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La loi électorale - Analyse sur la loi éléctorale adoptée à Doha

Les épiciers de Doha

Beyrouth a retrouvé son sourire et les gens ont réinvesti ses rues comme au bon vieux temps. C’est le premier constat que l’on pouvait faire sitôt l’annonce matinale de la « bonne nouvelle » en provenance de Doha diffusée. Pour le Libanais lambda, le marchandage électoral qui a eu lieu ces derniers jours importait peu par rapport à ses effets immédiats et concrets sur le plan sécuritaire : le pays venait de gagner à la Bourse de Doha un répit de quelques mois, peut-être même un peu plus. Pour les plus avertis, les négociations qui se sont déroulées sur le découpage électoral de Beyrouth notamment – puisque c’est sur ce dossier que le bât blesse le plus – ne sont rien d’autre qu’un calcul d’épiciers, régi par une logique à la machiavel, auquel il manquait toutefois la touche de subtilité et de créativité qui avait caractérisé la réflexion de ce grand philosophe. Ne nous leurrons pas : les séances à six ou à quatre qui ont eu lieu dans les salles closes du Sheraton qatari ne dépassaient pas le stade des calculettes, où les électeurs inscrits de l’un ou l’autre camp étaient comptabilisés à la ruelle près, voire à l’immeuble près. Rarement avait-on vu à travers l’histoire des élections qui étaient déjà jouées, et les résultats connus 12 mois à l’avance !
La publicité qui sillonne nos rues depuis quelque temps, appelant « à une loi à la mesure du Liban » et non de certains de ses décideurs, fait aujourd’hui piètre figure devant l’accord final du Qatar. C’est dire à quel point la polarisation aiguë est ancrée dans l’esprit des Libanais, et ce de manière irrémédiable. C’est reconnaître aussi que ce peuple connu pour ses aspirations profondes à la liberté, l’indépendance et la démocratie, a fini par abdiquer son sens critique et sa latitude d’autonomie notamment en matière électorale.
Fait surprenant mais non marquant, la proposition de loi mise en place par les membres de la commission Boutros n’aura reçu qu’une attention à peine distraite dans les coulisses du Sheraton, la proposition ayant été magistralement boudée par les deux parties. Une réaction désarmante pour ces experts de la géographie électorale libanaise, qui ont planché des mois entiers pour mettre au monde une loi électorale « juste, équilibrée », et pour le moins « démocratique », de la bouche même des protagonistes libanais réunis à Doha. Rien n’explique en apparence pourquoi ce texte avancé n’a pas séduit les grands acteurs.
Mais lorsque l’on sait que cette loi n’a pas encore été mise à l’épreuve, et que ses résultats chiffrés ne sont pas connus d’avance par les grands joueurs, le risque était gros pour eux de s’aventurer sur le terrain « miné » de la démocratie. Cette fois-ci, les enjeux de la bataille seront d’autant plus déterminants pour les parties en présence que le divorce semble avoir été consommé jusqu’au bout et les visions demeurées de plus en plus lointaines en termes de gestion prochaine du pays.
Seul le principe des réformes prévues par le texte de loi proposé par la commission Boutros a été glissé dans la déclaration finale lue par l’émir du Qatar interpellé en dernière minute par les ONG concernées.
Pressés par une société civile désormais déterminée à avoir son mot à dire dans le processus de prise de décision qui concerne son avenir, les représentants politiques libanais à la table de dialogue semblent avoir acquiescé en dernière minute le « principe » de l’adoption des réformes. Personnellement sollicité, l’émir du Qatar n’a d’ailleurs pas oublié de faire un clin d’œil à la société civile libanaise, mobilisée mardi dernier, pour la seconde fois, sur la route de l’aéroport, pour rappeler les « responsables » politiques au devoir en les sommant de ne pas envisager le retour au pays sans un accord d’entente dans la poche. Mais, par-delà la forte symbolique d’une jeunesse survoltée et dégoûtée, il reste encore beaucoup à faire. Au nombre de neuf (voir encadré) et indissociables les unes des autres dans l’esprit de leurs concepteurs, les réformes risquent de faire l’objet d’un marchandage autrement « bien calculé » une fois soumises au Parlement pour discussion. Mais c’est préjuger de l’intention de nos législateurs que de les accuser d’avance de mauvaise foi, sachant que plusieurs d’entre eux ont déjà exprimé publiquement leur soutien à des réformes démocratiques, transparentes, à même de réconcilier les électeurs avec leurs représentants politiques, dont l’image n’a cessé de ternir depuis le début de cette crise. Si elles sont adoptées en vrac, les réformes administratives et techniques injecteraient un rectificatif majeur dans la « loi revue et corrigée » de 1960, et une dose de confiance chez les électeurs dans l’opération électorale.
Pour la société civile et les experts qui ont travaillé d’arrache-pied au sein de la commission Fouad Boutros, la bataille n’est pas encore gagnée. Elle ne fait que commencer.

Les réformes prévues par la proposition de loi de la commission Boutros

-La création d’une commission indépendante chargée de gérer l’opération électorale.
– La régulation des dépenses des campagnes électorales.
– La régulation de la couverture médiatique et de la promotion électorale.
– L’adoption de bulletins de vote préalablement imprimés.
– L’assurance aux personnes souffrant d’un handicap physique de l’accès aux bureaux de vote.
– La tenue des élections en un seul jour.
– La mise en place d’un mécanisme de vote pour les expatriés.
– L’abaissement de l’âge de vote.
– La définition d’un quota féminin sur les listes des candidats.
Beyrouth a retrouvé son sourire et les gens ont réinvesti ses rues comme au bon vieux temps. C’est le premier constat que l’on pouvait faire sitôt l’annonce matinale de la « bonne nouvelle » en provenance de Doha diffusée. Pour le Libanais lambda, le marchandage électoral qui a eu lieu ces derniers jours importait peu par rapport...