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Liban - Les électeurs libanais ont la parole - Législatives 2013

Un Liban laïc et démocratique, le rêve des Dirani de Ksarnaba

Huitième volet de notre série* en partenariat avec la Fondation Samir Kassir sur les attentes des électeurs libanais : la famille Dirani, de Ksarnaba.

Mohammad Dirani et ses deux filles, Zarine et Sarah.

En ce dimanche de mars, les champs de la Békaa commencent à prendre des couleurs. Entre Baalbeck et Zahlé, le village de Ksarnaba sort de sa somnolence sous un soleil intimidé par de gros nuages. Sur la route principale, à l’entrée du village, se dresse un petit immeuble à l’état brut. La cage d’escalier en béton laisse une impression d’inachevé. Mais c’est sur un appartement traditionnel, spacieux, modeste et simple que s’ouvre la porte. L’appartement des Dirani. Sur le mur de l’entrée est accroché un portrait d’Ernesto Che Guevara. Le ton est donné.
Les Dirani sont rassemblés autour du poêle qui répand sa douce chaleur, alors qu’à l’extérieur, le mercure hésite encore à grimper. Il y a là le père, Mohammad, la mère, Insaf, leurs jumelles, Zarine et Sarah, mais aussi le frère de Mohammad, Ali Dirani, marié à la sœur d’Insaf, Naziha.
Mohammad et Insaf Dirani ont deux autres filles qui vivent en Australie. Pour pallier leurs absence, les portraits des jeunes filles sont accrochés au mur du salon.

Partir d’ici
« Nos filles travaillent à l’étranger, nous comptons sur leur soutien pour pouvoir continuer, car dans ce pays, il n’y a plus d’espoir », déclare Mohammad Dirani, un chauffeur de taxi de 54 ans.
«Nous envisageons tous de partir d’ici», renchérit Naziha Dirani. Deux des trois enfants de cette mère de 56 ans ont également émigré en Australie. « Mon fils ne va pas tarder à suivre son frère et sa sœur », poursuit-elle dans un sourire qui ne parvient pas à masquer son amertume.
Depuis qu’elle a quitté son travail à l’hôtel Phoenicia à Beyrouth, il y a quelques mois, Naziha est au chômage. «Nous ne pouvions plus assumer les frais de location d’un appartement dans la capitale, explique-t-elle. Malade et à la retraite, mon mari ne peut plus aider, et mon salaire, de toutes les manières, suffisait à peine à payer les factures et à subvenir à nos besoins alimentaires.» Préférant retourner à Ksarnaba, Ali et Naziha comptent aujourd’hui sur le soutien de leur fils émigré, récemment rejoint par sa sœur.




Pistons
Pour les Dirani, il n’y a malheureusement pas d’alternative à l’émigration, alors que les opportunités d’emploi se font rares dans le village et la région. « Ici, pour trouver un emploi, il faut soutenir les partis politiques qui règnent » sur la région, explique Mohammad Dirani en allusion aux principaux partis chiites, le Hezbollah et Amal. « Ces derniers sont majoritaires dans la localité où ils ont établi leur propre État », poursuit-il, dénonçant une hégémonie qui ne laisse plus de place à la liberté d’expression. « C’est comme si nous n’avions pas de place dans ce pays, déplore Naziha. Je suis chiite, mais je ne veux suivre aucun de ces partis. Où devrais-je donc aller ? » demande-t-elle d’une voix lasse.
Renoncer à leurs convictions n’est pas une option pour les Dirani, même si elles leur rendent la vie plus difficile. « Être partisan par intérêt, cela ne nous ressemble pas du tout », martèle Mohammad.


