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Moyen Orient et Monde - Le point

Les dangers de la démocratie

L’éclosion des premiers bourgeons au doux parfum de jasmin, c’est à eux que le monde arabe le doit. Aussi était-il normal de les voir, avant tous les autres, se rendre aux urnes. Une première en quelque sorte puisque des élections dont les résultats ne sont pas connus d’avance, les Tunisiens n’en avaient jamais eu jusqu’à ce dimanche 23 octobre 2011, pas plus sous Habib Bourguiba, le « père de l’indépendance » que durant les vingt-trois ans de l’ère Ben Ali (99,91 pour cent des voix en 1994). Autre première pour ceux qui savent combien ce peuple exubérant, généreux et indiscipliné déteste par-dessus tout se mettre en rang devant un guichet ou une bureau : voir ces hommes et ces femmes attendre sagement leur tour pour accomplir leur devoir relevait hier encore d’un rêve impossible.
On connaîtra dans les heures à venir les résultats définitifs et officiels d’une consultation qui a mobilisé plus de sept millions de citoyens investis d’une lourde responsabilité : choisir parmi 11 686 candidats répartis sur 1 517 listes soutenues par près de 80 partis et quelques indépendants les membres d’une Assemblée constituante qui désignera à son tour un gouvernement provisoire et fixera la date des législatives et de la présidentielle. Mais d’ores et déjà force est de constater combien admirable à bien des égards aura été la leçon donnée à tous ces pays où l’on ambitionne d’accéder enfin à la démocratie.
Leader d’un parti islamiste, Ennahda, donné grand vainqueur, mais pas majoritaire, par tous les sondages dès la fermeture des bureaux de vote, Rached Ghannouchi a pris des engagements qui laissent prudemment sceptique : pas d’instauration de la charia, respect de la modernité, refus d’imposer la polygamie et le port du voile, adoption des grands principes libéraux... Voilà de quoi rassurer tous ceux qui craignent de voir le pays revenir à l’ère antebourguibienne, quand tout était encore à faire. Voilà aussi qui devrait constituer matière à réflexion pour les dirigeants de la Libye voisine où, semble-t-il, l’on se prépare à entrer dans le Moyen Âge après avoir connu l’âge de pierre sous Mouammar Kadhafi.
C’est qu’il y a eu, avant le jour J, tant de rumeurs, folles et incontrôlables, sur l’« argent sale » – disons politique, pour rester poli – qui aurait joué un rôle-clé lors de la campagne électorale. Des sommes colossales ont été engagées. Leur provenance ? Les doigts accusateurs convergent vers le Golfe, sans autre précision sinon sur l’identité des bénéficiaires de cette manne : la formation islamiste de Ghannouchi qui, très tôt, a entrepris d’ouvrir des bureaux aux quatre coins du territoire national, de multiplier les publications les plus diverses pour faire connaître son programme d’action, d’organiser des « multimariages », de procéder à des distributions de vivres dans les zones rurales. Il y a encore les millions fournis par Slim Riahi, un richissime Tunisien ayant fait fortune à Tripoli et qui, revenu au pays, avait créé l’Union patriotique libre, une formation du « centre-centre », disent ses lieutenants, à l’idéologie pour le moins floue et dont le candidat le plus en vue est l’ancien footballeur Chucri Waa. Interrogé, l’homme de la rue reconnaît son incapacité à expliquer les raisons d’une telle générosité et se contente d’un haussement d’épaules fataliste. Troisième source de financement plus ou moins occulte : l’ancien régime dont les fidèles, encore nombreux, rêvent d’un retour sur le devant de la scène à travers une multitude de partis qui surfent sur la vague démocratique.
Résignés, les Tunisiens estiment que la normalisation est, aussi, à ce prix. Sous prétexte qu’il est désormais impossible d’en prédire l’issue, une consultation populaire, estiment-ils, ne devrait pas constituer une source de crainte pour l’avenir. Le message est clair, lancé en direction du gouvernement provisoire qui avait tenté en septembre d’organiser un référendum sur la durée du mandat de l’Assemblée constituante et ses prérogatives avant de battre en retraite devant la montée de la colère populaire. Son chef, Caïd Essebsi, n’a pas désarmé, exprimant le souhait de demeurer au sein du cabinet à venir, « peut-être même en tant que Premier ministre », avait-il confié au New York Times. Pour continuer sans doute à servir la République et les citoyens...
Il convient de reconnaître qu’il y a tant à faire, plus de neuf mois après la fuite de Zine el-Abedine Ben Ali, à commencer par le désamorçage des bombes à retardement laissées par les hommes de l’ancien régime dont la moins dangereuse n’est certes pas la réforme du ministère de la Justice, toujours tenu par ceux-là qui l’avait mis en coupe réglée. Le succès des autres révolutions en cours ou à venir en dépend. Mais là, mesurons notre optimisme et contentons-nous de croiser les doigts.
L’éclosion des premiers bourgeons au doux parfum de jasmin, c’est à eux que le monde arabe le doit. Aussi était-il normal de les voir, avant tous les autres, se rendre aux urnes. Une première en quelque sorte puisque des élections dont les résultats ne sont pas connus d’avance, les Tunisiens n’en avaient jamais eu jusqu’à ce dimanche 23 octobre 2011, pas plus sous Habib...

