Rechercher
Rechercher

Culture - La culture en temps de crise

Envers et contre tout, la Fondation arabe pour l’image préserve les archives photographiques

La directrice sortante de la Fondation arabe pour l’image revient sur ses deux ans à la tête de l’institution.

Envers et contre tout, la Fondation arabe pour l’image préserve les archives photographiques

Un membre de l'équipe de préservation de l'AIF au travail. (Crédit Blanche Eid AIF)

Cet après-midi-là, l’atmosphère est un peu étouffante dans les bureaux de la Fondation arabe pour l’image (FAI). Comme beaucoup d’endroits à Beyrouth ces jours-ci, l’appartement situé dans la rue Gouraud à Gemmayzé et reconverti en centre d’archivage ne bénéficie pas de la fraîcheur de l’air conditionné. Toutes les fenêtres sont recouvertes de plastique. « Nous avons dû mettre du vinyle lorsque les silos du port ont pris feu. Par précaution », explique Heba Hage-Felder, directrice de la FAI, en haussant les épaules.

Les pièces sont méticuleusement rangées. Elles n’ont plus rien à voir avec ce qu’elles étaient en août 2020, lorsque la double explosion au port de Beyrouth a soufflé la Fondation arabe pour l’image, abattant les murs et les plafonds, et projetant des tas de débris au sol.

Heba Hage-Felder ouvre une porte et une bouffée d’air frais s’échappe. Ce sont les salles de préservation et de numérisation – dont le cœur est l’unité de stockage réfrigérée avec ses archives de films délicats et d’images sur plaques de verre, ainsi que le serveur numérique. Elles exigent un environnement climatisé toute l’année. Un véritable défi, en ces temps de défaillance des services publics de base et de flambée des prix du diesel et des générateurs pour l’électricité.

Un document de la Fondation arabe pour l’image en cours de conservation. Crédit Heba Hage-Felder – FAI

De retour dans son bureau où trônent, sous les pales tournoyantes d’un grand ventilateur, trois portraits anciens endommagés lors du 4 août, Mme Hage-Felder revient sur ses deux années à la tête de la FAI.

« Nous avons à la FAI un budget opérationnel énorme, dit-elle. Il ne s’agit pas seulement d’exécuter des programmes que l’on peut réduire ou optimiser. Il s’agit aussi de savoir comment maintenir le climat de sécurisation dont la chambre froide a besoin. C’est pourquoi nous sommes probablement l’une des premières institutions culturelles de la ville à être autonome en énergie solaire pour la salle de stockage et les deux laboratoires. » « Les ampères dispensés par nos panneaux solaires protègent le laboratoire et la salle de stockage. L’idéal serait de faire fonctionner l’ensemble des locaux à l’énergie solaire, afin de réduire nos coûts de fonctionnement à long terme, mais il y a des limites à ce que l’on peut assurer avant d’être happé par une autre série de nécessités. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle vous êtes assis dans une pièce qui n’a pas de climatisation », signale-t-elle en respirant une bouffée d’air humide.

La souplesse, une arme à double tranchant

Plus tôt cet été, la FAI avait annoncé être à la recherche d’un nouveau directeur. Heba Hage-Felder va en effet quitter son poste, mais pas l’institution. Elle se consacrera à la collection familiale de documents du Ghana et du Liban, qu’elle avait déposée à la FAI en 2002.

Lorsqu’elle avait quitté son précédent emploi à AFAC (le Fonds arabe pour les arts et la culture), une fondation basée à Beyrouth qui soutient les artistes arabes, son « idée était de travailler en indépendante », se souvient-elle, perplexe. Mais l’artiste et président du conseil d’administration de la Fondation arabe pour l’image, Vartan Avakian, l’avait alors contactée au sujet du poste de direction à la FAI, dit-elle.

Il y a 25 ans, les fondateurs de la FAI partageaient un espace avec Mada, une ONG que Heba Hage-Felder était en train de créer. « Les deux organisations ont démarré en même temps dans deux coins d’un même appartement. Puis, 23 ans plus tard, quelqu’un de la fondation est venu me voir et m’a dit : “Seriez-vous intéressée par une candidature ? C’était un moment très étrange. J’ai répondu positivement. Une décision que je ne regrette pas” », assure-t-elle. La FAI célèbre son 25e anniversaire au cœur des crises que traverse actuellement le Liban. Avec plus de 500 000 photographies et documents, sa collection a été constituée grâce au travail d’artistes et d’universitaires ainsi qu’à des dons. Et ses origines en tant qu’entreprise à but non lucratif dirigée par des artistes ont contribué à façonner son approche archivistique. Son objectif étant, comme l’indique sa charte de mission de 2009, de « collecter, repenser, préserver, activer et comprendre les photographies à travers leurs multiples strates, et d’enrichir la collection par la même occasion ».