La santé est un gros souci pour les Dirani. Si Mohammad est couvert par la Sécurité sociale, ce n’est pas le cas de son frère aîné. À 65 ans, Ali Dirani est au chômage, et l’ancien chauffeur de bus est pris en charge par le ministère de la Santé. « Mais le ministère ne couvre pas tous les soins. Même ici, la politique s’en mêle, le Hezbollah couvrant certains malades plus privilégiés», s’indigne Insaf Dirani. « Quand l’État délaisse le peuple, ce dernier va certainement se tourner vers des partis politiques puissants pour l’aider », poursuit cette femme de 50 ans.


Pour son époux, cette option n’est pas envisageable. «Dois-je obliger ma fille à porter le voile pour profiter d’une vie meilleure?» lance Mohammad en jetant un coup d’œil rapide aux deux jumelles assises près de lui.
L’une d’elles, Zarine, assure qu’à Ksarnaba, elle ne trouve rien qui pourrait intéresser une jeune fille de son âge. « Ici, il n’y a rien, pas même un terrain de basket », déplore l’étudiante de 20 ans.
Zarine a choisi de suivre des études d’infirmière à l’Université libanaise de Zahlé, non parce qu’elle aime ce domaine, mais pour accroître ses chances de trouver un emploi. Pour obtenir un salaire décent, elle sait qu’elle devra travailler à Beyrouth ou suivre ses sœurs sur la voie de l’émigration. « Beaucoup de mes amis cherchent un travail, en vain. Même pour un emploi dans le secteur public, il faut payer ou avoir un piston », affirme-t-elle.

Des députés élus d’avance
Zarine se dit malgré tout optimiste et engagée. « Nous œuvrons en tant que jeunes de la société civile à ouvrir les portes de l’école du village. On ne demande pas plus qu’enseigner aux petits à lire et à écrire », explique-t-elle, ajoutant : « Je rêve d’un village qui m’aime, et j’ai un espoir, bien que minime, que les choses vont changer. »
En matière de changement, les Dirani ne comptent pas sur les prochaines législatives. « Tant que cette classe politique existe, rien ne va changer, assure Naziha. Je n’ai jamais voté de ma vie car personne ne me représente. Quand le député travaillera pour le citoyen et non le contraire, j’irai voter. »


Insaf, sa sœur, a voté lors du dernier scrutin. Elle a opté pour un candidat indépendant, un médecin. « Il a pu avoir un nombre suffisant de voix pour être élu. Mais pour faire en sorte qu’il ne le soit pas, on l’a accusé de traîtrise, et ce n’est finalement pas lui qui est aujourd’hui au Parlement », raconte la femme. « Pourquoi alors voter si les députés sont élus d’avance? poursuit Insaf. Aujourd’hui, aucun candidat n’a le profil idéal. » Et d’expliquer les paramètres de ce profil idéal : un candidat libre, ne servant que le Liban, travaillant pour assurer
l’avenir des enfants, travaillant pour tout le pays.

Prise de conscience nationale
Pour cette famille chiite, le confessionnalisme est la raison de tous les maux du Liban, et les Dirani, aujourd’hui, redoutent une seconde guerre civile.


« Nous avons besoin d’une prise de conscience sociale, estime Insaf. Victimes d’un lavage de cerveau, nos jeunes deviennent de plus en plus extrémistes alors que les plus âgés appellent à la laïcité et à l’ouverture. »
C’est dans les principes de la laïcité que les Dirani ont élevé leurs enfants à qui ils souhaitent de vivre libres dans un pays libre. Sarah, la fille d’Insaf, a d’ailleurs participé aux dernières manifestations qui ont eu lieu à Beyrouth contre le confessionnalisme. « C’est dommage que ce mouvement se soit peu à peu éteint, déclare l’étudiante en littérature anglaise à l’UL de Zahlé. Si ce mouvement avait été soutenu, peut-être aurait-il abouti à quelque chose. »
Toutefois, Mohammad ne perd pas espoir. Contre ce « suicide communautaire », il mise sur le temps. « Je ne sais pas dans combien d’années ni après combien de crises, mais je suis certain qu’une vraie révolution va naître de notre calvaire », assure-t-il. « Nous sommes d’ailleurs en partie responsables de ce statu quo. Nous ne faisons rien pour faire entendre notre voix et pour créer ce mouvement alternatif, alors que nous sommes nombreux, à travers le pays, à rêver d’un Liban laïc et démocratique », admet-il.


