C'est un pilier, voire un géant, du cercle des pénalistes libanais que le Liban a perdu en la personne de Me Badoui Abou Dib, qui s'est éteint jeudi à l'âge de 90 ans.
Originaire de Zghorta, Badoui Abou Dib avait donné une dimension peu commune, une dimension humaniste, empreinte de valeurs hautement morales, à sa vocation de pénaliste (car il percevait sa profession comme une véritable vocation, voire comme une mission nationale et citoyenne). Lors de la célébration de son jubilé d'or, avec dix autres membres du barreau, il avait ainsi souligné que « le critère de la fidélité à notre mission n'est pas l'échec ou la réussite, mais l'accomplissement du devoir sacré et la foi en la justice », relevant dans ce cadre que « la loi est au service du respect des droits et non le contraire ».
À l'occasion de la parution du recueil de ses plaidoiries (en trois tomes), une conférence à plusieurs voix a été donnée à la Maison de l'avocat, au cours de laquelle les orateurs devaient relever que lors des grands procès au cours desquels il avait plaidé, Badoui Abou Dib était toujours resté fidèle à une seule ligne de conduite : celle de la défense des libertés et des droits des citoyens. Les intervenants devaient aussi souligner que dans l'exercice de sa profession, Badoui Abou Dib lançait en quelque sorte « un cri d'amour envers l'humanité et envers Dieu en défendant ceux que la société rejetait, et en essayant de comprendre leurs gestes et leurs motivations ».
Grâce à ses hautes qualités humaines, son éloquence, et sa justesse, il réussissait non seulement à convaincre les juges, mais aussi à émouvoir les auditoires. Les Libanais se souviennent sans doute des grands procès pénaux qu'il avait pris en charge, notamment au cours de la funeste époque de la tutelle de l'appareil sécuritaire libano-syrien, lors de l'affaire de l'attentat contre l'église Notre-Dame de la Délivrance de Zouk Mikhaël. Il avait pris la défense de l'un des dirigeants des Forces libanaises, Fouad Malek, et par la suite, dans la même sillage, celle d'Antoinette Chahine qui avait été incarcérée de manière arbitraire et inique par le même appareil sécuritaire qui cherchait à exercer un chantage affectif sur le frère d'Antoinette, membre des FL. Badoui Abou Dib avait offert ses services gratuitement à la jeune fille, réussissant à obtenir la révision de son procès et son acquittement, apportant ainsi une nouvelle preuve de l'étendue de son humanité.
Témoignages
« En un mot, il était un maître du droit et de l'éthique »
Claude ASSAF
Le Liban a perdu jeudi une des plus grandes figures du Barreau. Badoui Abou Dib est décédé à l'âge de quatre-vingt-dix ans, après avoir mené durant près de sept décennies une carrière exemplaire qu'il a consacrée à la défense ardente et passionnée du droit. Excellent civiliste et brillant pénaliste, il a fait vibrer de son éloquence les salles d'audience du Palais de justice, utilisant avec prestance ses talents juridiques et littéraires dans ses plaidoiries.
Né en 1926 à Zghorta, où il entre à l'école primaire, il poursuit ses études secondaires à l'École des Frères de Tripoli, avant d'entamer des études de droit à l'Université Saint-Joseph (USJ). Admis au Barreau de Beyrouth, il jouit d'une excellente réputation dans l'exercice de son métier, prenant notamment en charge de grandes affaires criminelles qui ont suscité l'intérêt de l'opinion publique, de sorte qu'il en est devenu un point de mire. Pour ne citer que trois exemples, il a certes défendu l'un des dirigeants des Forces libanaises de l'époque, Fouad Malek, mais aussi Bachir Obeid, après le coup d'État fomenté contre l'ancien président de la République, Fouad Chéhab (1961), et Adrien Geday, dans l'affaire de la Banque Intra (1966).
Avocat de la défense, mais aussi avocat de la cause libanaise, il s'est investi pour organiser des congrès pour les émigrés et consolider les liens de ces Libanais de la diaspora avec leur mère patrie. De 1970 à 1977, il occupe le poste de secrétaire général de l'Union libanaise culturelle mondiale (ULCM), et contribue durant son mandat à restituer leur nationalité à nombre de Libanais d'origine.
Membre actif de la Ligue maronite, Badoui Abou Dib a laissé son empreinte dans l'élaboration de la loi sur le droit de la femme libanaise à transmettre sa nationalité à ses enfants. Écrivain talentueux, il a rédigé plusieurs ouvrages, dont La nationalité libanaise, Le procès de Socrate, Le procès de Jésus-Christ, Le procès de Jeanne d'Arc et un recueil de trois tomes comportant ses célèbres plaidoiries, ainsi qu'un écrit non encore publié ; sollicité par les médias, il a participé à de nombreux programmes télévisés consacrés aux affaires juridiques et judiciaires, et publié divers articles et études dans les journaux.
Badoui Abou Dib était marié à Najat Aoun et il est père de trois enfants, Antoine, notre collaboratrice Fifi, et Maya.
Une émotion intense a accueilli la nouvelle du décès du grand ténor, et plusieurs personnalités appartenant au milieu juridique et judiciaire ont apporté à L'Orient-Le Jour des témoignages qui consacrent à l'unanimité le souvenir d'un homme aux immenses qualités professionnelles et humaines.
