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Le Liban compte le plus grand nombre de fumeurs dans la région - Tabagisme

Le Liban compte le plus grand nombre de fumeurs dans la région

À la veille de la Journée mondiale sans tabac, célébrée le 31 mai, les appels se multiplient pour une application stricte de la loi 174 portant sur l'interdiction de fumer dans les lieux publics. Et pour cause : la tabacomanie prend de l'ampleur au Liban, pesant encore plus sur la facture santé.

Dans un restaurant de Beyrouth, un groupe d’amis tirent allègrement sur leur narguilé. Photo Nasser Trabulsi

Dans un restaurant de Beyrouth, confortablement installés dans leurs fauteuils, un groupe de jeunes tirent profondément sur leur narguilé, faisant fi des regards gênés que leur jettent leurs voisins de table. Plus loin, trois quinquagénaires dégustent un cigare. En l'espace de quelques minutes, les narguilés en combustion enfument la salle. L'atmosphère est encore plus alourdie par la fumée des cigarettes et des cigares. Dérangés, des clients se plaignent auprès d'un serveur, déplorant le manque de rigueur dans l'application de la loi. Ce dernier n'hésite pas à leur rétorquer, sur un ton agressif: «Ici, on se fout de la loi!»
Cette scène désolante est malheureusement courante dans de nombreux restaurants, cafés et pubs du pays, en l'absence d'une volonté politique pour une application effective de la loi 174 qui prévoit l'interdiction de fumer dans les lieux publics fermés. Entrée en vigueur le 3 septembre 2012, celle-ci a été timidement appliquée les premières semaines, avant qu'elle ne tombe à l'eau, à l'instar de nombreuses lois qui l'ont précédée.
Or, plus que jamais, des mesures fermes et sérieuses doivent être prises par les administrations concernées pour mettre un terme à l'anarchie qui règne dans ce cadre, d'autant que le tabagisme prend de l'ampleur au Liban.


«Près de 54% des Libanais adultes fument», affirme le Dr Zeina Aoun Bacha, présidente du comité de lutte antitabac à la Société libanaise de pneumologie, citant «Breathe», une étude épidémiologique d'observation de la BPCO (maladie pulmonaire chronique étroitement liée au tabagisme) réalisée auprès de 60000 personnes dans onze pays du Moyen-Orient et d'Afrique.
«Nous avons le taux d'incidence le plus élevé de tabagisme parmi les pays de la région», poursuit-elle, soulignant que selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), 63% des décès enregistrés au Liban sont dus à des maladies non transmissibles, comme les cancers, les maladies cardio-vasculaires, certaines maladies pulmonaires... «Il a été scientifiquement prouvé que le tabac est responsable de la majorité de ces maladies, insiste encore le Dr Aoun Bacha. Prévenir le tabagisme permet donc de diminuer considérablement l'incidence de ces maladies. Cela a d'ailleurs été scientifiquement démontré dans les pays où la loi est respectée.»

 

(Lire aussi : L'industrie du tabac au Liban peine à rapporter)

 

Une drogue dure
Le tabac est d'autant plus dangereux qu'il s'agit d'une «drogue dure qui entraîne une dépendance beaucoup plus agressive que celle due à l'héroïne et au cannabis», explique la spécialiste. «Le tabac est même plus dangereux d'un point de vue de santé publique parce qu'il entraîne de nombreuses maladies graves», ajoute-t-elle. Citant une étude publiée dans le New England Journal of Medicine, la pneumologue souligne qu'en plus des maladies déjà connues et imputées au tabac, comme les cancers du poumon, de la gorge, de la vessie et du sein, l'ostéoporose précoce, les maladies cardio-vasculaires et pulmonaires chroniques (BPCO), les troubles de l'ovulation et les complications de la grossesse, le tabac est également un important facteur de risque du diabète, des cancers du côlon et du col de l'utérus, ainsi que de la stérilité. «Des lymphomes ont même été diagnostiqués chez des enfants de fumeurs», constate le Dr Aoun Bacha.
De plus, «contrairement aux autres substances addictives, le tabac nuit non seulement au fumeur, mais aussi à son entourage», indique-t-elle. «Selon plusieurs études, les fumeurs passifs ont 30% plus de risque que les non-fumeurs de développer des maladies cardio-vasculaires, pulmonaires et certaines formes de cancer, ajoute-t-elle. Il est impératif donc de protéger les non-fumeurs. Cela est acquis dans tous les pays du monde, sauf au Liban.»