« D’autres pays européens ont souffert de longues années de guerres civiles avant d’arriver là où ils en sont, renchérit Insaf, le sourire aux lèvres. Un jour, nous pourrons vivre tous ensemble en paix dans ce pays, unis par notre humanité et notre amour de la patrie. »

 

 

Retrouvez les autres rencontres de notre série dans notre dossier spécial : Les électeurs libanais ont la parole

En ce dimanche de mars, les champs de la Békaa commencent à prendre des couleurs. Entre Baalbeck et Zahlé, le village de Ksarnaba sort de sa somnolence sous un soleil intimidé par de gros nuages. Sur la route principale, à l’entrée du village, se dresse un petit immeuble à l’état brut. La cage d’escalier en béton laisse une impression d’inachevé. Mais c’est sur un appartement...

commentaires (7)

Un Liban laïc et démocratique et surtout indépendant ! Un détail croustillant :''Des gens prennent des antidépresseurs afin de suivre leurs discours'' comme si la crise économique ne suffit pas !

Charles Fayad

16 h 02, le 28 mars 2013

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Commentaires (7)

  • Un Liban laïc et démocratique et surtout indépendant ! Un détail croustillant :''Des gens prennent des antidépresseurs afin de suivre leurs discours'' comme si la crise économique ne suffit pas !

    Charles Fayad

    16 h 02, le 28 mars 2013

  • Dans le quatrième PSAUME on a dit les quatre vérités ! Libanais, Réveillez-vous ! QUE DIABLE !

    SAKR LEBNAN

    14 h 19, le 28 mars 2013

  • Les Dirani ont eu la chance de vivre a l’ère de la destruction du Régime Syrien qui nous a apporté tant de malheurs. J’espère que leur patience sera suffisante pour voir aussi le Hezbollah désarmé et le Liban enfin démocratique dans tous le sens du termes. Il faut continuer a se battre pour y arriver et je le crois sincèrement, nous n'y sommes plus très loin. Cela se fera dans la douleur mais nous y arrivons... Ayez foi!

    Pierre Hadjigeorgiou

    11 h 20, le 28 mars 2013

  • "tant que cette classe politique pourrie existe rien ne va changer". Tu dois être soumis, à genoux devant un de ces nombreux chefs de père en fils pour trouver du travail même si tu as 2 doctorats dans ta poche. Ils se sont mis d'accord à ne jamais être d'accord. Il faut attendre le grand jour où un grand sauveur courageux va descendre en premier dans la rue pour réveiller ce peuple endormi et nettoyer toutes ces bandes religieux et leurs agents qui nous sussent depuis.

    Gebran Eid

    11 h 09, le 28 mars 2013

  • C'est le RÊVE IRRÉALISABLE de tous les Libanais ! Mais, après maints remous, on arrivera au : CHACUN CHEZ SOI ET TOUS ENSEMBLE !

    SAKR LEBNAN

    08 h 32, le 28 mars 2013

  • Zarine, "Je rêve d’un village qui m’aime". Ca donne beaucoup a réfléchir, et le titre d’un bon ouvrage. Antoune Saad

    Saad Antoune

    07 h 30, le 28 mars 2013

  • Ces gens ont une maturité politique étonnante. "Un Liban laic et démocratique" qui assure les droits et besoins de son peuple, en premier lieu en matière de santé, est leur rêve. C'est le rêve de tous les citoyens de ce pays. Les politiques criminelles et maudites régnantes entravent ce but. Cela donne une colère indescriptible !

    Halim Abou Chacra

    05 h 24, le 28 mars 2013

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