Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde

Il faut restreindre le droit de veto au Conseil de sécurité

En 2001 la France avait proposé que les 5 membres permanents du Conseil de sécurité (P5) s'abstiennent volontairement de recourir à leur droit de veto en ce qui concerne les atrocités de masse. À l'approche du 70e anniversaire de l'Onu, le gouvernement du président Hollande relance cette idée. Mais est-elle applicable ?
La première réponse prévisible est d'en exclure l'éventualité. Selon l'expression très remarquée de Ben Chifley, Premier ministre australien à l'issue de la Seconde Guerre mondiale, « le problème des accords entre gentlemen est qu'il n'y a pas suffisamment de gentlemen sanguinaires ».
Il est difficile de croire que la Russie et la Chine notamment feraient preuve de la moindre souplesse. La Russie a utilisé plus de 100 fois son droit de veto depuis 1946 (et malheureusement 4 fois depuis 2011) pour bloquer des résolutions destinées à arrêter le carnage en Syrie.
De même, les USA, qui ont utilisé leur droit de veto environ 80 fois (essentiellement pour bloquer des résolutions concernant Israël), ne montrent guère d'enthousiasme, malgré leur position généralement ferme en matière de génocide. Seul le Royaume-Uni a laissé entendre qu'il pourrait soutenir l'initiative de la France (de même que cette dernière, il n'a pas utilisé son droit de veto depuis 1989).
La Chine, la France, la Grande-Bretagne, la Russie et les USA ont exigé de bénéficier du droit de veto pour se joindre à l'Onu et personne ne croyait à l'adoption à court ou moyen terme d'un amendement de la Charte pour abolir ou restreindre ce droit.
Mais les pressions internationales sur le P5 augmentent depuis 15 ans – notamment depuis l'adoption à l'unanimité par l'Assemblée générale de l'Onu en 2005 du principe de la « responsabilité de protéger » (R2P). Les défenseurs de la proposition française veulent que les membres permanents du Conseil de sécurité renoncent à leur droit de veto quand une majorité claire est favorable à une proposition visant à limiter les risques d'atrocités de masse. Le blocage des résolutions sur la Syrie a suscité une réprobation particulièrement intense et 68 pays soutiennent maintenant explicitement la proposition française.
L'argument moral en faveur de la non-utilisation du droit de veto dans les cas d'atrocités de masse est irréfutable. Dans le cadre de la Charte de l'Onu, ainsi que dans celui du droit humanitaire international et du droit international relatif aux droits de l'homme, le P5 a l'obligation de ne pas s'opposer à un fonctionnement efficace de l'Onu et au droit qui en émane. Et l'argument politique contre le droit de veto – il amoindrit la légitimité du Conseil de sécurité (dont la structure ne reflète pas les réalités géopolitiques du XXIe siècle) – devrait aussi peser lourdement sur le P5.
Est-il possible de faire une proposition visant à restreindre le droit de veto qui réunisse l'accord de tous les membres du P5 ? En janvier, j'ai assisté à Paris à une conférence qui a réuni des responsables politiques français et des experts internationaux. Il y était clair qu'une proposition en ce sens répondrait à pratiquement toutes les objections possibles. Mais elle devrait inclure au moins trois éléments-clés :
– La définition claire des cas dans lesquels il serait possible de restreindre le droit de veto (ni de manière trop restrictive ni de manière trop large) avec une formulation s'appuyant sur la rédaction de la R2P. Les cas d'application pourraient être définis comme « des situations dans lesquelles les populations sont l'objet ou risquent de manière imminente d'être l'objet d'un génocide ou d'un autre crime contre l'humanité ou de graves crimes de guerre ».
– Elle devrait comporter un mécanisme pour déterminer si une situation donnée répond à ces critères. Ce mécanisme devrait pouvoir être mis en œuvre rapidement, offrir l'assurance d'une évaluation objective et susciter une préoccupation marquée dans une grande partie de la communauté internationale ; son fonctionnement pourrait reposer sur deux exigences : la demande de l'application de la restriction du droit de veto par au moins 50 États membres dont au moins 5 membres de chaque zone géographique reconnue et la certification selon laquelle le cas communiqué au Conseil de sécurité correspond à la définition fixée. Cette certification serait délivrée par le secrétaire général de l'Onu et son bureau des conseillers spéciaux sur la prévention du génocide et le R2P (qui dispose des ressources, de l'expertise et de la crédibilité voulues).
– Elle comporterait une disposition autorisant tout membre du P5 à utiliser son droit de veto s'il estime que son « intérêt national vital » est en jeu. Ce n'est pas très satisfaisant du point de vue éthique, mais peut-être nécessaire politiquement pour obtenir l'accord des USA et d'autres membres du Conseil de sécurité. On peut se consoler en se disant qu'une telle clause dans la plupart des cas d'atrocité pourrait ridiculiser le pays qui y aurait recours. La Russie et la Chine auraient-elles utilisé leur droit de veto pour bloquer les résolutions sur le Myanmar et le Zimbabwe respectivement en 2007 et 2008 ? Étant donné l'étroitesse des relations politiques et militaires de la Russie avec le régime de Bachar el-Assad en Syrie, aurait-elle pu prétendre qu'une résolution menaçait ses intérêts vitaux ?
On peut s'attendre à de nombreuses résistances, notamment à l'argument selon lequel le droit de veto existe non seulement pour protéger les intérêts du P5, mais aussi pour assurer l'unanimité des principaux acteurs dans toute action entreprise pour maintenir la paix et la sécurité internationales (unanimité qui faisait défaut à l'infortuné ancêtre de l'Onu, la Ligue des nations). On dira aussi qu'il est inconcevable de demander à un membre du P5 de renoncer à son droit de veto s'il estime qu'une proposition de résolution fera plus de mal que de bien.
On peut rétorquer qu'il est presque impossible de trouver un argument valable pour justifier un veto en cas d'atrocités de masse. Par ailleurs, toute résolution du Conseil de sécurité exige au moins 9 voix favorables sur 15 pour être adoptée. Cette exigence place la barre très haut si une résolution soulève des problèmes.
Au minimum, la limitation du droit de veto augmentera le prix politique à payer par ceux qui voudraient bloquer une motion destinée à éviter que ne se répètent les drames du Cambodge, du Rwanda, de Srebrenica ou de Syrie. La proposition française, bien qu'elle soit encore en train d'évoluer, suscite l'intérêt de la communauté internationale. Les autres membres du P5 l'ignoreront à leurs risques et périls.

© Project Syndicate, 2015. Traduit de l'anglais par Patrice Horovitz.

En 2001 la France avait proposé que les 5 membres permanents du Conseil de sécurité (P5) s'abstiennent volontairement de recourir à leur droit de veto en ce qui concerne les atrocités de masse. À l'approche du 70e anniversaire de l'Onu, le gouvernement du président Hollande relance cette idée. Mais est-elle applicable ?La première réponse prévisible est d'en exclure l'éventualité....

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut