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Moyen Orient et Monde - Un œil sur le Moyen-Orient

Le cimetière des modérés

Le président de la Coalition nationale de l'opposition syrienne, Khaled Khoja, annonçait durant le week-end dernier, depuis Washington, « un changement important dans la politique de certains pays qui soutiennent l'opposition syrienne ». Selon lui, les États-Unis seraient prêts à lever leur veto sur l'acquisition par l'Armée syrienne libre (ASL) de missiles sol-air, et le régime syrien pourrait tomber à tout moment.
Si tant est qu'elles soient exactes, ces déclarations soulèvent au moins deux interrogations. Un : quel est le poids de M. Khoja et celui des combattants de l'ASL en Syrie à l'heure actuelle ? Deux : selon quelle logique les Américains auraient changé d'avis ? Hier, ils craignaient que ces armes ne tombent entre les mains d'organisations terroristes. Or aujourd'hui, ces terroristes-là sont non seulement légion, mais ils se déclarent de plus en plus ouvertement. La livraison de ces armes américaines est donc pour le moins improbable, d'autant plus que certains groupes qui combattent sous le drapeau de l'ASL collaborent déjà, au niveau militaire, avec le Front al-Nosra, qualifié de « terroriste » par Washington.

Sans nul doute, le caractère asymétrique de la guerre syrienne a contribué à dynamiter les lignes de démarcation entre modérés et radicaux. Mais le résultat est bien là : les modérés sont de moins en moins nombreux et ont surtout de moins en moins de poids. Et plus la guerre se prolongera, plus inaudible sera leur voix.
Seul un accord entre l'Iran et l'Arabie saoudite semble aujourd'hui pouvoir offrir une perspective de mettre fin à cette guerre. Mais ce rapprochement relève pour l'instant purement et simplement de l'utopie. Malgré les discours pleins de bonne volonté des deux modérés iraniens, le président Hassan Rohani et le ministre des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif, qui appellent au dialogue régional et à la non-ingérence dans les affaires internes des pays arabes, Téhéran continue de faire tout le contraire sur le terrain. Comment un pays directement ou indirectement impliqué au Liban, en Syrie, en Irak et au Yémen, et dont certains dirigeants multiplient les déclarations provocatrices sur la constitution d'un nouvel empire dans le monde arabe, peut-il être perçu comme un partenaire aux yeux des Saoudiens ?

De leur côté, ces derniers sont tellement hantés par l'idée d'une normalisation des relations entre Téhéran et Washington qu'ils sont en train de brouiller leur image de « modérés ». En bombardant les houthis, en insistant auprès des autres dirigeants des pays participant à la coalition sunnite pour envoyer des troupes au sol, ce qui pourrait expliquer les récentes visites de Mohammad VI, de Abdel Fattah el-Sissi et de Nawaz Sharif à Riyad, le royaume wahhabite contribue à l'escalade régionale et l'exacerbation des tensions sectaires. Le récent remaniement par le roi Salmane permet au clan des Soudaïri d'occuper l'essentiel du pouvoir, mettant ainsi un terme à la longue tradition de consensus qui organisait jusque-là les rapports au sein de la famille royale. La promotion des deux hommes forts de la guerre au Yémen, Mohammad ben Nayef et Mohammad ben Salmane, surnommés les Mohammadeïn (les deux Mohammad) en Arabie saoudite, s'inscrit dans cette transformation de la politique régionale saoudienne qui se radicalise à mesure que les secousses se multiplient dans la région.


(Lire aussi : Paris, partenaire privilégié de l'axe du Golfe face à Téhéran)


Alors où sont passés les modérés dans ce Moyen-Orient à feu et à sang ? Dans l'Égypte de Sissi ? Ou dans la Turquie d'Erdogan ?
En Égypte, et de l'avis des ONG, la répression est pire que pendant les années Moubarak. Aux Frères musulmans était reproché, à raison, le fait qu'ils se comportent comme les propriétaires de l'État. L'armée égyptienne n'a même pas besoin de « faire comme si », puisqu'elle ne contrôle pas moins de 30 % de l'économie égyptienne. En Turquie, règne l'hyperprésident Recep Tayyip Erdogan. Après avoir été considéré comme un modèle parce qu'il avait réussi à marier islamisme et démocratie, le voilà qui dérive de plus en plus vers un régime autoritaire, comme s'il voulait être à la fois juge et partie...

