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Législatives : juin 2009 - Pour aller plus loin

Le tiers de blocage : hérésie ou technique constitutionnelle ? 


Le tiers de blocage est-il oui ou non une procédure prévue par la Constitution libanaise ? Sinon, peut-il être considéré comme une hérésie, comme l'affirment certains pôles du 14 Mars ? La réponse à ces interrogations est d'autant plus urgente que la formation du prochain gouvernement, qui décidera en grande partie du jeu institutionnel à venir, en dépend largement.
Qu'il soit accordé à l'opposition ou au chef de l'État, comme le préconisent des voix au sein de la majorité, ce fameux « tiers de garantie », comme préfère l'appeler le courant du 8 Mars, sera sans aucun doute déterminant en termes d'équilibre du pouvoir.
Sélim Jreissati, ancien membre du Conseil constitutionnel et chargé d'enseignement à l'USJ, est catégorique : « Dire que le tiers de blocage, dans l'absolu, est une hérésie n'est certainement pas correct. »
Dire en outre qu'il faut fatalement l'accorder à l'opposition est tout aussi erroné. C'est au chef de l'État que « Taëf a accordé, implicitement, la possibilité de faire pencher la balance soit en faveur de l'opposition, soit en faveur de la majorité, selon les circonstances, car il revient à la première magistrature de signer le décret de la formation du gouvernement et donc de concocter les équilibres de manière à assurer l'harmonie des institutions ».
Hady Rached, également enseignant à la faculté de droit de l'USJ et membre de la commission parlementaire de la Modernisation des lois, va dans le même sens lorsqu'il affirme que le chef de l'État « est partenaire à part entière dans la formation du gouvernement », ce qui lui confère, implicitement, le rôle de « garant » des institutions et de leurs équilibres en termes de pluralité communautaire.
Mais quelle que soit la position des uns et des autres, il est désormais nécessaire de comprendre la portée de ce fameux article 65C sur le vote en Conseil des ministres, ainsi que celle de l'article 95C prévoyant une participation communautaire équitable, pour essayer de savoir quel était l'esprit du législateur constitutionnel de l'époque et surtout si oui ou non le tiers de blocage a été conçu comme l'entendent certains pôles de l'opposition (le Courant patriotique libre surtout).
« Dire que la minorité de blocage est une hérésie constitutionnelle, c'est verser fatalement dans l'erreur, car ce tiers de blocage est une exception à un principe », affirme M. Jreissati, soulignant que la minorité de blocage « n'est certes pas expressément mentionnée dans la Constitution, mais est sous-entendue lorsque l'on parle de la majorité renforcée des deux tiers ».
« Ce qu'il faut savoir, poursuit le juriste, c'est que la Chambre des députés aussi bien que le Conseil des ministres exercent, chacun de son côté, ses prérogatives normales à la majorité simple. En d'autres termes, le Parlement légifère et censure l'action du gouvernement à la majorité simple, de même que le gouvernement prend normalement le plus grand nombre de ses décisions à la majorité simple. »
« Pour certaines questions fondamentales, cette majorité est " renforcée ". Quant au gouvernement, poursuit le juriste, l'article 65 de la Constitution détermine certaines questions fondamentales dont l'adoption requiert la majorité des 2/3 des membres composant le gouvernement. Ainsi, la minorité de blocage, c'est-à-dire techniquement le tiers d'un collège plus un, que ce soit le collège des législateurs ou des ministres, est certes une exception à un principe, le principe étant la majorité simple ou le consensus. »
« Et comme toute exception, elle doit être soulevée et exercée de manière restrictive, sans tomber fatalement dans l'erreur et dire que c'est une hérésie », ajoute-t-il.
Selon lui, cette fameuse minorité de blocage a été, dans l'esprit du législateur constitutionnel à Taëf, « un clin d'œil, un signal au président de la République, à savoir que, dans les questions fondamentales, il pouvait obtenir le pouvoir d'imposer ses choix stratégiques ».
