Une procession à la place de la Mangeoire, à Bethléem. Les Palestiniens ont célébré Noël dans la morosité cette année. Ammar Awad/Reuters
« La situation politique actuelle nous suggère de modérer l'éclat des célébrations », prévenait dès mi-décembre Fouad Twal, plus haute autorité catholique romaine en Terre sainte. Le patriarche faisait référence à la récente flambée de violences entre Israéliens et Palestiniens. Déjà, à quelques jours de Noël, une certaine morosité était palpable au cœur de Bethléem : les touristes se faisaient rares et certains commerçants annonçaient des pertes record... Enfin, l'incontournable messe de minuit, tenue en une église Sainte-Catherine pleine, fut dédiée à toutes les victimes de la violence et du terrorisme : émouvant pour certains fidèles, mais déprimant pour d'autres.
Jamal Khader, prêtre du patriarcat latin et recteur du séminaire latin de Beit Jala, ville voisine de Bethléem, a lui aussi trouvé l'atmosphère un peu étrange : « On a célébré une vraie Noël, avec le ton juste, mais, en dehors des cérémonies, la vie reste difficile ici, on voit de moins en moins la possibilité d'une paix juste et de plus en plus d'inquiétudes. »
À Bethléem, tout le monde est d'accord : les chrétiens sont une minorité influente des territoires palestiniens. Pourtant, impossible de se mettre d'accord sur un chiffre. Il y aurait entre 12 000 et 7 500 chrétiens, orthodoxes et catholiques confondus – moins d'un tiers des habitants de la localité. Conclusion : tout le monde se connaît.
Pendant plusieurs jours, un complexe va-et-vient est donc mis en place : on se visite, on s'appelle, on s'offre des cadeaux et on boit du vin du monastère de Crémisan, coincé entre deux colonies à 5 kilomètres au nord de Bethléem ; ou de l'arak Sabat, aussi fabriqué localement.
Dans les conversations, les sujets classiques reviennent : la mère de Nicole s'inquiète des fréquentations de sa fille de 16 ans, tandis que les cousins de Maher, 34 ans, ne se lassent pas de lui demander quand il compte se marier. Cette année, élément de nouveauté, une rumeur se faufile aux tables de réveillon : Daech – ou une organisation similaire – menacerait la ville. Personne ne sait trop d'où vient ce bruit, mais il court depuis plusieurs mois déjà et donne lieu à de vibrants débats.
(Reportage vidéo : Dans la ville du Christ, pas d'effervescence pour Noël)
Une certaine paranoïa prive ainsi Bethléem de l'une de ses attractions les plus fameuses : sa culture de la fête. Depuis plusieurs semaines déjà, la vie nocturne tourne au ralenti. Maher a quitté la pression familiale pour rejoindre une fête dans un hôtel chic de la route de Beit Sahour, près du champ des bergers, là où, selon la légende, les anges annoncèrent la naissance de Jésus. Il ira jusqu'à Jérusalem le lendemain, « en espérant ne pas dormir, car il y a moins de fêtes que d'habitude, donc on doit vraiment en profiter ! »
Peter Hosh, qui s'enorgueillit d'avoir ouvert le premier club de Palestine, le Cosmos, affirme qu'on l'appelle tous les jours pour savoir quand aura lieu la prochaine soirée. « Par respect pour une situation très tendue, je ne veux pas organiser d'événements trop festifs », souligne l'homme au crâne rasé – parfois surnommé le David Guetta local. Résultat : son club de plus d'une centaine de mètres carrés est totalement vide ce soir du 25 décembre, et il chantonne des airs de Georges Wassouf, accompagné d'un vieux copain, en se remémorant les 25 décembre précédents (« la folie, les filles, la fête ! »).
Il n'est plus temps de faire la fête pour Georges el-Ama, chroniqueur le plus dévoué de l'histoire locale. « Je peux comprendre que les gens se fassent du souci, notamment en tant que chrétiens au Moyen-Orient, mais on a vraiment tellement de choses à faire avant de parler boîte de nuit... » se désole ce collectionneur d'art.
L'homme de 34 ans est issu d'une famille très ancienne, réputée dans la région pour son rôle dans l'industrie du pèlerinage. Il documente depuis plus d'une décennie l'héritage de la ville – ses recherches pour le Centre pour la préservation du patrimoine culturel de Bethléem (CCHP) ont d'ailleurs contribué à faire inscrire la vieille ville au patrimoine de l'Unesco en 2012. À force d'avoir le nez dans les archives, il a acquis la conviction que « Bethléem a perdu son rang ». Voilà le programme qu'il se donne pour 2016 « et toutes les années qui suivent » – et d'inviter une communauté chrétienne locale qu'il trouve « relativement unie » à le rejoindre.
Diaporama
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