Reste Israël, si tant est que quiconque puisse qualifier de « modéré » un gouvernement israélien, de droite de surcroît... La réélection du Premier ministre Benjamin Netanyahu, avec le débat sur l'identité juive en toile de fond, semble enterrer tout espoir de processus de paix avec les Palestiniens. Et ce ne sont pas les révélations de l'ONG Breaking the Silence sur le comportement des soldats israéliens durant l'opération Bordure protectrice à Gaza l'été dernier qui risquent d'arranger les choses : elles n'ont fait que confirmer l'immoralité et l'inhumanité des actes d'une grande partie de l'armée israélienne.

Ni l'Iran, ni l'Arabie saoudite, ni l'Égypte, ni la Turquie, ni Israël, ni la Syrie des Assad, ni les rebelles pro-el-Qaëda, ni le Hezbollah, ni les milices irakiennes, ni le Hamas, ni les Kurdes, ni les houthis ne peuvent aujourd'hui se prévaloir de l'appellation de modérés. Ils contribuent tous, à différentes échelles, à faire de cette région un immense cimetière pour tous les modérés et un paradis pour tous les marchands d'armes...
En attendant, l'État islamique (EI) profite de ce chaos généralisé pour étendre son influence, hier en Syrie et en Irak, aujourd'hui en Libye et au Yémen. Et cette croissance de l'EI ne risque pas de s'arrêter là. En tout cas, pas tant qu'au Moyen-Orient le « modéré » de l'un continuera systématiquement d'être le « terroriste » de l'autre.

 

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Le président de la Coalition nationale de l'opposition syrienne, Khaled Khoja, annonçait durant le week-end dernier, depuis Washington, « un changement important dans la politique de certains pays qui soutiennent l'opposition syrienne ». Selon lui, les États-Unis seraient prêts à lever leur veto sur l'acquisition par l'Armée syrienne libre (ASL) de missiles sol-air, et le régime syrien...

commentaires (4)

Tout à fait. Au Moyen-Orient, aussi bien "ceux qui avaient de la pudeur" que les modérés "sont morts" depuis un bon moment.

Halim Abou Chacra

13 h 01, le 06 mai 2015

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Commentaires (4)

  • Tout à fait. Au Moyen-Orient, aussi bien "ceux qui avaient de la pudeur" que les modérés "sont morts" depuis un bon moment.

    Halim Abou Chacra

    13 h 01, le 06 mai 2015

  • E x c e l l e n t article.... !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    09 h 42, le 06 mai 2015

  • Vous qualifiez la Turquie d'Erdogan de "modéré"???? Mais ils sont les vrais patrons des milices islamistes genre Nosra , Daech et consort ! N'est ce pas eux qui ont introduit en Syrie et en Irak et armé les milliers de combattants venus de tous les pays du monde ? Ceux là sont ils nés "sui generis " ??? Dernièrement, Idleb serait elle tombée aux mains de Jaych el fateh si les officiers et services de renseignement turcs n'avaient pas conduit la bataille? On peut être contre le régime syrien, totalitaire et despotique, mais un peu d'objecivité , bon sang !

    Chelhot Michel

    08 h 57, le 06 mai 2015

  • DANS LA CUISINE POLITIQUE D'AUJOURD'HUI LES STRATÈGES SE PERDENT ! ILS DOIVENT PORTER LEUR COUP... PUIS PENSER COMMENT PARER AUX NOUVEAUX COUPS QUI EN RÉSULTENT DES AUTRES...

    LA LIBRE EXPRESSION

    07 h 55, le 06 mai 2015

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