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Mode - Métiers d’art

Quand Chanel prend le Paris-Byzance

En ce 6 décembre frileux, c'est une même effervescence qui gagne autant les ateliers du bottier Massaro, du parurier Desrue, du brodeur Lesage, de l'orfèvre Goossens, du plumassier Lemarié, que du modiste Michel, ou du parurier floral Guillet. Toutes ces maisons ont en commun un savoir-faire parfois plus que centenaire. Elles ont été progressivement inscrites au patrimoine de Chanel. C'est pour préserver ces métiers d'art tout en veillant à leurs destinées que Karl Lagerfeld ajoute, depuis 2002, une sixième collection aux cinq habituelles d'une maison de couture. La collection « Métiers d'art », qui se tient en décembre, célèbre une ville qui s'inscrit dans l'histoire de Chanel. En résonance avec l'ouverture d'une nouvelle boutique à Istanbul, l'édition 2010, déjà la neuvième, est consacrée à Byzance.
La qualité du calme qui règne chez Lesage est la même que celle qui précède les tempêtes. À J-1 du défilé, l'heure est aux dernières vérifications, aux rajouts de dernière minute, à ces infimes modifications qui ne feront aucune différence pour le commun des mortels et que seul distingue l'œil du maître. Livraison de cristaux transparents, colorisés selon une palette précise et qui seront assemblés à la manière des émaux cloisonnés puis recouverts d'un tulle noir propre à en amortir l'éclat. Quinze mètres de lignage au moins sont nécessaires pour entourer les motifs. Des cuissardes arrivent de chez Massaro. On y appose boucles et escarboucles. Des bracelets sont créés sur-mesure pour les talons. À travers ce parcours confidentiel dans l'île au trésor de Chanel, on a l'impression de collecter les indices d'une énigme, les morceaux d'un puzzle géant dont l'image finale ne sera donnée qu'au défilé. Les signes nous parviennent de Byzance, mieux, de Constantinople. D'une ville qui a brassé la première les cultures d'Orient et d'Occident, l'Empire romain, le christianisme et l'islam, le trésor de Priam et les fantasmes de Schliemann, et qui s'est trouvée, dès l'aube de la civilisation, au carrefour de tous les échanges. Il y a du grandiose dans l'air.
On ne sera pas déçu. Dans le très confidentiel salon d'essayage de Mademoiselle Chanel, au 31 rue Cambon, le décor est déjà dans la note. Murs vieil or, diwan oriental recouvert de tissus à motifs de mosaïque ancienne, le même qui court au sol et se froisse sous les pas discrets des rédacteurs en chef du monde entier, parmi lesquels on croise la redoutable Suzy Menkès. De grandes figures françaises du spectacle, des arts et des lettres sont déjà là aussi. Bambou s'occupe de Régine avec une tendresse toute filiale. La musique est lancée et aussitôt apparaissent, car il s'agit bien d'apparition, les premiers modèles de la collection. Freja, le mannequin le plus couru du moment, semble détachée d'une icône. Les tableaux se succèdent par séries de couleurs, bleu nuit et bleu minéral, pourpre, violet et vert profonds, mais aussi une gamme de gris et terre, le tout relevé d'une omniprésence de l'or. Cultivant une ligne épurée en rondeur, fluide et enveloppante, Karl Lagerfeld réinterprète chasubles, tuniques et toges dans un registre contemporain. L'exercice est dangereux, il survole plusieurs siècles. N'était le talent du kaiser, velours et brocards feraient très vite penser aux costumes de Jean Marais dans Peau d'Âne. Mais les drapés, les asymétries, les panneaux libres sur le dos et le devant libèrent le mouvement, et ces figures a priori hiératiques sont incroyablement fluides et vivantes. Le tout ressemble à un rêve dont on se réjouit qu'il soit réel.
S'exprimant sur cette collection exceptionnelle, la maison Chanel indique : « Tweed brouillé d'or, satin cuir, velours, cachemire, mousseline, dentelle ou tulle dessinent des » tablions « , des galons, des broderies. Les boutons se font cabochons précieux et les applications, arabesques ou palmettes dorées. Et la maille vibre, brute et sophistiquée, à l'instar d'une mosaïque. Byzance et sa splendeur flamboient sur les ceintures et bijoux en carrés de pâte de verre, en métal doré filigrané, en émaux et perles. Mademoiselle Chanel avait fait de l'art byzantin son inspiration majeure en lançant la première, dans les années 20, une ligne de bijoux fantaisie. Sur la jambe, des chaussettes hautes dessinent une géométrie traversée de brillance. Au pied, les sandales se font bijoux avec leur talon ceint d'un bracelet mosaïque ou leurs découpes en arabesques. Les cuissardes se ponctuent de pâte de verre richement colorée. Les ballerines enflamment leur bout d'un filigrane doré. Et l'or discret allume encore le poulain et le croco. »
Les fastes de Byzance réveillent aussi le sac classique ou les minaudières : or sur tweed dévoré, pierres et boutons précieux en incrustations, galons enrichis en applications.
« L'inspiration n'est pas une copie, mais un point de départ pour aller ailleurs », commente Karl Lagerfeld. Un point de départ, en réalité, qui ramène la haute couture à son ADN et à ses constantes : art et artisanat, belle ouvrage et création, sans lesquels elle ne serait pas possible.

F.A.D
En ce 6 décembre frileux, c'est une même effervescence qui gagne autant les ateliers du bottier Massaro, du parurier Desrue, du brodeur Lesage, de l'orfèvre Goossens, du plumassier Lemarié, que du modiste Michel, ou du parurier floral Guillet. Toutes ces maisons ont en commun un savoir-faire parfois plus que centenaire. Elles ont été...

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