Sur des photos, envoyées de la vallée de Qozhaya (l'une des deux parties de la vallée sainte de Qadicha, au Liban-Nord), on peut voir une route tracée et munie d'un mur de soutènement en pierres blanches, qui se dirige vers le très célèbre couvent Saint-Antoine de Qozhaya. Les traces de travaux fraîchement entrepris tranchent dans le panorama vert si reconnaissable de la vallée. Selon un témoin, qui connaît bien la vallée, les terrasses centenaires, qui ont toujours fait partie du paysage naturel et culturel de Qozhaya et de Qannoubine, et qui sont une des raisons du classement des deux vallées sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco, « ont été en partie aplaties, à l'endroit du chantier ». Il ajoute que des arbres fruitiers qui étaient plantés sur les terrasses ont été arrachés, ainsi que les pins parasols sur tout le parcours de la nouvelle route.
Comment des travaux, ayant nécessité un certain temps (indéfini) de réalisation, ont-ils pu passer inaperçus dans ce site, que l'Unesco a plus d'une fois menacé de retirer de sa liste en raison de multiples abus ?
Joe Kreidi, responsable du dossier du patrimoine au bureau de l'Unesco à Beyrouth, déclare avoir contacté la Direction générale des antiquités (DGA, qui relève du ministère de la Culture) dès qu'il a été notifié de la construction de cette route. Il rappelle, dans un entretien téléphonique avec L'Orient-Le Jour, que « tous les travaux dans des sites classés patrimoine mondial ne peuvent être entrepris sans une autorisation préalable de l'Unesco et des ministères concernés ». Il insiste sur le risque que de tels travaux défigurent le site et en modifient l'utilisation, ajoutant que l'Unesco attend le rapport officiel de la DGA pour savoir ce qui se passe et se prononcer sur l'affaire.
Une source officielle de la DGA indique à L'OLJ avoir envoyé une équipe d'inspection sur place lundi pour constater la nature des travaux entrepris, lesquels, a-t-elle confirmé, ont été effectués par le couvent Saint-Antoine de Qozhaya. Cette source ajoute qu'une plainte a été déposée à la gendarmerie et qu'un procès-verbal a été dressé à l'encontre des constructeurs de la route, qui n'avaient pas tenté d'obtenir, au préalable, une autorisation.
« Les travaux ont été stoppés de manière définitive, poursuit cette source. Nous avons placé cette route sur la liste des chantiers arrêtés, c'est-à-dire que les forces de l'ordre ont le droit d'intervenir en cas de reprise des travaux. » Elle souligne, en réponse à une question, que « les dégâts sont récupérables ».
(Pour mémoire : Sethrida Geagea : Les sites de Qadicha prochainement répertoriés)
« Rien de nouveau ! »
Interrogé sur le projet de route par L'OLJ, le père Mikhaël Fenianos, supérieur du couvent Saint-Antoine de Qozhaya, assure qu'« il ne s'agit pas d'une nouvelle route ». « C'est une ancienne route avec d'anciennes terrasses agricoles, qui étaient recouvertes de remblais, et que nous avons déblayées et réarrangées, affirme-t-il. Voilà pourquoi elle a attiré l'attention. » Selon lui, cette route mène vers un terrain vague qui était lui aussi couvert de remblais et où devait être situé un projet de parking dix-sept ans plus tôt. Un projet qui n'a jamais vu le jour et qui a été définitivement abandonné, précise-t-il.
Les travaux ont toutefois bien été arrêtés ? « Il n'y a pas eu de travaux qui auraient pu être arrêtés, insiste le supérieur du couvent. J'ai accompagné l'équipe d'inspection sur place pour leur montrer qu'il s'agissait bien de terrasses anciennes. » Le père Fenianos se défend de toute atteinte à l'environnement de la vallée. « Ce sont les moines qui ont fait cette vallée, est-ce possible qu'ils veuillent lui nuire à présent ? dit-il. Mais il faut bien continuer à rénover les lieux afin qu'ils soient praticables. »
(Pour mémoire : Placer la vallée de la Qadicha sur la carte touristique mondiale)
Notre témoin reste sceptique. « C'est une route qui n'a jamais existé auparavant, dit-il. Preuve en est, le mur de soutènement en pierres blanches, haut de plus de deux mètres, n'a rien d'une terrasse agricole antique. »
À la question de savoir pourquoi le couvent n'a pas demandé d'autorisation avant d'entreprendre son projet, le père Fenianos estime que ce sont des travaux de routine sur des terrains privés. Il évoque une autre affaire qui avait défrayé la chronique à Qozhaya : celle de la construction de ce qu'il appelle « un foyer » près du couvent. « On nous avait beaucoup attaqués lors de la construction de notre foyer et on s'est rendu compte finalement qu'il s'agissait d'un lieu de retraite spirituelle », affirme-t-il. La construction de ce bâtiment, près du couvent plusieurs fois centenaire, avait failli coûter à la vallée sa place sur la liste du patrimoine mondial.
Quelle que soit l'intention qui sous-tend l'affaire de cette route, il ne faut surtout pas perdre de vue l'essentiel : la nécessité de se raccrocher à la protection internationale – et locale – d'une vallée au patrimoine unique.
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commentaires (8)
J'ai oublié de mentionner une monstruosité qui n'a été relevée, ni par l'UNESCO, ni par la DGA. Il y a deux ans a été construit à Fradis (qui, autant que je sache est situé dans la Qadicha) un funérarium en béton, et ce, juste à côté d'un ancien ermitage! Bétonnée également la route qui y mène!
Yves Prevost
14 h 18, le 20 juillet 2016