Scandales dans l'athlétisme russe, l'haltérophilie bulgare, soupçons sur le Kenya, mise au jour de cas positifs datant de Pékin et Londres et, pour couronner le tout, suspension du laboratoire de Rio... Jamais les Jeux olympiques ne s'étaient préparés dans une ambiance aussi délétère sur le front de l'antidopage.
Un mois avant les Jeux, le Comité international olympique (CIO) se satisfaisait habituellement de menacer les tricheurs de contrôles de plus en plus nombreux (4 770 tests en 2008, 6 250 en 2012), de plus en plus fiables grâce à de nouvelles méthodes de détection, et de sanctions exemplaires. Aujourd'hui, le désordre règne. Les révélations sur le système de dopage institutionnalisé en Russie, la disqualification prononcée ou en suspens de contingents entiers de sportifs et les coups de théâtre à attendre dans les trois semaines à vivre avant la cérémonie d'ouverture ébranlent le premier événement sportif planétaire.
Critiqué sur le coût exorbitant de ses fêtes quadriennales, le CIO ne peut se permettre de laisser s'aligner des athlètes douteux à Rio et d'encaisser de nouveaux scandales. Après l'édition mouvementée d'Athènes en 2004, marquée par une trentaine d'infractions (dont 8 champions olympiques), Pékin et Londres avaient suggéré un recul des cas de dopage. Jusqu'aux résultats des analyses rétroactives qui ont révélé, fin mai dernier, 31 cas positifs pour les Jeux de 2008 et 23 pour les suivants.
Quels Russes au Brésil ?
« Un nouveau gros scandale de dopage aux Jeux serait préjudiciable pour le CIO déjà attaqué pour avoir donné des Jeux d'hiver ruineux à Sotchi et Pékin pour 2022 », estime un membre de l'institution olympique.
Le nettoyage, pourtant, ne passe pas par le CIO. Maître d'œuvre durant la période olympique (neuf jours avant l'ouverture, trois jours après la clôture), il laisse en amont aux fédérations internationales le soin de conduire les contrôles et de décider de l'éligibilité des athlètes. La Fédération internationale d'haltérophilie, de longue date dans le collimateur, a rempli sa part de contrat en déclarant dès août 2015 les leveurs de fonte bulgares inaptes à concourir au Brésil en raison de trop nombreuses infractions. D'autres, Kazakhs, Géorgiens, Russes, sont encore en sursis, notamment au regard des analyses rétroactives de 2008 et 2012. La boxe s'est fait sermonner par le CIO pour sa légèreté sur les contrôles en amont des Jeux. La natation encore est dans le viseur, également chez les Russes.
Mais l'athlétisme reste le gros point noir à l'heure où la plupart des sportifs entrent dans leur préparation terminale. Convaincue de dopage institutionnalisé au terme d'une enquête diligentée par l'Agence mondiale antidopage (Ama), suspendue par la Fédération internationale (IAAF), la Fédération russe d'athlétisme a fait demander par l'intermédiaire de son Comité olympique (ROC) le repêchage de 68 athlètes. Dans sa sanction, l'IAAF avait en effet laissé la possibilité de plaider leur cause aux athlètes « s'entraînant à l'étranger » et donc « contrôlés via d'autres systèmes antidopage » que le russe, « pourri jusqu'à l'os », selon la formule du vice-président australien du
CIO, John Coates.
Analyses : où, quand, comment, par qui ?
Saisi, le Tribunal arbitral du sport (Tas) doit se prononcer avant le 21 juillet sur la recevabilité de la requête ; à trois semaines du coup d'envoi des épreuves olympiques d'athlétisme. Parmi les candidats, la double championne olympique (2004/2008) de saut à la perche Yelena Insinbayeva, entraînée depuis toujours dans son club de Volgograd, a menacé de traîner l'IAAF en justice en cas de non-qualification.
