Les expatriés prennent leurs derniers mezzés et font à rebours toutes les visites de wejbets qu’ils avaient accomplies à leur arrivée. Les familles sont soulagées de les voir repartir avant qu’une énième guerre israélienne n’effraie les brus étrangères. Y a-t-il eu moins de visiteurs que prévu ? Peur d’une fermeture de l’aéroport alors que la traversée par la Syrie pose problème. Et quel problème !
Une dernière virée à Tyr, sur la plage publique, pour se saouler d’horizon et se baigner dans l’eau la plus propre du pays. Une virée au Sud pour constater, une bière à la main, que Tyr est bien plus tolérante que Saïda (un dernier discours du sayyed pour constater que son public féminin est bien plus avenant, bien plus riant que son public masculin. Un dernier discours pour l’entendre dire son refus d’accountability).
Y a-t-il encore des familles qui, dans leur bourg de montagne, préparent les provisions pour l’hiver ?
Il reste un petit mois, jusqu’au 14 septembre, pour arracher aux tomates leur rebb, épépiner le sumac, griller les graines de sésame et mélanger le zaatar maison. Bourgoul, pois chiches et haricots pullulent davantage sur les étagères des supermarchés que dans les grands sacs en lin qui remplissaient naguère les greniers. Et que celles qui ont encore des bocaux de compotes de fruits et de confitures, fièrement alignés dans leur cuisine, lèvent la main. Quid de la provision de labné de chèvre : entre Ambariss et Darfiyyé, qui sera assez courageux pour braver leur fièvre de Malte ?
À part quelques grains de sable nichés entre leurs orteils et quelques sacs de pain libanais, qu’emporteront les vacanciers dans leurs valises ? Un sempiternel bain familial, rempli de tics et d’habitudes obsolètes qui leur manquent tant durant l’année et qui les exaspèrent aussitôt qu’ils y sont plongés. Seront-ils aussi heureux de repartir qu’ils l’étaient en atterrissant ? L’anarchie de nos vies les confortera-t-elle dans leur décision de repartir ? De vivre ailleurs ? D’essayer de se faire une vie, plus loin ? Depuis la guerre, tous les Libanais vivent le cul entre deux chaises, deux insatisfactions, deux incomplétudes. Que de grands-mères frustrées de ne pouvoir dire, à l’année : « To’borné téta ! »
Est-ce mieux ailleurs ?
À voir les nouvelles de Norvège et les larmes du Premier ministre Jens Stoltenberg serrant dans ses bras les rescapés d’Utoeya après la tuerie de Breivik, on pense aux larmes de Fouad Siniora, atterré par la barbarie israélienne en 2006.
On a, sous tous les cieux, les misères qu’on peut.
commentaires (7)
Joli petit mot. Classe, émouvant tout en évitant de tomber dans le mélodrame. A la prochaine!
Nicolas Rubeiz
15 h 02, le 19 août 2011