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Diaspora

Milton Hatoum, un des principaux écrivains brésiliens de la littérature contemporaine

Milton Hatoum est considéré par la critique littéraire comme un des principaux écrivains de la littérature contemporaine brésilienne. Sa famille est originaire de Bourj el-Brajneh

Milton Hatoum entouré de l’ambassadeur du Brésil, Paulo Roberto da Fontoura (à droite), et du chercheur Roberto Khatlab.

Né en Amazonie en 1952, Milton Hatoum est titulaire d'un diplôme d'architecture et d'urbanisme à São Paulo et d'un doctorat en Lettres de l'université de la Sorbonne nouvelle (Paris III). Il a enseigné la littérature à l'université fédérale de l'Amazonas et à l'université de Californie et de Berkeley. Il vit actuellement à São Paulo où il se consacre entièrement à l'écriture de ses œuvres.
De passage à Beyrouth à l'occasion de la Foire du livre ibéro-américain, il retrace le parcours familial duquel il puise une partie de son inspiration. « Mes deux premiers romans ne sont pas des sagas d'immigrés libanais, ces romans sont plutôt des drames familiaux, dont les personnages sont des Brésiliens et aussi des immigrés libanais déjà établis à Manaus (Amazonie), raconte-t-il. Bien sûr, il y a quelque chose de ma vie et de celle de ma famille dans ces romans. Mon père était un Libanais de Beyrouth (Bourj el-Brajneh). Du côté maternel, mon bisaïeul originaire de Batroun a été le premier à s'établir à Manaus, au début du XXe siècle. De famille chrétienne, sa fille - ma grand-mère Émilie - a épousé un musulman et le mariage interconfessionnel s'est répété avec mes parents. Aussi la Bible et le Coran étaient-ils les livres sacrés de la maison de mon enfance. Il en a été ainsi pendant un demi-siècle et, grâce à Dieu et à mes parents, aucune religion ne m'a été imposée. »
De ce mélange résulte une production foisonnante, où s'entremêlent les cultures amazonienne, brésilienne, européenne et arabe. Citons parmi ses œuvres un recueil de poèmes, Entre autres écrits, apparu en 1979 - Amazonas. Palavras e imagens de um rio entre ruínas (« Amazonie. Paroles et images d'un fleuve entre ruines » ). En 1989, il écrit le roman Relatos de um certo Oriente (« Récit d'un certain Orient » - Seuil), en 2000, Dois irmãos (« Deux frères » - Seuil), en 2005, Cinzas do Norte (« Cendres d'Amazonie » - Actes Sud), et en 2008, Órfãos do Eldorado (« Orphelins de l'Eldorado » - Actes Sud, 2010).
Sur l'émigration, Hatoum dit : « Rares sont ceux qui sont prêts à quitter leur terre pour toujours, à parler une autre langue, sachant que leur langue maternelle sera réservée à un petit cercle de parents et d'amis, au sein de leur communauté. Les plus vieux racontaient des histoires d'exodes, de déplacements, de grands voyages, d'activités commerciales sur les fleuves d'Amazonie. C'étaient des chroniques pleines d'aventures et de périls, dans lesquelles s'imposait presque comme une nécessité le désir de s'établir et de réussir dans la nouvelle patrie. La langue arabe était parlée par mon père et mes grands-parents maternels, mais ma mère, une Brésilienne, ne m'a jamais adressé la parole en arabe. Cette langue était pour moi une sorte de mélodie aux sons familiers, mais malheureusement une mélodie perdue. Pour moi, le français était plus abordable surtout que ma grand-mère Émilie l'alternait avec l'arabe. Néanmoins, ma langue maternelle est le portugais du Brésil, avec l'accent, les tournures et le vocabulaire de l'Amazonie. »
Milton Hatoum s'étend aussi sur son identité : « Il est difficile de définir ce que nous sommes. Toutefois, un Brésilien descendant d'immigrés, quelles que soient ses origines, ne ressent pas l'étrangeté et le dépaysement que peut éprouver l'enfant d'immigrés turcs en Allemagne, de pakistanais en Angleterre ou d'algériens en France. Au Brésil on ne se considère pas comme des Afro-Brésiliens, des Italo-Brésiliens ou des Arabo-Brésiliens. La dilution des origines est la base de la formation de la société brésilienne, elle signifie le mélange, le refus des identités rigides et immuables, l'assimilation de cultures diverses, non hiérarchisées. De là vient l'importance de la coexistence de différentes ethnies, de différentes origines, même si cela semble une utopie. »
« Réconcilier les cultures différentes et promouvoir le dialogue entre elles font partie des défis de notre époque qui, hélas, annonce une nouvelle barbarie, ajoute-t-il. J'ai cité l'exemple de Cervantès, parmi tant d'autres grands écrivains et artistes, qui a compris l'importance vitale de la connaissance de l'Autre. »
Interrogé sur ses émotions, l'écrivain affirme : « En 1993, mon premier roman a été publié et traduit en France, donnant lieu à des comptes-rendus dans la presse libanaise. Ces journaux ont traversé l'océan et sont arrivés jusqu'aux mains de mon père, à Manaus, Amazonie, plus d'un demi-siècle après qu'il eut définitivement quitté le Liban pour le Brésil. Un des souvenirs les plus émouvants que je garde de lui est justement celui où je le revois assis sur la terrasse de sa maison, lisant un de ces comptes-rendus, parus dans le journal libanais an-Nahar. Je me souviens qu'il a convoqué toute la famille pour en faire la lecture, comme s'il s'agissait d'une cérémonie solennelle. C'est la première fois que je l'ai vu pleurer, sans sanglots, des larmes silencieuses d'une douleur qui m'a paru inouïe. À ce moment précis, en regardant cet homme déjà vieux, appelé à être un jour enterré loin de sa patrie, j'ai pensé à la douleur des immigrés, des exilés et des expatriés qui rarement reviennent dans leur terre natale pour revoir parents et amis, ou simplement pour contempler le paysage de leur enfance, quand tous les autres sont déjà morts. J'ai pensé qu'une société, quelle qu'elle soit, a une dette envers ces êtres égarés sur terre et qui, mus par une volonté tenace de mener une vie moins pénible, ont choisi une autre patrie. »
Ému, mon père a lu l'article en arabe, sa langue maternelle, et l'a traduit lentement en portugais, sa langue d'adoption. Quand il en a achevé la traduction, il a déclaré : « Je n'ai jamais pensé qu'un jour je retournerai au Liban grâce à un livre écrit par mon fils. »
Né en Amazonie en 1952, Milton Hatoum est titulaire d'un diplôme d'architecture et d'urbanisme à São Paulo et d'un doctorat en Lettres de l'université de la Sorbonne nouvelle (Paris III). Il a enseigné la littérature à l'université fédérale de l'Amazonas et à l'université de Californie et de Berkeley. Il vit...