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Mode - Rencontre

Sidney Toledano, ou l’esprit Dior

Sidney Toledano.

Crise oblige, un événement comme l'ouverture de Dior à Beyrouth est suffisamment rare en ce moment pour justifier la mobilisation du ban et de l'arrière-ban de la presse, des officiels et des people. C'est un jour de pluies torrentielles, au seuil de l'année nouvelle, que Sidney Toledano a débarqué au pays du Cèdre à l'occasion de l'inauguration de la boutique Dior au centre-ville, à l'intersection des rues Foch et al-Moutran. L'occasion aussi d'une rencontre chaleureuse, malgré le martèlement de l'eau qui couvrait les voix. Inquiet, il a d'emblée posé lui-même la première question : « C'est déjà arrivé, ici, un temps pareil ? »


Un temps pareil, oui et non, on ne sait plus, c'est rare. Mais une chose est sûre, il y a toujours des éclaircies. La preuve, le soleil revient, et « l'homme le plus puissant du monde de la mode » (New York Times) respire. Grand, le regard clair, bientôt « sexygénère », ce centralien qui s'intéressait particulièrement aux mathématiques appliquées avant d'être happé par l'industrie du luxe a été bombardé en 1998 président directeur général de Christian Dior couture, puis directeur général du groupe Christian Dior, PDG de John Galliano France et président de la société Fendi. L'interview sera « corporate ».

Qu'attendait Dior pour s'implanter à Beyrouth ?
En réalité, l'intérêt des Libanais pour Christian Dior remonte à 1947, date du premier défilé du couturier à Paris et de la présentation de son fameux New look. Dès les années 50, Christian Dior a introduit dans ses collections une robe baptisée Liban et une autre Baalbeck. Dior a continué à exister à Beyrouth, notamment rue Verdun, jusqu'en 1994. Mais les troubles ont fait que cette représentation a dû être interrompue. On ne peut pas vendre du luxe dans des rues sans trottoirs et sans lumières ! En revanche, le contact est resté constant avec la clientèle libanaise dans les boutiques Dior du monde entier. Nous attendions seulement le retour d'une situation favorable et une proposition d'emplacement. Et en effet, le local qui vient de s'offrir à la marque est particulièrement beau et bien situé sur trois rues en plein centre-ville. Il faut donner du temps au temps, dit-on, et cet écrin réalisé grâce au dynamisme et au savoir-faire de Tony Salamé a justifié l'attente.

Comment Beyrouth est-il perçu chez Dior ?
Dior a des clients libanais dans toutes les grandes villes du monde. Ils sont dynamiques, ils ont le goût de la fête, ils adorent les belles choses, ils sont extraordinairement entreprenants. Il y a un grand décalage entre l'image que donnent les médias du Liban et la réalité sur le terrain. Il faut continuer à créer des événements à grand retentissement médiatique, communiquer plus et mieux sur Beyrouth pour casser définitivement cette image négative. Je trouve beaucoup de confiance en l'avenir chez les Libanais que je rencontre. Il serait bon que le boom économique que traverse le pays soit source de paix, mais c'est une question politique...

Quelle est votre définition du luxe ?
Un objet est rendu luxueux par le temps et le soin consacrés à sa confection. Pour nous, dirigeants de maisons de luxe et fabricants de produits de luxe, il s'agit de maintenir l'attention « obsessive » attachée à la production, par la sélection des meilleurs matériaux, des meilleurs créateurs et des meilleurs artisans. Il nous faut maintenir un niveau de perfection tant en maroquinerie qu'en couture. Pour la maroquinerie, par exemple, nous n'utilisons que l'agneau qui est le cachemire, la soie du cuir. Ensuite, il faut créer pour le produit une mise en scène qui fasse rêver. Un lingot d'or à lui seul ne fait pas rêver. Il faut le transformer en émotion, en cohérence, trouver les mots pour en parler, le façonner pour en faire un écrin à lumière, le présenter dans un emballage qui signale sa rareté et sa qualité.

Quel est le détail qui
marque l'ADN de Dior ?
Il ne faut pas croire qu'il suffit de voir le monogramme sur un article pour reconnaître un produit Dior. Cette marque n'est pas basée sur un monogramme, mais sur toute une allure faite de fleurs, de corolles et de broderies. Le motif du cannage, caractéristique de la maison, a une histoire. Christian Dior, qui avait des maux de dos, assistait aux défilés assis sur une chaise cannée qui le reposait. Il a repris le thème de ce cannage en « surpiqué » appliqué sur les robes. En maroquinerie, nous avons récemment réinterprété ce motif en le nervurant. Il n'y a pas si longtemps, on parlait de griffe et non de marque. Notre maison ne repose pas sur un monogramme, qui est une simple signature, mais sur une griffe qui est l'empreinte des créateurs qui l'ont hissée là où elle est.
Galliano, par exemple, puisqu'il est le directeur artistique le plus récent de la maison, s'est plongé dans l'histoire de la marque alors qu'il était encore chez Givenchy. Quand il est passé chez Dior, c'était pour lui la réalisation d'un rêve. Il est celui qui a le mieux interprété l'esprit de Dior. Plus encore, il réincarne à mes yeux Christian Dior en personne. Il a l'œil d'un artiste polyvalent comme on en rencontrait à la Renaissance.
Quelle est l'image idéale que doit véhiculer une égérie de Dior ?
Il n'y a pas d'égérie idéale. La mode est le monde de la diversité. Nous ne sommes pas dans une société monolithique. Au-delà de la beauté, nous attendons d'une égérie qu'elle transmette une force, un magnétisme. Marion Cotillard, Monica Bellucci, Charlize Theron, Sharon Stone ont cette force. Il y a aussi un facteur 6e sens, une rencontre entre ces femmes et les créateurs par l'intermédiaire des spécialistes du marketing qui sont les nez et les yeux des créateurs de la maison. Les grandes actrices, que Dior a choisi d'habiller dès ses débuts, ont une dimension supérieure à celle des mannequins.

Quelle est la réaction de Dior à la récession ?
D'abord, ne pas faire d'économies ! Aucune concession n'est permise au détriment de la qualité. Nous avons maintenu contre vents et marées les services que l'on est en droit d'attendre d'une marque de luxe et nous avons eu raison. La récession a fait que la consommation s'est recentrée sur les grandes maisons, les marques ancrées dans l'histoire et qui ont maintenu leur intégrité. On assiste à une demande de « value from money ». En France, il nous reste des progrès importants à faire pour continuer à attirer des ouvriers de qualité, des gens de talents, des tailleurs, des maroquiniers qui ne soient pas uniquement des créateurs. Nous avons, tant en Europe qu'au Moyen-Orient, un savoir-faire qu'il faut investir en productivité au lieu d'aller se délocaliser dans des pays à faibles salaires.
Crise oblige, un événement comme l'ouverture de Dior à Beyrouth est suffisamment rare en ce moment pour justifier la mobilisation du ban et de l'arrière-ban de la presse, des officiels et des people. C'est un jour de pluies torrentielles, au seuil de l'année nouvelle, que Sidney Toledano a débarqué au pays du Cèdre à...

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