Élie Saab raconte son « Parfum »

Dans son bureau chocolat et beige, travertin brut et wengé, Élie Saab montre le flacon géant posé sur sa table. Un objet en cristal massif, facetté, biseauté, prenant la lumière par tous les angles et recelant un élixir rose ambré. Gravés dans le verre, dans une typo épurée, brun presque noir, ces simples mots: «Élie Saab, Le Parfum.» Le luxe s'impose dès le premier regard, paradoxalement sans ostentation. Le couturier explique: «Quand la maison Élie Saab a été élue membre correspondant par la Chambre syndicale française de la haute couture en 2006 et que nous avons ouvert notre boutique du rond-point des Champs-Élysées en 2007, l'idée de créer un parfum s'est imposée avec force. Un parfum est le meilleur véhicule pour l'image d'une maison de couture. Il permet aussi de mettre à la portée du plus grand nombre la magie de cet art et l'esprit de la maison, dans la foulée des collections prêt-à-porter et accessoires que nous développons depuis 2005.»
Quand on lui demande comment s'est développée la fragrance, Élie Saab répond simplement: «Je savais ce que je ne voulais pas: un oriental trop lourd. Nous sommes une maison d'origine orientale il est vrai, mais de dimension internationale. Ce que je voulais, c'était plutôt quelque chose de méditerranéen, qui évoque la lumière de l'Orient et la modernité de l'Occident. Un parfum aussi qui me ressemble, qui incarne mes souvenirs d'enfance à Damour, entre jasmin et fleur d'oranger. Il y a eu des centaines d'essais, jusqu'à ce que Francis Kurkdjian, "le" nez de chez BPI (NDLR, Beauté Prestige Internationale, filiale de Shiseido), nous rapproche du but et nous permette enfin de cerner l'accord final.» Résultat, dès les premières notes, Élie Saab - Le Parfum évoque un jardin d'orangers en fleurs sous un soleil printanier. Par vagues, comme au cours d'une promenade, se révèlent ensuite des bouquets de jasmin soutenus avec audace par un fond de patchouli. Pour retenir cet édifice quelque peu évanescent, il faut cependant un bon socle boisé. Sans hésiter et sans surprise, Saab choisit le cèdre et son parfum se transforme en hymne aux couleurs du Liban. Mais un parfum n'est rien sans un sillage, le souvenir qu'il laisse à celui qui le respire, quelque chose de sensuel, de gourmand, en un mot d'addictif qu'il laisse sur la peau. C'est ainsi que le contrepoint final s'est posé sur une note de miel de rose à la fois élégante et régressive.
Pour ce qui est du flacon, sa conception s'est révélée tout aussi complexe, le couturier ayant donné une consigne à première vue évidente, mais qui l'était beaucoup moins à l'épreuve de la réalisation. «Au fond, dans tout ce que je crée, je pars d'un principe simple: il faut qu'une robe soit une robe, un immeuble un immeuble, une boutique une boutique et donc un flacon un flacon. Pour moi, une robe doit exalter la féminité d'une femme. Je ne fais rien d'autre que me soumettre à l'anatomie et suivre les courbes. C'est pourquoi j'aime aussi les gammes de beige et de rose qui évoquent la couleur de la peau. De même, le flacon ne devait pas ressembler à une robe ou à autre chose qu'un contenant. On m'a montré toutes sortes de formes. Je tenais à un objet lumineux qui mette en valeur la couleur de son contenu et donne envie de le découvrir. J'ai donné pour modèle un de mes objets fétiches, un cendrier en cristal taillé qui ne quitte pas mon bureau. C'est à partir de là que nous avons commencé à avancer. Je suis intervenu aussi sur le bouchon dont les proportions ne semblaient pas correspondre. Le bouchon est au flacon ce qu'un socle est à une sculpture. Disons que c'est un socle inversé. Finalement, c'est la designer Sylvie de France qui a réussi à créer exactement ce que je voulais: un objet entre architecture et joaillerie, lourd, transparent et lumineux, à la fois cubique et arrondi pour tenir au creux de la main, et qui fasse miroiter les nuances or et miel du parfum.»
Pour prolonger le plaisir, Élie Saab - Le Parfum est en même temps décliné en crème et lait parfumé pour le corps, en crème de douche et en déodorant parfumé. Il ne restait plus qu'à travailler la communication pour mettre en valeur l'adéquation entre le parfum et l'identité de la maison de couture. C'est entre les buildings de verre facettés de Los Angeles que se déroule la suite de l'histoire. Le pitch: une femme, Anja Rubik, le mannequin fétiche du couturier, incarne toutes les femmes Élie Saab. Elle porte sa plus belle robe pour un événement unique que chacune peut imaginer à loisir: mariage, remise de prix, rencontre. Prise dans un embouteillage, elle décide de quitter la voiture et de traverser la foule en courant. Un voile de mousseline champagne se dégage de la robe et virevolte autour d'elle soulevé par le vent. Il est la manifestation visuelle du parfum, de sa puissance, de son aura et de son sillage. Un bijou de clip réalisé par le duo Mert&Marcus.
Une coutume absurde veut qu'aussitôt un projet réalisé, on s'empresse de demander au créateur quelle sera la prochaine étape. On ne le fera pas, laissant Élie Saab savourer le succès naissant de son «Parfum». Avec un sourire teinté de fierté, il confie simplement que son fils vient d'intégrer la maison de couture à ses côtés. Une belle fenêtre est ouverte sur l'avenir.

F.A.D.