« Il y a beaucoup à dire au sujet de la FAI. Cette toute petite institution a été soigneusement élaborée avec amour », affirme Heba Hage-Felder. « Et aussi avec des conflits, ajoute-t-elle. Nous n’avons pas de gouvernement qui nous dise ce que nous devons faire. Nous ne sommes pas une institution nationale, ni un musée ou une archive typique. Cette versatilité est une arme à double tranchant : elle nous donne de la flexibilité, mais elle nous impose une responsabilité incroyable, vis-à-vis de notre charte et de la façon dont nous faisons les choses – comment nous collectons et comment nous respectons les droits des détenteurs de collections. »

Les questions de droits d’auteur, par exemple, doivent être équilibrées avec le fait de donner aux artistes et aux chercheurs l’accès aux collections, tout en sensibilisant parfois les utilisateurs à ce que suppose de mettre une image dans une œuvre d’art pour ensuite la vendre.

L'un des portraits endommagés par l'explosion dans les bureaux de l'AIF, « Portrait de studio d'une femme nue » pris par Armand au Caire entre 1945 et 1950. Tirage papier à la gélatine argentique, collection Armand.

Des défis de taille

Les deux dernières années n’ont fait que compliquer la gestion de la FAI. « Je planifie avec trois scénarios en tête, et ça peut aller dans tous les sens », sourit Heba Hage-Felder. « Les gens en rient. Partout au monde, si vous avez de bonnes pratiques, vous faites une analyse des risques peut-être une fois par an. Ici, nous la faisons chaque semaine. Nous ne savons même pas si les banques rouvriront jeudi », lance-t-elle, en allusion à la grève des banques qui a débuté le jour de son entretien avec L’Orient Today. « Vous développez ainsi une seconde nature. Puis vous avez des moments où vous faites marche arrière sur tout, en vous interrogeant : “Que faisons-nous ? Pourquoi le faire ? Est-ce justifié ?” »

Comme toutes les institutions artistiques du Liban, la fuite des cerveaux a également frappé la FAI.

« S’occuper de l’équipe, essayer de renforcer les opportunités et ses capacités, et optimiser tout ce que chacun peut offrir sont des choses que je ferais de toute façon en tant que directrice, mais au Liban ces jours-ci, vous savez qu’elles n’auront peut-être pas l’impact auquel vous aspirez normalement. » La pénurie de compétences a également entravé les ambitions de la fondation de développer les différentes facettes de sa plateforme numérique. « Nous avons sollicité deux fois le profil de “technologue créatif” et nous n’avons pas réussi à trouver de candidat. C’est compréhensible. Toute personne qui essaie de faire avancer sa carrière se demande comment sortir de ce pays. »

Le maintien de la mémoire institutionnelle, la continuité qui se rompt lorsque la fuite des cerveaux prive une organisation de son personnel expérimenté, est une préoccupation majeure de Heba Hage-Felder depuis qu’elle a pris la tête de la fondation.

Autre défi majeur auquel est confrontée la FAI ? Sa dépendance vis-à-vis des dons. « La première chose sur laquelle nous nous sommes concentrés juste après la catastrophe du 4 août 2020 – sachant que les regards seraient rivés sur Beyrouth – a été de nous engager auprès des donateurs. » L’espoir était que ces derniers perçoivent la mission d’urgence de la FAI et la nécessité de sa restauration.

« Ils n’en sont pas encore là, mais nous avons eu de la chance avec les donateurs qui connaissent la fondation et aussi avec certains nouveaux qui nous ont rejoints... la Fondation Getty et l’ambassade royale de Norvège à Beyrouth, par exemple, ont été les plus généreux – non seulement en argent, mais aussi dans la manière dont ils ont pensé le financement pour qu’il reste flexible. »

Selon Heba Hage-Felder, le Fonds de solidarité pour le Liban, organisé par AFAC et al-Mawred à la suite de l’effondrement économique du Liban, a été incroyablement important, non pas en raison des sommes déboursées, mais parce que l’aide est arrivée à un moment où les besoins étaient cruciaux. Les donateurs individuels jouent également un rôle important.

