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Liban - Tribune

Faits divers... et d’été

Le mercure grimpe, les esprits s'échauffent. Il y a quelque chose d'étrangement œdipien dans la tragédie qui vient de se dérouler quasi en direct sous nos yeux, sur les écrans de nos portables, avant d'emplir les écrans de nos télévisions: pour une vulgaire question de priorité de passage, un proscrit par sa famille, un Yatim, s'est acharné contre un père, a tué un père.
L'engrenage fou se serait-il enclenché si les deux hommes n'étaient pas accompagnés chacun d'une femme? La virilité de chacun étant menacée devant témoin. Et quelle témoin? Comment accepter la blessure narcissique d'être moins mâle que le mâle qui se trouve dans la voiture qui croise son chemin ? Chacun devant prouver à sa femelle qu'il est le plus fort. Aucun n'acceptant « le narcissisme de la petite différence ». Parlons-nous de lions ou d'hippopotames ? Non, nous parlons de Beyrouthins revenus à la loi de la jungle et pour cause. Freud a dit en substance que le premier homme à jeter une insulte plutôt qu'une lance est le fondateur de la civilisation.
Et celui qui reprend son couteau pour écraser le visage de l'autre détricote-t-il la civilisation ?
Les femmes, les mères semblent assister impuissantes. Mais qui élève les enfants, les garçons dans cette logique du mâle dominant ? C'est dans le regard admiratif de leurs mères que les hommes cherchent et trouvent la consécration de leur virilité, la preuve « qu'ils en ont ».
Où sont les femmes, les mères, les sœurs pour dire halte à ce fonctionnement social malade ?
Où sont les pères pour défusionner ces dyades mère-enfant mortifères? Où est la loi?
À l'origine de cette régression, de cette violence, il y a aussi et surtout « la » guerre, ses pratiques, ses mœurs, mais surtout cette page tournée de force et qui n'en finit plus de craquer laissant sourdre, sous couvert d'amnésie, une colère et une rage qui s'expriment par la violence. L'amnésie n'est en fait que refoulement. Et ceux qui refoulent doivent s'attendre au «retour du refoulé». Surtout ces acteurs qui, à quelques exceptions près, sont les mêmes depuis quarante ans. Et si ce n'est eux, ce sont leurs fils, filles, veuves, frères ou bien quelqu'un des leurs. Pourquoi les Libanais continuent-ils de confier leur sort à une bande de faillis, à la partie la plus malade d'eux-mêmes ? Les réactions à l'assassinat de Georges Rif épousent, sur les réseaux sociaux, la ligne de fracture entre le 8 et le 14 Mars, entre Aoun et Geagea ! Depuis 25 ans, ces deux-là n'en finissent pas de jouer leur énième combat. S'ils étaient plus inquiets du sort de leur communauté que du leur, ils iraient livrer leur dernier duel sur un autre pré, permettant l'émergence d'une nouvelle génération. Y a-t-il candidats à tuer symboliquement ces pères-là ?
Où sont les citoyens impatients de construire un nouveau « vivre-ensemble » et une société qui n'assiste pas, impassiblement, à son acmé ?
Indifférence, impuissance, léthargie ou résignation? Comment qualifier les passants «du sans-souci » qui assistent passivement à l'achèvement d'un homme, sur le trottoir, là, à quelques pas, à un jet de chaussure ? Alors que neuf fois sur dix, les embouteillages sur les autoroutes sont occasionnés par le ralentissement des véhicules qui veulent grappiller des visions macabres en cas d'accident. Konrad Lorenz a dit que nous retomberions dans la barbarie s'il n'y avait à chaque coin de rue un boucher et un policier. Il y a un commissariat à Gemmayzé et... un boucher depuis ce 14 juillet. Craint-il le châtiment ? Pas jusque-là, puisque l'impunité qui sévit depuis 1990 continue de faire des petits. Les hommes sont égaux, mais certains sont plus « ego » que d'autres. Alors, les autres assistent mais passent leur chemin et n'assistent pas la personne en danger.
Où est l'État détenteur du monopole légitime de la violence ?
Instituer et appliquer le code de la route, sur laquelle s'est déroulée la tragédie, c'est bien. Restaurer l'autorité et la loi, c'est mieux. C'est indispensable. Ça passe aussi par l'élection d'un président de la République qui occuperait, même et surtout symboliquement, la place – laissée vide – du père.
Car : qu'est-ce qu'une société sans père-repère ? C'est celle où on accepte de vivre et d'assister à des explosions sporadiques de barbarie, qu'on qualifie pudiquement, la mort dans l'âme, de faits divers.

Carla YARED
Psychanalyste

Le mercure grimpe, les esprits s'échauffent. Il y a quelque chose d'étrangement œdipien dans la tragédie qui vient de se dérouler quasi en direct sous nos yeux, sur les écrans de nos portables, avant d'emplir les écrans de nos télévisions: pour une vulgaire question de priorité de passage, un proscrit par sa famille, un Yatim, s'est acharné contre un père, a tué un père.L'engrenage...

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