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Moyen Orient et Monde - Médias

« Quand je dis que je pars à Beyrouth, j’ai droit à : “ Ne te fais pas kidnapper... ” »

Jim Clancy est de ces personnages américains qui ont marqué les aficionados de la chaîne de télévision américaine CNN. Présentateur vedette depuis plus de trente ans, le journaliste a quitté la profession il y a deux mois à la suite d'une polémique médiatique par tweets interposés avec plusieurs personnes réputées proches d'Israël. Invité par May Chidiac pour un forum sur les femmes, celui qui a été maintes fois récompensé pour ses reportages en Bosnie ou en Somalie a répondu aux questions de L'Orient-Le Jour.

 

Quelle place occupe le Proche-Orient (avec tout ce qu'il vit depuis des années) dans les médias américains ? Que ce soit sur Fox News ou sur un média beaucoup plus sérieux comme CNN ?
C'est très variable. Lors de crises sévères, comme c'est le cas avec le phénomène de Daech (acronyme de l'État islamique en arabe), les médias sont friands de tout ce qui se trame. Mais le vrai journalisme consiste en un examen constant de toutes les parties du monde. Malheureusement, on met l'accent sur une histoire énorme, et, le lendemain, une autre vient balayer la précédente. Je pense que c'est l'un des échecs les plus cuisants de l'info en continu. C'est historique : on a changé la façon de recevoir l'information, mais, tristement, c'est aussi devenu trop concentré sur « l'histoire du jour ». Nous suivons l'audimat, et sondages après sondages, on remarque que les Américains sont intéressés par les informations internationales, mais les médias ne donnent pas à ces questions-là la place qu'elles méritent. Les Européens, en revanche, sont très portés vers cela.

 

Quelle est l'image que se fait l'Américain moyen du Proche-Orient (conflit israélo-palestinien, printemps arabes, barbarie de l'EI) ?
Quand j'ai dit que je partais pour Beyrouth lundi, les réactions ont été très « cliché ». J'ai eu droit à : « Ne te fais pas kidnapper », « Fais très attention ». Quand on me demande quel est mon endroit favori dans le monde et que je réponds Beyrouth, on me regarde comme si j'allais tomber d'une falaise. Ils ont une vision erronée de cette partie du globe. C'est la faute à qui ? C'est de notre responsabilité de montrer que le Moyen-Orient est certes agité, mais aussi tellement beau. J'ai fait des tas de documentaires sur le Liban, mais malheureusement, cela n'atteint pas tout le monde.

 

 (Lire aussi: Après avoir critiqué Israël, un vétéran de CNN contraint de démissionner)

 

De plus en plus de témoignages de « faux journalistes » (en réalité, des espions) sortent en biographie. Pensez-vous que le public peut faire encore confiance aux gens qui exercent ce métier ?
C'est à nous, journalistes, d'établir cette relation de confiance, à travers nos histoires, notre objectivité, notre capacité à dégager le vrai du faux dans les affaires politiques ou de propagande. Il y a des réseaux et des médias qui existent et ne servent qu'à la propagande, comme PressTv (en Iran), Russia Today, Fox News. Ils ont un point de vue, unique, à donner, même s'ils vous diront tous qu'ils sont légitimes en tant qu'organes de presse. Je comprends que ça ne soit pas très populaire de raconter toutes les facettes d'une histoire, mais c'est ce qui incombe aux journalistes, il s'agit de leur devoir. C'est le seul moyen d'obtenir le respect de ses pairs, de ses lecteurs comme de son public. Quand vous pensez à Marie Colvin (journaliste américaine décédée en couvrant le siège de Homs en 2012) ou à May Chidiac, à toutes ces personnes qui ont sacrifié leur vie pour leur métier, j'enrage en entendant les histoires de pseudojournalistes, qui, pour l'appât du gain, sont prêts à vendre leur âme.

 

(Lire aussi : La correspondante de CNN pour le conflit israélo-palestinien retirée après un Tweet qualifiant des Israéliens de "crasse")

 

Est-il sain de douter de l'information de nos jours ? Sans voir le mal partout, il peut être compréhensible de se poser certaines questions concernant des événements d'envergure qui tournent dans un sens plutôt que dans un autre...
J'encourage un maximum à aller chercher de l'information de différentes sources, tous les jours. Essayez de voir les opinions des uns et des autres en les confrontant de manière intelligente. En tant qu'Américain, je me force à lire la presse internationale comme le Times of India, ou les journaux nigérians, pour voir de quelle façon ils traitent le sujet Boko Haram par exemple. Il ne faut pas toujours regarder l'actualité à travers la lentille de Washington. Une nuit, alors que j'étais au Kosovo, j'ai reçu un appel de la Maison-Blanche qui voulait faire une annonce, que j'ai aussitôt contredite. On m'a clairement dit : « Je ne crois pas que vous ayez compris toute l'histoire. » Mais je suis libre de dire ce que j'ai vu de ce conflit.

 

Quel a été le reportage qui vous a le plus marqué ?
C'est difficile, il y en a eu tellement. La chute du mur de Berlin a été un moment spectaculaire. Mais je crois que mon arrivée au Liban en 1982 a été le souvenir le plus marquant, car c'était la première fois que j'étais au cœur d'un conflit, que je pouvais sentir la guerre dans ce qu'elle a de plus terrible. Puis, il y avait un continent qui me tenait à cœur : l'Afrique. J'ai lancé le programme Inside Africa. On ne lui a jamais porté tellement d'attention. Je suis fier d'avoir fait ça, car j'ai pu donner la parole à des gens ordinaires qui n'intéressent personne.

 

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Le tweet qui a fusillé la carrière de Jim Clancy

Lors de la conférence organisée par la Fondation May Chidiac, Jim Clancy a évoqué son parcours professionnel et la place que ses collègues féminines ont eue au sein de CNN. Il est aussi revenu sur la polémique qui a engendré sa démission de la chaîne américaine. Selon lui, il aurait reçu des insultes sur Twitter à la suite d'un post sur les caricatures de Charlie Hebdo, qui mettaient en cause, de manière énigmatique, Israël. Ses détracteurs n'auraient pas voulu débattre (des proches de l'État sioniste) et auraient simplement souhaité y mettre fin. Jim Clancy ne regrette pas avoir tenu ces propos. Il ne parlait pas au nom de CNN, mais en son nom propre. En outre, ses amis de confession juive et ses amis en Israël le soutiennent. Jim Clancy quitte la scène médiatique, sans amertume, pour se retrouver au plus près de sa famille et s'adonner à son autre passion, la photographie

 

 

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