« Nous avons eu deux donateurs réguliers, qui nous ont soutenus contre vents et marées. L’un vient de la diaspora. C’est une grande admiratrice de la fondation, étant elle-même intéressée par l’archivage. L’autre est Akram Zaatari (artiste contemporain et cofondateur de la FAI) qui a beaucoup profité de la fondation et qui est également un contributeur très généreux. »

Des possibilités illimitées

Heba Hage-Felder est toujours frappée par ce qu’elle appelle les « possibilités illimitées » des collections de la FAI. « Il n’y a probablement aucune structure indépendante de notre taille qui conserve autant de collections provenant de toute cette région », assure-t-elle. « La fondation détient actuellement quelque 315 collections, soit environ un demi-million d’objets photographiques. Et ce chiffre est en augmentation. Mais ce ne sont pas les chiffres qui comptent », précise-t-elle, avant de signaler que « le terme “arabe” présent dans l’intitulé de la fondation est une dénomination géographique, et non un terme ethnique (ou autre) exclusif. Nous avons beaucoup de collections arméniennes, par exemple, et les chercheurs peuvent activer le travail autour de cette collection. Nous n’avons pas de collections du Kurdistan irakien, ce qui nous incite à combler ces lacunes et à essayer de voir comment nous pouvons être plus inclusifs dans nos propres méthodes de collecte ».

Une photo d’équipe de la FAI sous les panneaux solaires récemment installés par la fondation. Crédit Christopher Baaklini – FAI

Par ailleurs, « la FAI s’est également efforcée d’archiver les histoires homosexuelles, car les représentations grand public de la culture Queer peuvent être extrêmement sensationnalistes, ajoute-t-elle. Aussi important qu’il soit d’en parler dans de nombreux médias, notre intérêt a toujours été de le faire avec sensibilité. En nous interrogeant sur la manière d’amener les gens de cette communauté à s’approprier leur propre histoire ? ». Heba Hage-Felder fait allusion au travail de la FAI avec le photographe et artiste Mohammad Abdouni sur Treat me like your mother, une archive publique de prises de vue en studio, d’interviews, de photos personnelles et d’images d’archives documentant les histoires de 10 femmes trans vivant à Beyrouth.

Et de déclarer : « Nous sommes les gardiens de ce qui probablement est la seule collection Queer au Moyen-Orient aujourd’hui. Ce sont de petits pas, mais je pense que ce que nous avons essayé de faire au cours de ces deux années doit continuer, peu importe qui tient le gouvernail. »

Cela fait maintenant sept ans que la fondation cherche un nouvel espace, une quête que la catastrophe d’août 2020 n’a fait qu’accentuer. Depuis deux ans, Heba Hage-Felder recherche un local qui permettra à la FAI de cohabiter avec d’autres organisations culturelles. « Les négociations avec les propriétaires, qui supposent qu’une organisation à but non lucratif fonctionnant grâce à des dons internationaux est nantie, ont été impitoyables », dit-elle. « C’est incroyablement épuisant de traiter avec les propriétaires, d’essayer de donner du sens à leur logique », déclare-t-elle. « Deux ans plus tard, nous sommes revenus à notre point de départ, sauf que plus de la moitié de la population est maintenant plus pauvre qu’elle ne l’était, tandis que les propriétaires croient toujours que l’immobilier est intouchable. Nous avons visité plus de 14 espaces. Nous avons même créé un comité pour que la décision ne soit pas prise par une seule personne, toujours dans l’idée d’un lieu que nous pourrions partager avec d’autres… Car nous allons déménager, sourit-elle. C’est tout ce que je peux affirmer. »

Cet après-midi-là, l’atmosphère est un peu étouffante dans les bureaux de la Fondation arabe pour l’image (FAI). Comme beaucoup d’endroits à Beyrouth ces jours-ci, l’appartement situé dans la rue Gouraud à Gemmayzé et reconverti en centre d’archivage ne bénéficie pas de la fraîcheur de l’air conditionné. Toutes les fenêtres sont recouvertes de plastique. « Nous...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut