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Liban - Société

Le quartier Badaro à la recherche du temps perdu

Le comité de Badaro organise aujourd'hui une fête pour ranimer la solidarité à l'échelle du quartier.

Badaro, un quartier mixte, à l’image du Liban.

Badaro, l'un des quartiers les plus huppés de Beyrouth au début des années soixante-dix, a beaucoup pâti de la guerre civile. Une partie de sa population s'en est allée, emmenant avec elle l'esprit d'unité qui prédominait jusqu'alors. Dans le but de recréer du lien entre les habitants, le comité de Badaro organise aujourd'hui vendredi une grande fête de quartier.
« Badaro, c'est agité comme une métropole le matin et calme comme une ville fantôme le soir. » Cerné au sud et à l'est par l'effervescence du boulevard Sami el-Solh et de la rue de Damas, et au nord par le Musée national et l'hippodrome, le quartier porte plusieurs identités, plusieurs visages en fonction des heures de la journée, comme l'explique une habitante. Avant cinq heures de l'après-midi, les bureaux installés dans les immeubles les plus récents charrient des travailleurs le long des rues ; après, le calme plat s'installe, lorsque les employés plient bagages pour rentrer dans leur quartier.
Fondé dans les années trente, Badaro était à l'origine un quartier résidentiel. Dans les années soixante, beaucoup de familles aisées venues de Damas et Alep, chrétiennes pour la plupart, avaient fui leur pays après les lois sur les nationalisations et s'étaient installés ici. Quelque temps plus tard, pendant la guerre civile, le quartier devenait un bastion chrétien le long de la ligne verte, subissant de plein fouet la violence des combats. Si, au moment de la reconstruction, beaucoup d'habitants ayant fui le conflit ont retrouvé leur ancien appartement, une bonne partie des immeubles anciennement occupés par des familles ont laissé place à des bureaux.

La disparition d'un « village »
De nombreux résidents parlent encore de leur quartier en évoquant une sorte de village, où « tout le monde se connaît » et où il est possible de trouver « quatre écoles, deux églises, plusieurs pharmacies et stations d'essence, des restaurants et des librairies... ». Pourtant, il semble que les plus jeunes habitants n'adhèrent pas toujours à cette vision pastorale du quotidien, qui renvoie à l'époque dorée du début des années soixante-dix.
Élissa, une vingtaine d'années, habite le quartier car sa mère y tient une pâtisserie. À ses yeux, Badaro « n'est pas, ou n'est plus un village. Ce n'est pas un quartier dans lequel la solidarité est dominante. Je connais très peu de personnes ici, et il y a finalement peu d'endroits où sortir ». Même une habitante un peu plus âgée déclare qu'« il ne reste plus que quelques familles sans enfants et beaucoup d'employés qui n'auront jamais pour Badaro l'amour que portent ses vrais habitants, ceux qui y ont vécu la guerre et ses paradoxes... ».
Ainsi, à Badaro, la pyramide des âges se serait progressivement inversée depuis la fin de la guerre civile. Beaucoup de personnes « relativement âgées » vivent dans le quartier, selon Claudine Badaro, la petite-fille de Habib Badaro, l'entrepreneur à l'origine de la transformation d'un « champ de patate en quartier huppé ». Ce qui amène certains commerçants du quartier à s'interroger : « Mais où sont passés les jeunes ? » Pour un épicier de la rue, la flamme de vie que constituait la jeunesse a perdu de sa superbe : « Beaucoup sont partis en disant qu'ils allaient revenir. Puis ils se sont mariés, parfois à l'étranger, et sont restés alors sur place. Et quand ils décident de revenir à Beyrouth, c'est souvent dans un autre quartier. » Une autre vendeuse ironise : « La pharmacie fonctionne plutôt bien ici, contrairement aux petits commerces du quartier. »

Réunir anciens et nouveaux habitants
Badaro n'a pas échappé à la flambée immobilière qui a touché la ville ces dernières années. Les loyers restent élevés, et les prix à l'achat sont « parfois plus élevés que rue Montaigne à Paris », selon les mots de Michèle Aris, gérante d'un magasin de fleur. Pourtant, ces quelques points sombres n'empêchent pas une nouvelle dynamique de voir le jour : de jeunes couples d'expatriés, qui ont pu acheter un appartement avant la flambée des prix, s'installent peu à peu dans le quartier. Il n'est plus rare de voir des enfants courir à toutes jambes dans les rues. Les établissements scolaires commencent à être réinvestis par des écoliers du coin.
Dans l'objectif de réunir ces nouveaux installés et les habitants et commerçants les plus anciens, le comité de Badaro a décidé d'organiser aujourd'hui une fête de quartier. Animations artistiques et musicales, fanfare, défilés de chevaux seront au programme. Les commerçants, ainsi que la Croix-Rouge et les scouts prendront part aux festivités. Pour Michèle Aris, cela pourrait permettre de « raviver la solidarité à l'échelle du quartier, faire en sorte que les jeunes et les personnes plus âgées se rencontrent ». Beaucoup de commerçants ont accepté de s'y rendre, malgré le manque à gagner pour eux que cela peut représenter.

Visibilité et attractivité au quartier
Un risque que certains vendeurs du quartier n'ont pas voulu prendre toutefois. L'un d'eux explique qu'il ne peut pas s'absenter un jour entier : « Je n'ai qu'un employé ici, si je pars, je ferme boutique. » Il poursuit, un peu désabusé : « Ce n'est pas une journée de fête qui va redonner soudainement vie au quartier. » Une autre habitante, un peu plus loin, affirme qu'elle n'est « pas au courant », quand bien même une affiche est apposée à la porte d'entrée de son immeuble.
À l'origine du projet, Mgr Antoine Nasr, du diocèse grec-catholique de Beyrouth, ne s'arrête pas à ces objections. Pour lui, le projet de fête de quartier est un moyen de réhabiliter Badaro, un « quartier mixte, à l'image du Liban », aux yeux des Beyrouthins. « C'est un quartier bien pensé, où l'organisation des rues est rationalisée, où il y a des trottoirs, des espaces verts à proximité. Le centre-ville et Achrafieh ne sont pas loin, et pourtant c'est un quartier très calme. » S'il reste encore quelques efforts à faire pour que les habitants de Badaro parviennent à recréer une solidarité et une vie de quartier, la fête d'aujourd'hui constitue une première étape sur le chemin d'un avenir commun.
Badaro, l'un des quartiers les plus huppés de Beyrouth au début des années soixante-dix, a beaucoup pâti de la guerre civile. Une partie de sa population s'en est allée, emmenant avec elle l'esprit d'unité qui prédominait jusqu'alors. Dans le but de recréer du lien entre les habitants, le comité de Badaro organise aujourd'hui vendredi une grande fête de quartier.« Badaro,...

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