C'est d'ailleurs l'ancien Premier ministre lui-même, Rafic Hariri, qui l'avait clairement précisé, lorsqu'il avait affirmé que « le président de la République, qui ne sait pas ce que Taëf lui a accordé sous la table comme pouvoirs, est un président naïf », rapporte M. Jreissati.
« N'ayant pas de délai pour signer le décret de la composition du gouvernement, le président peut, au titre de garant de la Constitution, étudier la proposition de gouvernement de sorte à minimiser éventuellement les minorités de blocage à caractère communautaire et à s'octroyer lui-même la clé de l'équilibre ou du partage du pouvoir, et ce grâce à la possibilité qu'il a de dire oui ou non à un gouvernement », ajoute-t-il.
En d'autres termes, ce que Taëf a ôté expressément de la main droite au chef de l'État, il le lui a redonné sous la table pour apaiser les craintes des maronites et des chrétiens en général », assure Jreissati.
« Ce qui est sous-entendu dans le texte fondamental, ce n'est pas le tiers de blocage en tant que tel, mais plutôt l'équilibre du pouvoir qui doit être assuré par la première magistrature », dit-il. C'est la raison pour laquelle Taëf, dans sa teneur, a accordé au chef de l'État ce qu'on appelle « le vote prépondérant » auquel « peut et doit prétendre le président de la République. Ce vote, il l'exerce, non pas nécessairement en s'appropriant la minorité de blocage, mais en maniant subtilement le jeu de l'équilibre des pouvoirs ».
Hady Rached va dans le même sens lorsqu'il affirme que « théoriquement, l'opposition ne gouverne pas, un principe admis partout dans le monde. Par conséquent, on ne peut lui accorder le tiers de blocage ».
Mais, poursuit l'avocat, « on ne peut non plus occulter le fait que le Liban est un pays consensuel, d'où une certaine contradiction entre le principe du gouvernement consensuel et celui d'une majorité qui gouverne avec les coudées franches et une opposition qui contrôle l'action du gouvernement ».
Selon M. Rached, pour contrecarrer le fait que les prérogatives du chef de l'État ont été grignotées à Taëf, ce dernier a pu obtenir « un droit de regard sur le gouvernement ».
« Or, dit-il, ce dernier ne peut exercer ce droit de regard que s'il a lui-même un certain nombre de ministres qui lui sont proches, soit le tiers au moins du gouvernement en place. »
« Certes, reconnaît M. Rached, la Constitution n'a pas clairement accordé ce tiers de garantie au président, mais elle y a fait allusion de manière indirecte. »
« Ce qu'il faut savoir, c'est que même en droit privé, le droit des sociétés commerciales prévoit un système de blocage pour garantir le droit des minorités », dit-il. Or, c'est à la première magistrature que revient la mission de garantir clairement le droit des minorités.
Le président peut-il toutefois se prévaloir d'un tiers des ministres lorsqu'il n'a pas pu obtenir son équivalent en représentation populaire ?
Certes, répond le juriste, car « constitutionnellement, le président est la personne qui signe le décret de formation du gouvernement, et, en cette qualité, il joue un rôle prépondérant dans l'équilibre des pouvoirs ».
Et M. Rached d'aller même plus loin dans cette logique, en proposant, « en place et lieu des revendications prônant un octroi de prérogatives supplémentaires au chef de l'État ou la restitution d'une partie de ses anciens pouvoirs, d'introduire le principe de l'appel au référendum octroyé au président sur les questions fondamentales ou autres auxquelles fait référence l'article 65C, à l'instar des pays occidentaux utilisant cette technique constitutionnelle dans les dossiers majeurs ».
Qu'il soit accordé à l'opposition ou au chef de l'État, comme le préconisent des voix au sein de la majorité, ce fameux « tiers de garantie », comme préfère l'appeler le courant du 8 Mars, sera sans aucun doute déterminant en termes d'équilibre du pouvoir. Sélim Jreissati, ancien membre du Conseil...