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Liban

Nadine Moussa dénonce la politique des deux poids, deux mesures pratiquée par l’État

L'avocate et activiste, qui s'est portée volontaire pour la défense et la protection des manifestants, évoque les irrégularités liées à l'arrestation de Pierre Hachache et Waref Sleiman.

Les membres du mouvement de contestation évoquent souvent « un droit constitutionnel sacré » à manifester et à occuper les lieux publics. Sur quel fondement ?
Le droit de manifester fait partie intégrante des libertés publiques consacrées par la Constitution. Dans une démocratie digne de ce nom, les libertés publiques, placées au même rang que la liberté d'opinion, doivent être consacrées. Les manifestants qui ont déferlé dans la rue cherchaient tout simplement à exprimer leur colère et leur dégoût à l'égard du pouvoir et de la classe politique.
La place de l'Étoile est une place publique. Les autorités sont tenues de justifier l'interdiction des citoyens d'y accéder ainsi que le cordon de sécurité imposé autour du Parlement qui est illégitime. Notre but n'est certainement pas de semer le chaos, mais de parvenir à faire entendre notre voix. Les manifestants ont informé par écrit le ministère de leur intention d'arriver à la place de l'Étoile et désigné l'équipe responsable. Toutes les mesures légales ont été prises.

 

Quid du ministère de l'Environnement occupé quelques heures durant, le 1er septembre dernier, par les manifestants ?
Pour ce qui est de l'accès au ministère de l'Environnement, il faut insister sur le fait que les manifestants sont entrés dans le bâtiment en tant que citoyens pacifiques privés de leur droit à la santé et à la vie actuellement menacées par les déchets. Il n'y a eu aucune atteinte à la continuité du service public. La loi sanctionne uniquement ceux qui font obstruction au secteur public, ce qui n'a pas été le cas.
Ils sont venus dire au ministre qu'il doit s'en aller après avoir prouvé son incapacité à gérer la crise des déchets. Les autorités ont recouru dans ce cas précis à la loi sur les Forces de sécurité intérieure (FSI), qui prévoit que celles-ci doivent veiller aux institutions. Elles ont considéré qu'il y a eu une agression contre le ministère. Mais on oublie que les forces de l'ordre doivent également veiller à la protection des libertés publiques et des citoyens.

 

On accuse les manifestants de graves dérapages. Qu'en pensez-vous ?
Pour ce qui est de la responsabilité des organisateurs sur place, elle a été assumée jusqu'au bout lors de toutes les manifestations. Ces derniers demandaient à chaque fois à des volontaires de former un cordon humain pour empêcher certains manifestants de s'en prendre aux forces de l'ordre et pour éviter les troubles.
Nous ne pouvons pas empêcher des citoyens que nous ne connaissons pas d'accéder à une place publique, en l'occurrence de rejoindre la manifestation qui est ouverte à tout le monde. Bien sûr, le risque existe de voir des personnes se glisser dans la foule et susciter des troubles. Certains veulent exprimer leur frustration. Ils sont furieux. La pauvreté et la misère dues à une classe politique qui a fait faillite à tous les niveaux sont à la mesure de leur colère. Ils viennent réclamer leurs droits.
Il faut bien admettre que certains d'entre eux ont effectivement commis des actes sanctionnés par la loi. Les organisateurs ont fait de leur mieux pour les encadrer. Ils ont continuellement coordonné avec les forces de l'ordre sur le terrain pour éviter et empêcher les débordements. Ils ont fait preuve de beaucoup de responsabilité. Mais il est irréaliste de dire que nous pouvons contrôler chaque élément sur place.
Le problème est le fait que les autorités appliquent le principe des deux poids, deux mesures. Lors d'une manifestation en septembre dernier, quelques éléments perturbateurs sont venus avec des couteaux. Les protestataires les ont encerclés et ont appelé les forces de l'ordre. Cependant, les FSI, qui les connaissaient parfaitement et disposaient de bandes vidéo montrant ce qu'ils ont fait, se sont contentées de leur demander de quitter les lieux et n'ont pas pris la peine de les arrêter.


