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Moyen Orient et Monde - commentaire

Pour une défense européenne intégrée dès à présent

Javier Solana fut haut représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, secrétaire général de l’Otan et ministre espagnol des Affaires étrangères. Il préside actuellement le Centre de recherche en économie globale et en géopolitique de l’École d’administration et de direction d’entreprise (Esade) de Barcelone et il est chercheur émérite à la Brookings Institution.

Lors du récent sommet de l'Union européenne à Bratislava, le premier sans la présence des Britanniques, plusieurs propositions ont été faites pour améliorer la sécurité européenne. Quoi qu'en disent certains, les discussions sur la consolidation de la sécurité européenne sont non seulement bienvenues mais nécessaires : après une période de paralysie et de doutes quant au projet européen, l'UE doit résoudre ses problèmes de sécurité et lancer des initiatives unificatrices.
Les citoyens européens considèrent de plus en plus la sécurité comme une question prioritaire et veulent voir l'UE faire la preuve de ses capacités. Les amis et alliés de l'Union attendent eux aussi un renforcement de sa sécurité.
La sécurité à l'intérieur des frontières de l'Union nécessite une plus grande stabilité à l'extérieur. Les événements récents le montrent clairement : la crise des réfugiés qui tourmente l'UE, par exemple, serait beaucoup plus simple à surmonter si la situation en Syrie était différente.
C'est parce que la sécurité à l'intérieur est corrélée à la situation extérieure que l'UE doit se garder de cloisonner ses actions, ce qu'exprime bien la nouvelle « stratégie globale » pour l'Union récemment présentée par la haute responsable, Federica Mogherini.
Traditionnellement, les États-nations se défendent eux-mêmes contre les menaces extérieures avec des moyens militaires, tandis qu'ils règlent les questions de police en fonction d'un ensemble de normes conçues pour protéger les droits des citoyens. Aujourd'hui, les capacités militaires sont toujours nécessaires pour se prémunir de menaces extérieures, mais elles ne suffisent plus. Il faut de surcroît une approche « civile ».
Les moyens requis pour garantir la sécurité doivent s'adapter à la réalité contemporaine des menaces et des conflits. Cela signifie que les capacités militaires de l'UE ne peuvent pas être structurées séparément, mais doivent opérer aux côtés de ses capacités civiles (forces de police, services de renseignements, tribunaux, voire organisations non gouvernementales).
L'aptitude à porter aux crises une réponse conjointe, civile et militaire, doit faire partie intégrante de la politique menée par l'UE et par ses États membres. L'UE s'est déjà déployée en combinant ses capacités militaires et civiles. Mais il a toujours été clair qu'il en fallait beaucoup plus pour améliorer l'efficacité de ce genre d'actions. De fait, le traité de Lisbonne comprend de nombreuses dispositions qui vont dans ce sens, mais qui n'ont pas encore été mises en œuvre.
L'une des raisons en est la diversion imputable aux problèmes économiques qu'a connus l'UE après 2008. Mais la gravité du problème des réfugiés requiert aujourd'hui que les questions humanitaires et de sécurité soient traitées dans une perspective paneuropéenne.
La séparation entre les capacités intérieures et extérieures des États membres n'est tout simplement plus tenable. Heureusement, nombre des capacités dont disposent les États membres en matière de sécurité intérieure sont également utiles au déploiement de leurs forces de défense.
Il est ainsi de plus en plus clair que l'amélioration de la coopération entre les services de renseignements joue un rôle essentiel. Si l'UE veut étendre la portée de ses politiques de sécurité, elle devra y consacrer plus de ressources, mais ses capacités existantes doivent surtout être mieux utilisées et dans un esprit de coopération renforcé.
Une telle coopération requiert en revanche la création d'un quartier général stratégique pour toutes les opérations en lien avec la sécurité de l'UE, préférable au maintien du modèle actuel de centres opérationnels ad hoc. Il faut en outre, pour que l'UE parvienne à l'autonomie stratégique, une industrie européenne de défense compétitive, avec une augmentation substantielle des investissements dans la recherche et le développement des technologies de défense, conçue comme une part de l'effort commun.
Le plan de développement des capacités de l'Agence européenne de la défense a précisément été conçu en tenant compte de ces exigences. Sa mise en œuvre permettra d'optimiser les ressources existantes des États membres – et de sceller par là-même des synergies économiques avantageuses – tout autant que de préciser l'identification des ressources additionnelles nécessaires à la réalisation de nos objectifs.
Le cadre légal d'un mécanisme de coopération permanente et structurée en matière de défense existe déjà : il est inscrit dans le traité de Lisbonne. Les clauses du traité permettent aux États qui le souhaitent de renforcer leur coopération militaire et de se déployer rapidement pour des missions extérieures conjointes. L'activation de ce mécanisme a fait l'objet de récentes discussions au sein du Conseil européen et apparaît comme la voie la mieux à même d'approfondir l'intégration de la défense. Une Union dont la sécurité et la défense formeraient l'un des piliers renforcerait considérablement le poids de l'Europe sur la scène mondiale.
Certains pensent encore qu'en approfondissant l'intégration de la défense, nous pourrions affaiblir d'autres institutions, notamment l'Otan, à laquelle appartiennent les membres de l'UE. Mais, à la vérité, c'est la faculté de fournir en cas de crise une réponse collective et efficace qui serait appréciée de l'Otan (laquelle verrait ainsi augmenter les ressources à sa disposition) et des Nations unies. L'intégration de la défense de l'UE faciliterait en outre les opérations de l'Otan, puisqu'il serait possible à des groupes de plusieurs pays européens engagés dans une coopération structurée et permanente de participer en tant qu'entité unique, par exemple, au Conseil de l'Atlantique-Nord, l'organe de gouvernement de l'Otan.
L'UE ne s'affirme pas seulement par la façon dont elle protège ses propres citoyens, mais aussi par les actions qu'elle peut mener hors de ses frontières. Elle doit veiller à ce que ces actions s'inscrivent dans le droit international, et, au-delà, encourager un débat global sur les insuffisances de certaines normes internationales au regard des conflits d'un type nouveau qui surgissent aujourd'hui.
Nous avons beau appartenir à une époque d'euroscepticisme généralisé, les citoyens européens n'en veulent pas moins une Union qui fasse preuve de plus de résolution en matière de politique étrangère et de sécurité. Cette résolution est nécessaire, bénéfique, et de notre devoir. Car l'UE se définira par ses actions, et la paix et la sécurité comptent parmi les biens communs qu'elle doit prodiguer, à l'intérieur comme à l'extérieur de ses frontières.

© Project Syndicate, 2016.
Traduction François Boisivon.

Lors du récent sommet de l'Union européenne à Bratislava, le premier sans la présence des Britanniques, plusieurs propositions ont été faites pour améliorer la sécurité européenne. Quoi qu'en disent certains, les discussions sur la consolidation de la sécurité européenne sont non seulement bienvenues mais nécessaires : après une période de paralysie et de doutes quant au projet...

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