Michel Moawad, prononçant son allocution à Ehden. Photo Ani
Le chef du mouvement de l'Indépendance, Michel Moawad, a dénoncé hier la suspension de la Constitution issue de Taëf au profit d'un régime de facto de vetos découlant de l'accord de Doha.
M. Moawad s'exprimait dans le cadre d'un dîner à Ehden en présence d'un grand nombre de personnalités, parmi lesquelles des représentants du ministre Achraf Rifi, des Forces libanaises, des Marada, du Courant patriotique libre et du parti Kataëb, ainsi que l'ancienne ministre Nayla Moawad et l'ancien député Jawad Boulos.
« La solution au Liban commence par l'élection d'un président, mais ce qui est requis, c'est l'élection d'un président pour une République souveraine, libre, indépendante et démocratique, pas un président d'un conseil de clans et de mafias de la paralysie, de la corruption et des vols », a affirmé d'emblée M. Moawad dans son allocution. « Nous vivons un vide présidentiel depuis 815 jours, c'est-à-dire deux ans, deux mois et 24 jours, mais le vide présidentiel ne constitue pas la raison des crises que nous vivons, plutôt le résultat de ces crises. Le résultat de l'abandon de la République, sa souveraineté, sa Constitution, ses lois et ses institutions. L'essentiel reste donc de recouvrer la République », a-t-il noté.
« Les expériences ont prouvé que le fait de considérer les constantes de l'édification de la République comme des slogans romantiques pouvait faire l'objet de compromis dans les marchés pragmatiques et les tentations du pouvoir, ainsi que les gouvernements de gestion de crise et les tables de dialogue groupées et bilatérales considérées comme alternatives aux institutions... Toutes ces tentatives ont prouvé que cela nous a conduit à la paralysie, à l'échec et à l'effondrement de la République », a poursuivi Michel Moawad. « Si l'entrée en matière pour la solution est l'élection d'un président, il n'y a de solution que dans le rétablissement de la République. Pourquoi s'est-elle effondrée ? Comment une Chambre peut-elle être souveraine alors que les députés déclarent aux médias qu'ils attendent un accord entre l'Iran et l'Arabie pour élire un président ? » s'est-il interrogé.
« La République s'est effondrée parce que sa souveraineté est violée, ses institutions ne sont pas maîtresses de leur décision, et parce qu'il y a des armes illégales et une force plus puissante que l'État qui paralyse les institutions et bloque le régime parlementaire et démocratique dans l'intérêt d'un régime hybride qui ne représente pas le pacte de 1943, ni l'accord de Taëf, sur lequel nous nous sommes entendus après plus de 150 000 victimes », a-t-il souligné.
« Le Liban d'aujourd'hui n'est pas gouverné par la Constitution de Taëf, qui stipule la dissolution et la démilitarisation de toutes les milices libanaises et non libanaises, sans exception (...). Aucun État ne peut être édifié au Liban à l'ombre des armes illégales. Le recouvrement de la République et la mise en application de Taëf commencent par le monopole de la violence légitime, et non par des discussions byzantines à la table de dialogue concernant la fondation de nouvelles institutions (comme le Sénat), alors que nous paralysons ou détruisons celles qui existent déjà », a noté Michel Moawad.
« Le Liban n'est pas gouverné par la Constitution de Taëf, mais par l'hérésie que constituent les vetos sous le slogan du consensus et qui sont le fruit de l'accord de Doha, pas de Taëf (...). L'hérésie de la démocratie consensuelle et le droit de certains au veto adoptés à Doha ont torpillé la Constitution et poignardé Taëf, tout comme les tables de dialogue étaient un prélude pour sortir de Taëf et des institutions constitutionnelles », a estimé le chef du mouvement de l'Indépendance. « Nul n'est contre le dialogue, mais il faut qu'il ait lieu au sein des institutions constitutionnelles, pas à leurs dépens. La Chambre et le Conseil des ministres sont là pour débattre et voter », a-t-il noté.
Revenir au pacte
« Les tables de dialogue depuis 2006 et l'institutionnalisation du droit de blocage et de veto à Doha ont plongé le Liban concrètement dans l'ère de la Constituante. Nous vivons aujourd'hui au temps du sabordage de notre Constitution et de la tripartition, avec la préservation du droit de veto théoriquement aux chiites, sunnites et chrétiens, mais théoriquement seulement, dans la mesure où les chrétiens restent jusqu'à présent privés du droit de veto au sein d'une telle tripartition », a estimé M. Moawad. « Cette voie mobilise des fanatismes que nous avions dépassés, et appelle à la formation de blocs confessionnels et sectaires pour arracher le droit de veto et protéger des équilibres qui auraient dû l'être par la Constitution si nous l'avions respectée », a-t-il indiqué.
« Il n'y a de solution à nos drames qu'à travers le retour à la Constitution de Taëf et l'arrêt de toutes les hérésies, car ce sont elles qui nous conduisent à la guerre civile. Il faut revenir au pacte consacré par Taëf, qui signifie le partenariat islamo-chrétien sous le parapluie des institutions, au sein d'un État souverain et indépendant », a ajouté Michel Moawad. « Le partenariat n'est pas une parité de forme, mais signifie de livrer la décision souveraine exclusivement à l'État qui représente et rassemble tout le monde. Celui qui se croit gagnant aujourd'hui en sortant du partenariat, en affaiblissant l'État et en violant la Constitution se retrouvera demain perdant. Au final, tout le monde sera perdant, et le Liban avec lui. C'est le Liban, en fait, qui sera perdu », a-t-il encore dit.
M. Moawad a ensuite longuement abordé la question de la corruption sous ses différents aspects (électricité, déchets, environnement, port, aéroport, etc.), estimant notamment que son expansion est également une conséquence de l'absence de partenariat national et de souveraineté. Selon lui, il n'y a plus aucun contrôle institutionnel aujourd'hui du fait de la paralysie de la Chambre et de la formation de cabinets consensuels et de partage du gâteau, ainsi que du blocage des organismes de contrôle.
« Nous avions prévenu contre un recul dans la bataille souverainiste au profit de luttes d'influences pour le pouvoir. Nous y sommes », a-t-il conclu, en exprimant sa volonté de se lancer dans la bataille contre la corruption et de se concentrer sur la gouvernance locale.