commentaires (8)

La démocratie est avant tout apprentissage du conflit: tout commence maintenant y compris en Lybie....

Beauchard Jacques

11 h 52, le 25 octobre 2011

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Commentaires (8)

  • La démocratie est avant tout apprentissage du conflit: tout commence maintenant y compris en Lybie....

    Beauchard Jacques

    11 h 52, le 25 octobre 2011

  • Christian, je te l'ai dis plusieurs fois choisis ton camp, et fais le bon choix, on ne reviendra pas la dessus, mais tu le constates que le complot est en marche, avoir finance des guerres dites de revolution, avoir tuer autant et Je sais combien tu es contre l'effusion de sang, pour s'entendre dire les ikhwans c'est non seulement pas si nocif mais encore mieux il faudra en consommer et venant des sio/yanky qui choppaient le cholera au seul nom de islam en Palestine et ailleurs. L'occident est fatigue de guerroyer, mentalement physiquement et financierement, ils veulent que les sbires ikhwans prennent le relais a leur place, solution a la va vite, mais suis bien les evenements, le retour de baton se fera sur toutes leurs manigances pour finir par lacher aux palestiniens ce qu'ils reclament, tout simplement un etat dans la dignite, comme ce qu'on arrete pas de faire depuis 1948.

    Jaber Kamel

    09 h 06, le 25 octobre 2011

  • le roi est nu...l'implacable vérité de la montée en puissances des islamistes est là..en Lybie par la violence,en Tunisie dans les urnes...en Syrie dans la rue...en Egypte "fraternellement"...les faits sont là...l'occident joue avec le feu,et les arabes se font comme d'habitude rouler dans la farine avec un slogan et demi...ô tempora,ô mores.C'est à désepérer de tout...et dérrière tout celà,le spectre hideux de l'affrontement annoncé entre sunnites et chiites...Kamel m'a dit un jour ou était ce Maroun Najjar,il faut choisir son camp...ben,je ne suis pas loin de le faire..parceque là,trop,c'est trop...et que dire des médias occidentaux devenus d'un seul coup succursales d'Al jazira pour ce qui est de la "lecture" et des "explications" des évènements...l'occident n' apas fini de payer les conneries qu'il vient de faire....il attendait Grouchy,il aura mille Blücher...

    GEDEON Christian

    07 h 01, le 25 octobre 2011

  • Tout pays qui passe par une révolution se doit de vivre une traversée du désert douloureuse, difficile, frustrante et souvent longue. C'est la règle! Les exemples sont nombreux dans l'histoire des peuples. Je ne cite que celui de la France très liée historiquement et culturellement avec le Liban. La France s'est débarrassée du Roi pour vivre la terreur, puis la dictature de Napoléon pour finir, après beaucoup de soubresaut a la république! cela a pris plus de 100 ans pour que la France se stabilise. Vous vous attendez a ce que ces peuples, qui ont vécu toute leur vie sous diverses dictatures, se modernisent et passe sans transition de leur statut actuelle a une démocratie de type occidental en une nuit! Quoi qu'il arrive, il ne faut rien regretter. Un jour ces peuples a qui certain essayent de leur imposer des charias qui vont contre tout principe humain finiront par se soulever une fois de plus et ainsi de suite jusqu'à ce qu'ils arrivent a bon port! C'est comme çà et nous ne pouvons rien y faire.

