Luc Jacquet sous une photo de Vincent Munier à la galerie Alice Mogabgab. Photo Michel Sayegh
Le regard multiple
Luc Jacquet passe les trois années suivantes dans les îles australes et en Antarctique, tout en réalisant des documentaires comme Le Léopard de mer: la part de l’ogre et Des manchots et des hommes. Au début des années 2000, il projette de faire un premier long-métrage sur la survie des manchots empereurs. Avec seulement une équipe de quatre personnes et un budget de deux millions d’euros («un des films les moins chers de l’histoire du cinéma», précise Jacquet), cette histoire de survivants est également celle de rêveurs qui croient fermement aux richesses de la planète. Après la consécration de La Marche de l’Empereur – oscar du meilleur documentaire en 2006 –, le cinéaste signe son second docu-fiction, Le Renard et l’enfant.
Philanthrope avant tout, Luc Jacquet a deux passions qu’il ne peut dissocier : l’homme et l’animal. Soucieux de la survie de l’espèce, le cinéaste aime raconter des histoires. «Je ne porte aucun jugement sur quiconque, dit-il. Ce qui m’intéresse, c’est que nos enfants et leurs gamins vivent dans un air» soutenable «et sur une terre acceptable». Et de reprendre: «L’erreur commise par l’homme, c’est de s’être trop longtemps éloigné de la nature, or nous en sommes partie intégrante.»
Un combat permanent
C’est dans cette optique que le réalisateur crée sa fondation, «Wild Touch», qui s’attelle à recréer ce rapport amoureux entre l’homme et son environnement naturel. «Cet homme qui s’est créé en luttant contre la nature pour la conquérir va devoir user de tous les moyens pour la gérer, dit-il. Il n’est pas nécessaire de transmettre des messages négatifs à l’enfant: ne fais pas ceci, ne salis pas... Il faut réapprendre au gamin à courir dans la nature, à cueillir un fruit, lui titiller les sens en direct. Bref à émerveiller le regard car le réel est merveilleux, il suffit simplement de s’y attarder», renchérit Jacquet.
Ce grand enfant aux yeux qui brillent évoquera alors cet autre projet qui ne va pas tarder à prendre forme. C’est au Gabon et au Pérou, au fond des forêts primaires, qu’il emmène une équipe de 35 personnes (techniciens et artistes), «pour multiplier les regards», dira-t-il. Le cinéaste entamera la réalisation d’un documentaire, Il était une forêt, et racontera l’arbre qui bouge, vit, se touche, échange et évolue. Une aventure qui aura nécessité deux ans de préparation et quatre de repérages. Dans un carnet de bord sur le site «Wild Touch», Luc Jacquet décrit l’émotion vécue: «C’est maintenant, nous y sommes à cet instant où tout bascule. Des mois, des années de travail, de bagarres, de discussions, de persuasions, d’errances (...) pour avoir le droit d’en arriver là, à ce moment précis où l’on peut faire ce que l’on aime vraiment: faire un film! Mettre enfin tout ce que l’on est dans des images, des mots des sons.»
Infatigable, le cinéaste a un autre projet qui lui tient à cœur. «Après la sortie d’Il était une forêt en automne 2013, je me replongerai dans la genèse de l’art en m’interrogeant sur l’intervention de l’animal dans la démarche artistique de l’homme.»
Luc Jacquet n’est pas un Don Quichotte et ses rêves ne sont pas des moulins à vent. Ce cinéaste est bel et bien un passeur d’émotions. Un marcheur à grands pas assurés qui affirme tout comme Cendrars: «Qu’importe si j’ai pris ce train, puisque je l’ai fait prendre à des milliers de gens...»