Par contre, elles se sont dépêchées d'arrêter Pierre Hachache et Waref Sleiman, le 8 octobre, sous prétexte qu'ils ont osé toucher aux fils barbelés érigés par les forces de l'ordre. Ici, nous sommes en plein déséquilibre.
Pierre Hachache et Waref Sleiman ont été accusés de crimes qu'ils n'ont pas commis. Dans les faits, qui sont d'ailleurs corroborés par plusieurs témoins sur place, ils ont été les premiers à être arrêtés alors que la manifestation venait à peine de démarrer. À ce moment précis, il n'était pas question encore de vandalisme, ni de casse ni de jets de pierre, encore moins d'agression visant les propriétés privées (l'hôtel Le Gray).
Les autorités les ont accusés d'avoir provoqué des troubles, et maltraité et agressé les éléments des FSI considérés comme fonctionnaires d'État, ce qui est absurde puisque la manifestation n'avait même pas encore commencé.
La justice ne peut éventuellement que les accuser d'avoir tenté d'enlever les barbelés, un acte qui n'est pas contre la loi. On ne trouve rien dans les textes sur l'interdiction de toucher au cordon sécuritaire. Cette accusation est fondée sur la loi relative à la « destruction d'équipements militaires ». Il s'agit d'une terminologie qui est utilisée en état de guerre. Sommes-nous en état de guerre pour parler d'équipements militaires ? C'est une interprétation extensive qui est inacceptable. Par conséquent, on en déduit qu'il s'agit clairement d'une détention politique. Il faut d'ailleurs savoir que Pierre Hachache est un leader d'opinion qui avait une manière humoristique de communiquer ses messages politiques. Par conséquent, il constituait un danger d'autant plus grand pour le pouvoir politique qu'il avait une influence énorme sur l'opinion publique.
Waref Sleiman, quant à lui, est une personne des plus pacifiques, un jeune homme d'une grande culture. C'est un philosophe, un résistant à la manière de Gandhi.
Par ailleurs, le fait de les déférer devant le tribunal militaire, qui est un tribunal d'exception chargé de juger seulement les crimes d'État et ceux commis contre la sécurité de l'État, et non des personnes civiles, est contraire à tous les critères internationaux d'un procès juste et équitable.

 

Sur quelles bases accusez-vous les autorités d'avoir commis des erreurs procédurales dans le cadre de l'arrestation de Pierre Hachache et Waref Sleiman?
Dans les faits, l'arrestation des activistes est entachée de plusieurs violations des procédures prévues par la loi. Tout d'abord, les forces de l'ordre et la police judiciaire ne nous ont pas communiqué immédiatement les noms des personnes arrêtées, ni le lieu de leur détention. Plusieurs d'entre elles étaient gravement blessées et n'ont pas eu droit à voir le médecin légiste.
Elles ont également refusé de permettre aux détenus de voir leurs avocats. L'arrestation provisoire est théoriquement de 48h, renouvelables une seule fois dans les grands crimes d'État. Elles ont été détenues douze jours. S'agit-il ici d'un comportement digne d'un État ou plutôt de celui de mafias organisées ?
Enfin, à tous ceux qui affirment qu'en Occident les forces de l'ordre recourent à des moyens musclés pour réprimer les manifestants, je réponds : donnez-nous une démocratie et des droits comme ceux qui existent en Occident, rendez aux citoyens libanais leur dignité, et nous rentrerons chez nous.

 

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Les membres du mouvement de contestation évoquent souvent « un droit constitutionnel sacré » à manifester et à occuper les lieux publics. Sur quel fondement ?Le droit de manifester fait partie intégrante des libertés publiques consacrées par la Constitution. Dans une démocratie digne de ce nom, les libertés publiques, placées au même rang que la liberté d'opinion, doivent être...

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