    Pierre Hadjigeorgiou

    05 h 40, le 25 octobre 2011

  • A défaut de rêver, il faut peut-être croiser les doigts devant ces printemps arabes dans ces pays ou l'argent sale renait pour fonder des démocraties fictives surtout dans une Tunisie ou la femme risque avec Rached Ghannouchi de perdre sa liberté, et revenir au voile . Nazira.A.Sabbagha

    Sabbagha A.Nazira

    04 h 19, le 25 octobre 2011

  • Je viens de consulter les différentes télés européennes dont France 24 d'obédience très connue et je tombe sur votre article. Vous êtes dans le même ton, et même que Virginia Herz de France 24 à 7 heures ce matin se voulait tellement rassurante sur la vague islamique en Tunusie et en Lybie que j'avai l'impression qu'elle prêchait le Coran. Sur Canal info, on fait venir un spécialiste tunisien pas islamiste pour un sou qui explique qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter ni de la charia ni du polyganisme. Moi je veux bien que les esprits ne doivent pas s'échauffer,je veux bien croiser les doigts, mais bon Dieu de bon sang, pourquoi avoir combattu les 1ers vainqueurs islamistes qu'ont été les palestiniens du Hamas , vainqueur d'élection clean, sous supervision onusienne avec Jimmy Carter à la baguette, et celle des algériens 15 ans plus tôt? Ne fallait il pas commencer par là? écouter les peuples dans leur choix en Palestine et en Algérie ? fallait il détruire la planète pour en arriver à ce point ?Et faut il détruire ce qui reste encore chez nous pour un résultat finalement pas très éloigné de ce qu'on nous demande d'accepter aujourd'hui?

    Jaber Kamel

    03 h 20, le 25 octobre 2011

  • - - Il ne faut plus parler de démocratie , ni utiliser ce mot , quand il s'agit des pays arabes . Nous n'avons entendu que ça , durant tous les mois de guerre en Libye , où les avions de l'OTAN pilonnaient à tout va , celui qui empêchait , selon eux , cette fameuse démocratie de s'installer dans ce pays ! Nous l'avons vu et entendu à plusieurs reprises au nouvel homme fort et président du Conseil national de transition , sur le perron de l'Élysées et ailleurs , nous promettre cette démocratie et celle liberté , allant même jusqu'à parler de laïcité dans son pays , après la chute du Colonel .., qu'a t-il fait une heure après " l'assassinat " de son rival colonel ! il nous a annoncé le contraire , la Charia et en détail SVP ..!!! La Tunisie et son jasmin ne sera pas épargnée , l'Egypte aussi , une chose est certaine , c'est que les Salafistes et les Wahabites Sunnites du golfe ont gagné , c'est l'oncle Sam qui le veut ! reste à l'occident de réviser le terme de la démocratie avec ses limites , s'il veut que la civilisation occidentale persiste et existe " encore " dans quelques années , sinon , ces mêmes islamistes aidés , encouragés et assistés par ce même occident chez eux , risquent de changer la donne et la société dans ce monde libre qu'est l'occident (...) La démocratie doit dorénavant s'arrêter devant les intérêts de s états et de cette civilisation occidentale , avant qu'il ne soit trop tard .

    JABBOUR André

    03 h 00, le 25 octobre 2011

  • Monsieur Christian Merville,votre analyse est très bonne, comme d'habitude. Votre résumé à la fin de : " Mais là, mesurons notre optimisme et contentons-nous de croiser les doigts " en dit long, très long même, et nous laisse encore perplexe sur les débouchements ultérieurs aux législatives à venir. Pour le moment, une certaine émanation de l'extrémisme islamique s'est répandue quand même dans les airs. L'exemple de la Lybie, tout près, nous fait craindre une expansion du virus de cet extrémisme islamique vers la Tunisie, si fragilisée par les évènements et si réceptive des courants fanatiques qui soufflent de sa proche voisine, voire même des pays du golfe. Souhaitons que l'odeur du jasmin y reste pour de bon. Anastase Tsiris

    Anastase Tsiris

    01 h 55, le 25 octobre 2011

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