra arrêter s'il s'amorce.

Selon lui, « outre l'angoisse et l'horreur qu'ils veulent répandre au sein des populations, les terroristes entendent provoquer des guerres civiles dans l'espoir de vaincre et d'imposer leur loi ». Pour parer à ce danger, le psychanalyste préconise plutôt « une attitude de solidarité et de cohésion sociale, comme celle des Parisiens après l'attentat du Bataclan », attitude qui s'était notamment exprimée par une mobilisation sur les réseaux sociaux pour rechercher les personnes disparues et accueillir des passants terrifiés, et par l'organisation de concerts de musique et de longues veillées en hommage aux victimes.

L'ouverture aux autres

Mais la lutte non violente, portant en elle le refus de la soumission, suffit-elle pour affronter et enrayer la logique meurtrière ? M. Cyrulnik pense que les violences et les guerres fluent et refluent au rythme des « épidémies de croyances » qui, selon lui, « se résorbent un jour ou l'autre ». Il évoque dans ce cadre « les épidémies de terrorisme d'extrême gauche en Allemagne qui se sont arrêtées », faisant allusion aux organisations allemandes armées d'extrême gauche créées à la fin des années 60 et dissoutes avant l'achèvement du siècle dernier, après des « années de plomb ».
Et M. Cyrulnik de remonter beaucoup plus loin dans le temps, au Moyen Âge. Il cite ainsi les tueries de masse à l'époque des courses à l'amok, au cours desquelles, explique-t-il, « de jeunes gens armés de sabres se rendaient sur les places des marchés pour égorger le plus de personnes possible, avant de se faire tuer à leur tour », faisant observer que ces actes brutaux et barbares « ont eux aussi connu une fin ».
N'y aurait-il donc d'autre choix que d'attendre avec impuissance que le fléau passe ? La star française de la psy ne conclut pas sur une note aussi pessimiste, affirmant qu'on peut agir au niveau de l'ouverture aux autres. « Plus on rencontre des gens, moins il y a de préjugés », assure-t-il, plaidant pour « des explications, à l'écart de toute acceptation de soumission ».


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