Morceaux d'anthologie
Le ministre de l'Information, l'avocat Ramzi Jreige, garde du défunt l'image d' « un éminent avocat dont la vaste connaissance du droit se doublait d'une profonde culture littéraire. Ses plaidoiries étaient pareilles à des morceaux d'anthologie », se souvient M. Jreige, qui affirme que Badoui Abou Dib « avait une stature comparable à celle des plus grands avocats français et libanais, tels René Floriot, Jacques Isorni, Bahige Takieddine, Émile Lahoud, Nasri Maalouf, et Salim Osman ». Outre « l'honnêteté et l'amabilité de l'homme », ce sont notamment des qualités liées à la profession que le ministre évoque, soulignant que le disparu « était soucieux de déontologie, n'acceptant par exemple jamais de prendre un charge un dossier qui était aux mains d'un confrère, avant d'entrer en contact avec lui et obtenir son approbation ».
L'ancien ministre de la Justice, Ibrahim Najjar, se rappelle pour sa part des affaires judiciaires qui les ont opposés dans le cadre de leur métier. Il évoque notamment un « adversaire redoutable, obstiné, plein de ressources et intransigeant dans l'adversité ». Mais, ajoute-t-il, « cet homme du Nord, aussi rugueux que les montagnes de la vallée sainte de Qadicha, se distinguait également par une douceur inégalée dans ses relations d'amitié ».
C'est sur les bancs de l'Université La Sagesse qu'un autre ancien ministre de la Justice, Edmond Rizk, a connu Badoui Abou Dib. « J'étais en deuxième année et il me devançait d'une classe, mais il était déjà tellement féru de droit qu'il en enseignait déjà quelques matières », se souvient M. Rizk, qui indique en souriant que depuis, il l'a toujours appelé « mon professeur ». L'ancien ministre indique avoir ensuite collaboré avec lui dans plusieurs grands dossiers, notamment dans l'affaire de la tentative d'assassinat du député Michel Murr. « Badoui Abou Dib avait un art de la persuasion qui s'exprimait tant dans la forme que dans le fond », souligne M. Rizk, décrivant le regretté disparu comme « un homme d'une grande correction, et qui, dans le cadre du travail, imposait le respect tant auprès de ses alliés que de ses adversaires ». « En un mot, il était un maître du droit et de l'éthique », résume l'ancien ministre.
Le vice-président du Tribunal spécial pour le Liban (TSL), Ralph Riachi, a, pour sa part, souvent entendu Badoui Abou Dib défendre des cas difficiles auprès du tribunal qu'il présidait. « Au niveau juridique, il était un mentor », affirme M. Riachi,se souvenant qu' « il était méticuleux et recherchait le moindre détail qui pouvait aider à défendre et sauver son client ».
Walid el-Khazen, avocat, a collaboré avec Badoui Abou Dib, dans le cadre de la Ligue maronite, lorsque celle-ci était présidée par Chaker Abou Sleiman. « Lors des travaux de recherche pour les projets de loi sur la naturalisation, il manifestait un patriotisme inégalable », affirme M. el-Khazen, rendant par ailleurs hommage à « ce défenseur infatigable des causes difficiles, voire perdues, qui dénonçait l'injustice avec acharnement en même temps qu'avec un calme olympien ».
Prier...
Les clients que Badoui Abou Dib a sauvés sont légion, à commencer par Antoinette Chahine, militante des droits de l'homme, impliquée dans l'affaire de l'église Notre-Dame de la Délivrance de Zouk, puis acquittée. « Il a ouvert les portes de ma prison, il m'a sauvé la vie », clame-t-elle d'emblée, interrogée par L'OLJ, avant de poursuivre en pleurant : « Il était un second père pour moi, puisqu'il m'a ramenée à la vie. » Mme Chahine n'oubliera jamais comment, avant la plaidoirie ultime qu'il devait prononcer dans le cadre de son procès, l'avocat disparu s'était adressé en ces termes à sa mère qui le tenait par la toge : « Je vais faire mon devoir de mon mieux, mais je vous demande de prier. » Et Mme Chahine de conclure avec une grande émotion : « Un grand homme comme lui ne meurt jamais, il restera toujours dans mon cœur. »
Un avis que partagent sans doute de nombreux Libanais, pas près d'oublier l'immense bagage intellectuel du défunt, sa moralité, son empathie et sa virtuosité.
Originaire de Zghorta, Badoui Abou Dib avait donné une dimension peu commune, une dimension humaniste, empreinte de valeurs hautement morales, à sa vocation de pénaliste (car il percevait sa profession comme une véritable...
Un Grand juriste, mais aussi un Grand penseur, d'une moralité et d'une conscience professionnelle exceptionnelles! Me Badaoui Abou Dib traitait ses clients, comme un médecin à vocation traite ses malades! Il a tâché de faire en sorte que la justice soit de ce Monde (aussi bas soit-il) et non pas le contraire. Sa culture l'a rendu encore plus éloquent et d'un humanisme à toute épreuve! Maître Abou Dib restera dans la mémoire même de ceux et celles qui, sans le connaître, ont apprécié et admiré son extraordinaire talent de pénaliste, d'écrivain et de civiliste! Que son âme repose en paix! J'adresse une pensée émue et pieuse à Mme. Fifi Abou Dib et à toute sa famille
18 h 45, le 30 juillet 2016