Il est des personnes, mon père, qui, comme toi, n'ont pas besoin d'écrits pour preuve d'avoir existé. Leur souvenir se grave dans les cœurs et se perpétue dans la mémoire. Leur histoire devient légende et se transmet par tradition de génération en génération. L'encre s'assèche et ton action demeure pérenne. En somme, on apprend de toi à faire comme toi. Mais même ! Tu restes ici, entre ciel et terre, interdit et surpris par ma réticence à prendre la plume ou le clavier et à déverser tout ce qui me remue... à inscrire des syllabes et à me jouer des mots... moi qui n'ai jamais hésité à rendre hommage à qui j'admire ou respecte. Ma pudeur ? Nos secrets ? Ma discrétion ? Peu importe pour toi ces excuses, tu estimes que je te devais bien un dernier hommage. Toi qui adorais mes écrits, les intimes et les publics, et te plaisais tant à les distiller à tes amis pour guetter leur réaction et bomber ton torse. Tu étais fier ! Oui, je te le dois cet écrit pour toi plus que pour moi et pour moi aussi encore plus que pour toi... pour clamer à mon tour toute ma fierté d'être ton fils.
Avec toi, il n'y a pas de commencement car il n'y aura jamais de fin. Pour preuve, quand j'ai reçu du curé du village l'enregistrement de la cérémonie d'adieu, je me suis empressé de te la transmettre sur ta messagerie pour la partager avec toi et la commenter comme à notre habitude. Les gens te pleurent encore et te regrettent déjà. Depuis ton départ, ton absence est assourdissante et pesante. Les témoignages d'estime et de désarroi pleuvent sans discontinuer. Répondre aux missives et aux divers messages devient un deuxième métier pour moi. Les éloges sont unanimes : cheikh el-awadem, le généreux, le gentleman, l'élégant, l'ami, le modéré, le prince, le charismatique, l'inoubliable, et j'en passe. Tu as vécu d'amour avec les autres et pour les autres. Jamais une mauvaise intention, jamais une insulte et jamais de conflits. L'autre pour toi était toujours digne d'estime et de respect. Tu as chéri la vie jusqu'à la mort et elle te l'a bien rendue. Tu as su rester digne et courageux jusqu'à la fin sans plainte ni complainte. Tu resteras une légende, une thahira pour tous ceux qui t'ont connu et l'ont partagée avec toi. Et nous ? Nous on a fait comme tu aimes. On est restés droits, affables, attentionnés, agréables et souriants à tous tes amis et proches venus te rendre un dernier hommage. On n'a failli à aucune obligation. Tout était parfait comme tu te plaisais à dire. Mais au fond, l'orage grondait et notre intérieur était dévasté par les flammes qui brûlaient tous nos organes et asséchaient nos larmes. Aujourd'hui, il faut tout reconstruire et reboiser ce qui a été détruit. Mais cette graine faite de plusieurs semences que tu as générée saura le faire. Père ! Aujourd'hui, je reviens à mes habitudes d'il y a quarante ans quand, au temps des premières barbaries de la guerre, tu avais perdu, coup sur coup et tragiquement, ton grand amour et ton premier ouvrage professionnel et avais été obligé d'aller en Arabie trouver un moyen pour subvenir aux besoins de trois petits orphelins. Je m'installe au balcon, la nuit venue, hanté par l'obscurité et le silence, guettant les bruits familiers en attendant ton retour proche. Mais cette fois il n'y aura plus de retour visible... Dis père, quand reviendras-tu ?
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Un géant au cœur d’or
OLJ / Par Karim Antoine DAHER, le 08 avril 2016 à 00h00
Il est des personnes, mon père, qui, comme toi, n'ont pas besoin d'écrits pour preuve d'avoir existé. Leur souvenir se grave dans les cœurs et se perpétue dans la mémoire. Leur histoire devient légende et se transmet par tradition de génération en génération. L'encre s'assèche et ton action demeure pérenne. En somme, on apprend de toi à faire comme toi. Mais même ! Tu restes ici, entre ciel et terre, interdit et surpris par ma réticence à prendre la plume ou le clavier et à déverser tout ce qui me remue... à inscrire des syllabes et à me jouer des mots... moi qui n'ai jamais hésité à rendre hommage à qui j'admire ou respecte. Ma pudeur ? Nos secrets ? Ma discrétion ? Peu importe pour toi ces excuses, tu estimes que je te devais bien un dernier hommage. Toi qui adorais mes écrits, les intimes et les publics, et...
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