« Une fois qu'on a abandonné certains des points de la Constitution, il est plus aisé par la suite de faire accepter un autre changement un peu plus important, jusqu'à ce qu'enfin on ait ébranlé l'ordre politique tout entier (...) ». Cet extrait de La politique d'Aristote est repris dans l'annuaire du Conseil constitutionnel libanais 2009-2010 (volume 4), sous le chapitre « La nature des délais constitutionnels, garantie de la légitimité et de la sécurité juridique », rédigé par Antoine Messarra, membre du Conseil constitutionnel.
L'ordre politique a été ébranlé au Liban à l'instant où le vide institutionnel est devenu une menace imminente et réelle. « La notion de vide constitutionnel est erronée », dans le sens qu'elle n'a aucune existence dans le droit constitutionnel, souligne un constitutionnaliste à L'Orient-Le Jour, qui explique que « toute Constitution a pour finalité de combler le vide ». C'est pourquoi les délais constitutionnels sont « impératifs, limités et de forclusion ». Les manquements successifs à ces délais ont pavé la voie à un vide généralisé, initié par la vacance présidentielle. Ce terme de « vide » n'est pas valide en soi, le constitutionnaliste lui préférant l'appellation de « vacuité provoquée, ou blocage intentionnel ».
C'est sous cet angle, celui de l'État de non droit instauré de facto, que la prochaine échéance doit être examinée, à savoir le renouvellement du mandat parlementaire, qui touche à sa fin le 20 novembre. Ce renouvellement doit se faire soit par la voie normale des législatives, soit par une nouvelle autoprorogation du mandat. Mais il est également une troisième option à prendre en compte, situation d'anomalie oblige : et si le mandat parlementaire expire sans qu'il n'y ait autoprorogation ni tenue des législatives ? « Ce serait le vide absolu », répond à L'OLJ un éminent constitutionnaliste, presque sur un ton de deuil. Mais même dans le vide, anticonstitutionnel par nature, l'imagination tente d'improviser des issues : la vacance présidentielle pourrait-elle justifier exceptionnellement la tenue de séances électorales après l'expiration du mandat parlementaire ?
« Jamais », répondent les constitutionnalistes à L'OLJ. « La Constitution n'accorde aucune prérogative à un député dont le mandat a expiré, souligne l'un d'eux. Le Conseil des ministres se doit alors de convoquer les collèges électoraux », s'il ne l'avait pas déjà fait. C'est la seule démarche légale prévue. Même le principe de continuité des institutions ne peut justifier une extension temporelle des prérogatives électorales du Parlement. « Ce principe ne s'applique qu'au niveau du gouvernement, et sous-tend la notion d'expédition des affaires courantes », conclut la source sur ce point.
Cette gesticulation analytique n'est pas fortuite. Elle est révélatrice d'abord de la dégénérescence de la culture du droit. Elle a surtout un intérêt en politique, qui se traduit comme suit : celui qui s'opposera à l'autoprorogation par principe, tout en escomptant, sans le dire, la non-tenue des législatives, ne peut aspirer à un scénario où il serait possible pour le Parlement, au-delà du 20 novembre, de se réunir uniquement pour élire un président de la République. Au-delà de cette date, ce sont les législatives qui primeront sur la présidentielle. C'est dire l'irrévocabilité du non-respect des délais constitutionnels qui, même dans un état d'anarchie, n'est pas sans conséquences.
Il reste à envisager donc la tenue des législatives, et le second scénario, le plus probable, de l'autoprorogation.
Si des législatives devaient se tenir, elles se heurteraient d'abord à l'illégalité du décret de convocation des collèges électoraux. Celui-ci a en effet été pris à un jour près du délai fixé par la loi électorale en vigueur, à savoir « 90 jours avant la date fixée pour la tenue des législatives », en l'occurrence le 16 novembre. Un autre vice est susceptible de faire l'objet de saisine du Conseil constitutionnel : le délai de nomination, par le Conseil des ministres, du comité de supervision des élections, s'est écoulé sans que cette nomination ne s'effectue. Il faudrait donc, si toutefois l'intention existe de tenir des législatives, rectifier ces délais par un amendement de la loi électorale, en vue d'accomplir légalement les démarches liées à cette échéance. « Mais il semble que ces vices trahissent la décision déjà prise de proroger le mandat parlementaire », ironise un constitutionnaliste.
Tout se prête à l'autoprorogation, y compris le mécanisme de vote. En effet, la loi liée à la rallonge parlementaire est une loi ordinaire. La séance de vote n'exige qu'un quorum de la majorité absolue, et la loi est votée par la majorité des députés présents. Autrement dit, la crainte est vaine chez le 8 Mars et l'espoir illusoire, chez le 14 Mars, d'une transformation de la séance de vote de l'autoprorogation en séance électorale pour l'élection d'un président.
Tout est fin prêt pour le coup de grâce qui sera porté contre l'autorité du droit, la majesté de l'exercice institutionnel, le plaisir du jeu régulé, en dehors desquels même le pragmatisme politique devient sans goût.
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14 h 22, le 27 août 2014