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Les butins de Gaza

Qui perd gagne : déconcertante formule qui connaît pourtant une improbable mais régulière fortune dans cette partie du monde. L’exemple le plus célèbre en est l’exploit de Gamal Abdel-Nasser émergeant en leader incontesté du monde arabe d’une crise de Suez qui avait pourtant vu les troupes britanniques, françaises et israéliennes camper sur les bords du mythique canal. Et c’est une victoire non point politique mais carrément divine que s’estimait en mesure de revendiquer en 2006 le Hezbollah, au terme d’une confrontation avec Israël des plus coûteuses en vies humaines et en destructions.

C’est à la même et glaçante impasse sur l’exorbitant investissement en sang, comme en ruines (surtout en regard des dommages somme toute bénins infligés à l’ennemi), que sacrifie le Hamas pour, à son tour, crier victoire. Non sans raison cette fois, puisque la dernière bataille de Gaza aura permis à l’organisation islamiste palestinienne de marquer des points importants au double plan intérieur et international. Bien que terriblement éprouvée par les barbares bombardements israéliens, la population locale est actuellement en liesse et paraît plus que jamais soudée au Hamas. En prime de la trêve, celui-ci obtient la promesse d’une discussion sur la levée du blocus terrestre frappant, depuis des années, ce secteur. Mais surtout, le Hamas s’impose une fois pour toutes – aux yeux d’Israël dont il nie le droit à l’existence, comme des Occidentaux –, sinon comme un interlocuteur reconnu et agréé, du moins comme le maître effectif, et donc absolument incontournable, de Gaza.

C’est évidemment autant de perdu pour le dirigeant de l’autre Palestine, le terne Mahmoud Abbas, adepte obstiné d’un règlement négocié que rend illusoire pourtant l’intransigeance non moins persistante de Benjamin Netanyahu. Même s’il s’est fait passablement forcer la main par les États-Unis, celui-ci peut se targuer, pour sa part, d’avoir creusé l’écart entre les deux branches rivales de la direction palestinienne, que l’on a vu se disputer lamentablement la peau de l’ours avant de l’avoir tué. L’État hébreu s’est par ailleurs assuré le concours diplomatique, en tout point décisif, du plus puissant des voisins d’Israël, une Égypte tenue pour insondable car gouvernée désormais par l’islamisme politique.

De fait, et si les protagonistes du drame se voient tous deux épargner l’infamie de la défaite, c’est le président égyptien Mohammad Morsi qui passe avec le plus de brio le test capital de Gaza. En dénonçant vivement l’agression, en volant au secours de ses frères du Hamas, le raïs a pleinement assumé la solidarité idéologique qu’attendait de lui son public, prenant ainsi le contrepied de son prédécesseur Hosni Moubarak jugé scandaleusement docile au diktat israélien. En forgeant une trêve qui, pour l’Égypte, implique une lutte active contre la contrebande d’armes vers Gaza, Morsi réaffirme néanmoins son attachement aux obligations découlant du traité de paix, en même temps qu’il accrédite l’image, telle que perçue en Occident, d’un islamisme modéré, pragmatique, non seulement fréquentable, mais aussi utile. Pour couronner le tout, le chef de l’État égyptien dame le pion à l’Iran qui se pose en premier protecteur et fournisseur d’armes des Palestiniens et finit de ramener le Hamas dans le giron arabe : un Hamas qui a d’ailleurs spectaculairement rompu avec la Syrie.

Il reste que tant de lauriers à la fois peuvent donner le vertige des hauteurs, ce qui expose une fois de plus l’Égypte contemporaine à la malédiction des pharaons. C’est bien ce qui s’est produit hélas avec cet incroyable décret présidentiel publié jeudi, par lequel Mohammad Morsi, déjà maître des deux pouvoirs exécutif et législatif depuis qu’il a dissous le Parlement, s’octroie la latitude de prendre des décisions, ou même d’émettre des lois, échappant à toute possibilité d’appel.

Tout serait-il donc à refaire et les Turcs seraient-ils seuls vraiment à faire cohabiter islamisme et démocratie ? Le printemps du Caire tourne soudain à la grisaille et la contestation est de retour, place al-Tahrir.

Issa Goraieb
igor@lorient-lejour.com.lb

Qui perd gagne : déconcertante formule qui connaît pourtant une improbable mais régulière fortune dans cette partie du monde. L’exemple le plus célèbre en est l’exploit de Gamal Abdel-Nasser émergeant en leader incontesté du monde arabe d’une crise de Suez qui avait pourtant vu les troupes britanniques, françaises et israéliennes camper sur les bords du mythique canal. Et c’est...