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Moyen Orient et Monde - Éclairage

L’EI sur le déclin ? Pas vraiment...

Les attaques d'Istanbul et de Djakarta prouvent que l'évolution tentaculaire et irréductible du groupe bat son plein.

Photo de février 2015, montrant l’État islamique paradant dans la ville libyenne de Syrte. Photo AFP

Et si les experts s'étaient trompés ? Depuis l'émergence fulgurante ces dernières années de l'État islamique (EI) en Irak, puis en Syrie, toutes sortes de théories et de scénarios sur le déclin, les progrès et la stratégie de l'EI ont été avancées tous azimuts. Néanmoins, quels que soient les développements sur le terrain, une chose est indéniable : le groupe continue d'évoluer, de grandir, de muter.

Dernière attaque en date, celle de Djakarta, la capitale indonésienne, jeudi, au cours de laquelle deux civils ont trouvé la mort, ainsi que les cinq kamikazes. Inspirée par les attentats du 13 novembre à Paris, et qui ont fait 130 morts, celle de Djakarta a bien entendu moins d'ampleur. Mais elle comporte une nouveauté : le lieu choisi. L'Indonésie a beau avoir une longue histoire de combat contre l'islamisme, comme au début des années 2000 par exemple, et avoir déjoué des menaces sécuritaires ces deux derniers mois, les autorités indonésiennes ont quand même été prises de court par l'attaque, revendiquée par l'EI, mais exécutée par Katibah Nusantara, « un groupuscule de militants jihadistes de l'EI parlant le malais et combattant en Syrie », selon l'AFP. Cette énième cellule affiliée au groupe ultraradical ne sera certainement pas la dernière dans le genre à se faire connaître et laisse craindre d'autres attaques dans cette région.


(Lire aussi : Les attaques de Djakarta confirment les craintes régionales à l'égard de l'EI)



En attendant, le groupe multiplie les attaques à travers le monde : la France, l'Égypte, la Turquie, l'Arabie saoudite, la Tunisie, l'Afghanistan, l'Australie, le Canada... et, aujourd'hui, l'Indonésie. Cette série sans fin remet en question le caractère a priori régional du califat autoproclamé en 2014 par Abou Bakr el-Baghdadi à Mossoul, en Irak. Le nom même de l'organisation prouve le changement de stratégie de son chef : d'abord État islamique en Irak et au Levant, il devient simplement l'État islamique, signe qu'il ne cherche plus à se limiter géographiquement. « Contrairement à el-Qaëda dont le champ d'action était prioritairement l'international ou les organisations régionales – tels Boko Haram au Nigeria ou les Shebab en Somalie –, l'État islamique a ceci de particulier, qu'il allie le local, le régional et l'international », explique à L'Orient-Le Jour Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou, directeur adjoint du Geneva Centre for Security Policy et professeur associé au Graduate Institute à Genève.

Même son de cloche pour le général Vincent Desportes, expert en stratégie, qui confirme que la différence majeure entre le réseau d'Ayman el-Zawahiri et celui de Baghdadi réside dans la « volonté territoriale » de ce dernier, ainsi qu'à sa consolidation militaire par les attaques.


(Lire aussi : L'EI en difficulté en Irak comme en Syrie)

 

« Tactique »
Depuis la création d'une coalition internationale menée par les États-Unis pour combattre Daech (acronyme arabe de l'EI) en Irak comme en Syrie, de nombreux observateurs ont affirmé que le groupe est en difficulté, sinon en déclin dans ces deux pays. Le califat autoproclamé de l'EI « a rétréci de 14 % en 2015 », a affirmé fin décembre et avec force conviction IHS Jane's, un centre d'analyse londonien spécialisé dans les questions de défense. Le groupe a pourtant fortement progressé ailleurs, comme en Libye, sans compter toutes les cellules éparpillées sur les cinq continents. Selon certains, la multiplication des attaques de Daech à l'échelle internationale serait liée à ce soi-disant déclin, que ce soit pour en détourner l'attention ou pour gagner du terrain ailleurs. « Pas impossible », avance prudemment le général Desportes, tout en expliquant que l'on peut y voir une « tactique » du groupe, conscient des faiblesses de ses ennemis, c'est-à-dire « l'opinion publique », notamment occidentale, et qui mise sur le fait de viser des civils pour l'« affaiblir », comme ce fut le cas le 13 novembre à Paris. Il s'agirait alors de pousser les forces ennemies au retrait.

M. Mohamedou est plus catégorique : « Quel groupe en difficulté coordonne deux attaques majeures dans deux capitales différentes – Istanbul et Djakarta – en trois jours ? Deux attaques auxquelles on peut d'ailleurs ajouter la prise, dans ce même intervalle, de la base de l'Union africaine à el-Ade en Somalie par les Shebab et dont une faction a prêté allégeance à l'EI en octobre dernier... » Et de souligner que s'il est possible que Daech connaisse bientôt des « revers substantiels », ce n'est pas encore le cas, ni en Irak ni en Syrie. Malgré la reprise très médiatisée de la ville irakienne de Ramadi, la chute de ce bastion de l'EI n'est pas encore totalement effective, tandis que celle de Mossoul demeure bien plus prioritaire.
Et, en Syrie, « très peu de zones ont été reprises à l'EI entièrement et de façon durable par l'armée de Bachar el-Assad », explique l'expert.


(Lire aussi : De l’attaque à la défense : l’EI change de stratégie)


En attendant, ces attaques sont-elles le résultat d'une décision centralisée ou d'un éclatement total des centres de commandement et donc des décisions ? Il est indéniable qu'une organisation centrale est à l'origine de toutes les attaques majeures de Daech, même si, à terme, n'importe qui pourra frapper et se revendiquer du groupe, lui rendant service. Mais il est aussi certain que des actes indépendants, de la part de loups solitaires par exemple, se multiplient. « Ils correspondent au virus répandu par l'EI.
Cela est dangereux, parce que sont ainsi visées des sociétés désespérées, sans vision d'avenir. Et cela ne cessera que quand Daech aura cessé d'exister », estime le général Desportes. De son côté, M. Mohamedou souligne que si « Baghdadi encourage les initiatives indépendantes, (il maintient) un degré de direction opérationnelle bien plus important » qu'el-Qaëda.

 

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