L'élan humanitaire et de générosité des Canadiens, qui avait poussé le futur Premier ministre à promettre l'accueil de 25 000 réfugiés syriens d'ici à Noël, faiblit après les attentats de Paris, mais Justin Trudeau maintient son objectif. Cet objectif, lancé sous forme de surenchère en pleine campagne électorale par le Premier ministre depuis un mois, pourrait représenter un premier écueil politique pour le nouveau gouvernement.
Les attentats de Paris et notamment la découverte d'un passeport syrien près d'un kamikaze font craindre au Canada que des éléments radicalisés ne se glissent sous le statut de réfugiés. Une crainte alimentée par le souvenir des attaques il y a un peu plus d'un an au Québec et au Parlement d'Ottawa par deux jeunes jihadistes. « Nous n'avons pas attendu la tragédie de Paris pour réaliser tout à coup que la sécurité était importante » dans le dossier des réfugiés syriens, a martelé Justin Trudeau, pressé de questions depuis le début de la semaine concernant sa décision d'arrêter les frappes aériennes contre le groupe État islamique quand ses alliés veulent au contraire accentuer l'intervention militaire. Pour atteindre son objectif, M. Trudeau doit compter sur les provinces, notamment l'Ontario et le Québec – dirigées par un gouvernement libéral – qui doivent accueillir la moitié des 25 000 réfugiés syriens.
« Pour être franche, je ne suis pas certaine que ce soit possible » d'accueillir autant de réfugiés en si peu de temps, a estimé la ministre québécoise de l'Immigration Kathleen Weil. Un sentiment partagé par son collègue de la Sécurité publique, Pierre Moreau, qui a parlé d'objectif « irréaliste ». Ces deux membres du gouvernement de la province francophone ont immédiatement été recadrés par leur Premier ministre Philippe Couillard, même si, à mots couverts, il convient de la difficulté en parlant d'un objectif « exigeant et ambitieux » et en renvoyant la balle dans le camp fédéral pour fournir les moyens nécessaires.
« Pas des terroristes »
Il faut accueillir les réfugiés syriens, « mais cela ne veut pas dire que nous devons le faire dans l'urgence », a estimé Jabeur Fathally, professeur à l'université d'Ottawa et spécialiste du Moyen-Orient. « Un retard de quelques mois ne fera pas de réelle différence » pour le demandeur alors que « les conséquences d'une précipitation peuvent être importantes », a-t-il confié.
L'opinion publique est divisée sur la question, comme en témoignent deux pétitions sur les réseaux sociaux, sans valeur statistique : l'une favorable aux réfugiés a recueilli environ 45 000 signatures, et l'autre, contre les « immigrés », plus de 70 000. M. Fathally ne pense pas que « les Canadiens reprocheront à M. Trudeau » de faire une entorse à sa promesse de campagne « compte tenu des circonstances ».
À l'inverse, le professeur de droit international Errol Mendes remarque que cette promesse peut être honorée car les réfugiés sont actuellement dans des camps en Jordanie, au Liban ou en Turquie, parfaitement identifiés et « évalués par les responsables de l'Onu » sur leurs intentions ou leur passé.
Cela n'a rien de comparable « avec les centaines de milliers de migrants sans papier qui sont arrivés en Europe », a-t-il relevé, estimant qu'il était important de montrer que le Canada était accueillant envers les musulmans.
L'incendie d'une mosquée à Peterborough (Ontario) au lendemain des attentats de Paris qui ont fait au moins 129 morts ou l'agression d'une femme voilée lundi à Toronto sont deux « crimes haineux » venant « semer la division et alimenter des tensions contre des populations musulmanes », a en outre estimé M. Mendes. « L'agression anti-islam d'une mère à Toronto (...) est répugnante et inacceptable », a accusé, pour sa part, le maire de la ville John Tory. La réponse de Toronto à « la crise humanitaire affrontée par les réfugiés syriens » doit être faite « avec tolérance et en toute sécurité pour la communauté ».
Un message d'apaisement relayé par Philippe Couillard qui demande aux Québécois de faire preuve « d'accueil et de solidarité », car « ce sont des victimes que nous accueillons, pas des terroristes ».
Michel COMTE/AFP