La spécialiste rappelle dans ce cadre que quelque 4000 composants nocifs pour la santé ont été identifiés dans la fumée de cigarette. Celle-ci est composée de trois courants: le courant primaire, qui est la fumée inhalée par le fumeur, le courant secondaire, qui est la fumée exhalée par le fumeur, et le courant tertiaire, c'est-à-dire la fumée que dégage une cigarette laissée allumée. «Le fumeur passif inhale les fumées secondaire et tertiaire, indique le Dr Aoun Bacha. Souvent, la quantité de ces fumées est plus importante que celle inhalée par le fumeur, mais elle est diluée dans l'espace. Cette dilution dépend du volume de l'espace où l'on se trouve et de la ventilation, sachant que celle-ci ne protège pas les fumeurs passifs des méfaits du tabac.»

 

(Retrouvez ici notre rubrique Santé)

 

Le narguilé, aussi toxique...
Le Dr Aoun Bacha se penche en outre sur le phénomène du narguilé, faisant remarquer dans ce cadre que celui-ci est aussi toxique que la cigarette. «Il est même plus dangereux, en raison notamment des saveurs qui sont rajoutées au tabac, indique-t-elle. Par ailleurs, le narguilé n'est pas hygiénique, les tuyaux des pipes à eau transmettant des maladies infectieuses résistantes, selon des études menées dans ce sens. L'effet délétère sur la santé ne sera perçu que dans quelques années, à cause de l'effet cumulatif du tabac.»
Insistant sur l'importance de la prévention du tabagisme, le Dr Aoun Bacha affirme que dans tous les pays du monde, «l'incidence du tabagisme a été diminuée grâce à une application stricte de la loi, mais surtout grâce à l'augmentation des taxes». C'est ce qui ressort notamment d'une étude publiée en janvier dernier dans le New England Journal of Medicine. Selon cette étude, le fait de tripler les taxes permettrait d'éviter quelque 200 millions de décès dus au tabac dans le monde. Les chercheurs prouvent que l'augmentation de la taxe sur le tabac permet de réduire le nombre des fumeurs et celui des décès prématurés, comme elle permet l'augmentation des revenus pour les gouvernements. «Jusqu'en juillet 2012, le gouvernement libanais n'avait augmenté la taxe sur la cigarette que de l'ordre de 750 LL, selon les rapports de l'OMS! Ce n'est pas sérieux!», s'insurge le Dr Aoun Bacha, signalant que la Journée mondiale sans tabac est placée cette année sous le thème de «l'augmentation des taxes».

 

(Lire aussi : Le narguilé désormais interdit dans les restaurants et cafés de Jordanie)


Elle conclut en déclarant que, faute de mesures sérieuses de la part de l'État, la Société libanaise de pneumologie a décidé, dans le cadre de ses activités, de mener des campagnes de sensibilisation aux méfaits du tabac dans les grandes surfaces. «Nous nous y rendrons en week-end et nous appelons les militants en faveur de cette cause de se joindre à nous.»

 

 

Dans un restaurant de Beyrouth, confortablement installés dans leurs fauteuils, un groupe de jeunes tirent profondément sur leur narguilé, faisant fi des regards gênés que leur jettent leurs voisins de table. Plus loin, trois quinquagénaires dégustent un cigare. En l'espace de quelques minutes, les narguilés en combustion enfument la salle. L'atmosphère est encore plus alourdie par la...