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Moyen Orient et Monde - Le point

Incontournables talibans

Imaginez le raisonnement qu'aurait pu tenir Hamid Karzaï devant les émissaires de ses protecteurs occidentaux.
Vos gouvernements veulent des élections libres ? Difficile pour l'instant. Reportons donc la date au 18 septembre.
D'accord. Oublions donc le 22 mai. Mais il faudrait que le scrutin soit un modèle du genre...
Tentant, non ? Seulement voilà : trop belle, l'occasion, pour ne pas être ratée. Au lieu de tenir pareil langage à ses interlocuteurs, le président afghan a préféré parler argent : « L'opération va coûter 120 millions de dollars sur lesquels il nous manque 50 millions. Prière de couvrir le déficit. »
On peut être assuré que la communauté internationale s'exécutera. Et que les millions ainsi obtenus iront grossir le compte secret de quelques chefs de clan, plutôt gênés financièrement depuis que le régime fait semblant de vouloir éradiquer (on est prié de ne pas rire) la culture du pavot. Certes, l'un des membres de la commission électorale, Zekriya Barakzaï, a osé évoquer d'autres facteurs qui entraveraient le bon déroulement des opérations, citant la sécurité, des obstacles d'ordre logistique, sans autre précision, ainsi que la nécessité d'expliquer à une population peu familière avec des pratiques aussi étrangères à ses coutumes la nécessité de l'isoloir ou encore de la carte d'électeur. Les Américains, eux, ont surtout fait valoir qu'il y allait de la poursuite de leur aide en fonds pour le développement, que les renforts militaires promis en dépendaient, qu'une réédition de la présidentielle d'août dernier ne saurait être admise. On se souvient qu'à l'époque, les observateurs étrangers avaient exigé l'annulation de plus d'un million de bulletins, forçant le président sortant à accepter un humiliant second tour et son adversaire, l'ancien ministre des Affaires étrangères Abdullah Abdullah, à se retirer de la course en arguant du fait, somme toute logique, que jouer les prolongations reviendrait pour lui à donner son blanc-seing à la poursuite des fraudes massives qui avaient marqué la phase I.
Enhardis par les hésitations des parrains du régime, les adversaires de celui-ci demandent maintenant le remplacement d'Azizullah Ludin, président de la commission électorale, vu comme trop ouvertement pro-Karzaï, un geste qui a eu le don d'irriter le chef de l'État, habitué hier encore à plus de docilité. Plus grave : les néo-« rebelles » se font désormais prier pour agréer les candidats à des postes-clés proposés par le président de la République. À deux reprises déjà, ils ont rejeté des candidatures à des maroquins et il en reste onze à pourvoir...
Vendredi dernier, le secrétaire américain à la Défense, Robert M. Gates, a balancé un sacré pavé dans la mare en reconnaissant que les talibans font partie désormais du paysage politique mais qu'ils devraient aussi se montrer capables d'assumer leur nouveau rôle. En d'autres termes, a-t-il pris soin de préciser, il est exigé d'eux qu'ils participent aux élections, qu'ils s'intègrent parfaitement au système en cours d'installation et qu'ils cessent de s'attaquer aux membres du gouvernement. Vaste autant qu'irréalisable programme. Pourquoi les États-Unis voudraient-ils voir les anciens maîtres du pays accepter de passer sous de telles fourches caudines quand ils ont le vent en poupe et quand leur Afghanistan du XXIe siècle n'a rien à voir avec celui dont on leur propose la codirection ? Il suffit pour se rendre compte du fossé qui sépare les deux conceptions d'une nation qui n'a pas fini de se reconstruire de se rappeler que l'espace de quelques heures, le 18 janvier, les hommes du mollah Omar se sont rendus maîtres de Kaboul, à quelques centaines de mètres des sièges de la présidence de la République, du ministère de la Justice et de celui de l'Éducation. Sur le sujet, un rapport de 23 pages établi par un as des services secrets de l'armée US, le général Michael Flynn, se révèle particulièrement édifiant. Le mouvement taliban, y est-il dit, gagne du terrain qualitativement et géographiquement grâce à une meilleure maîtrise de la technique de fabrication des bombes, à un contrôle plus efficace du trafic d'opium et à une capacité plus grande de recrutement. D'où le triplement des actions terroristes par rapport à 2007 et un mieux de 60 pour cent depuis 2008.
Hier lundi, les présidents afghan et pakistanais se sont retrouvés à Istanbul, sous l'égide du Turc Abdullah Gül, pour débattre d'une paix négociée avec les étudiants en théologie. La rencontre sera suivie d'une réunion comprenant les pays voisins puis d'une conférence internationale. À cette occasion, les participants découvriront qu'il était plus aisé, hier, de subir les foudres de l'ennemi que de parlementer aujourd'hui avec ce bien étrange, insaisissable autant qu'incontournable allié.
Imaginez le raisonnement qu'aurait pu tenir Hamid Karzaï devant les émissaires de ses protecteurs occidentaux.Vos gouvernements veulent des élections libres ? Difficile pour l'instant. Reportons donc la date au 18 septembre.D'accord. Oublions donc le 22 mai. Mais il faudrait que le scrutin soit un modèle du genre...Tentant, non ? Seulement voilà :...

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