Pour ajouter à la migraine du CIO, Rio a vu son laboratoire antidopage priver de son accréditation par l'Ama, le 24 juin, pour avoir produit des cas faussement positifs. Une situation aussi inédite qu'inextricable. À quelques jours de l'ouverture de la période olympique, le CIO ne sait donc toujours pas où, par qui et comment seront analysés les milliers d'échantillons prélevés au Brésil. Plusieurs laboratoires ont été sollicités pour remplacer au pied levé celui de Rio s'il devait ne pas récupérer son accréditation d'ici à quelques jours. Une possibilité encore à l'étude.
Même analysés dans des conditions optimales, les échantillons positifs risquent de demeurer muets. De nombreux produits et méthodes restent à ce jour indécelables. L'hormone de croissance (hGH) et son dérivé l'IGF1 ont une fenêtre de détection très courte. Les transfusions sanguines ne sont pas détectables de même que les microdoses d'EPO... Elles le seront peut-être d'ici à Tokyo 2020, laissant augurer de nouveaux casse-tête.
(Source : AFP)
Quelques cas qui ont marqué les JO
- 1960 : Le cycliste danois Knut Jensen meurt à la suite d'une chute lors de la course sur route des Jeux de Rome, après avoir absorbé une dose massive de stimulants. Ce décès, puis celui de Tom Simpson lors du Tour de France 1967, incite le CIO à se doter d'une commission médicale et à édicter une liste des produits interdits.
- 1968 : Premiers contrôles antidopage aux JO, à Grenoble et Mexico. Le premier sportif convaincu de dopage est un pentathlète suédois, Hans Gunnar Liljenvall... pour usage d'alcool !
- 1988 : Le Canadien Ben Johnson fait sensation en remportant le 100 m en 9 sec 79, nouveau record du monde, devant la star américaine Carl Lewis. L'annonce de son contrôle positif au stanozolol (stéroïde anabolisant) provoque un immense scandale, le tout premier lié au dopage dans l'histoire des JO.
- 2000 : Le lanceur de poids américain C.J. Hunter est banni des Jeux de Sydney après avoir été contrôlé positif à la nandrolone. Ce qui n'empêchera pas sa femme Marion Jones de rafler cinq médailles, dont trois d'or. Mais sept ans plus tard, acculée par la justice américaine, la sprinteuse américaine avoue avoir pris des produits dopants fabriqués sur mesure par le laboratoire Balco. Le CIO lui retirera toutes ses médailles. Marion Jones n'a jamais été contrôlée positive. Mais ses mensonges l'ont conduite à passer six mois en prison en 2008.
- 2002 : Sous la houlette de son nouveau président, Jacques Rogge, la politique antidopage du CIO s'accélère. Sept cas positifs sont recensés aux Jeux d'hiver de Salt Lake City, alors qu'il n'y en avait eu qu'une poignée entre 1924 et 1998. Trois concernent des médaillés d'or en ski de fond, les Russes Larissa Lazutina et Olga Danilova et l'Espagnol Johann Mühlegg, qui sont contrôlés positifs à l'Aranesp, la dernière EPO de l'époque, grâce à la collaboration du groupe pharmaceutique la produisant.
- 2004 : Les Jeux d'Athènes sont les premiers régis par le code mondial antidopage. Les sprinteurs grecs Kenteris et Thanou, qui vont jusqu'à simuler grossièrement un accident de moto pour tenter d'échapper à un contrôle, en font les frais en étant exclus des Jeux. Au total, 26 infractions antidopage sont enregistrées à Athènes, un record.
- 2008/2012 : Plus que les contrôles positifs d'athlètes de second plan aux Jeux de Pékin et Londres, les analyses complémentaires menées dans les mois et les années suivantes marquent un nouveau pas décisif. La mise au point d'un test de détection de l'EPO-Cera incite le CIO à vérifier tous les échantillons sanguins des Jeux 2008. Cinq sportifs sont pris, dont le champion olympique du 1 500 m, Rashid Ramzi (Bahreïn), et le médaillé d'argent de cyclisme sur route, l'Italien Davide Rebellin.