C'est dingue ce que les gens, même prétendument intelligents, peuvent manquer de discernement et ne s'arrêter qu'aux apparences. C'est trop joli, des apparences ; ces néobarbares n'ont rien compris. Certains me prennent pratiquement toujours pour une Barbie écervelée camée au shopping, une espèce d'ultrafashionista alcoolique au QI qui dépasse à peine celui d'un sac Gucci, une illegaly blonde qu'on confondrait volontiers, disent les méchantes langues, avec l'arrière-grand-tante de Paris Hilton. D'autres sont persuadé(e)s que je suis une sorte d'intello hystérique qui préfère zapper une soirée Qui veut gagner des millions avec un Jean-Pierre Foucault aussi télégénique et charismatique qu'une huître pour regarder un vieux Kurosawa ou une soirée Théma sur le vent sur Arte ; une prétentieuse snobinarde qui ne jure que par Spinoza, Matthias Langhoff ou Gérard Manset et qui s'en va en claquant la porte et en poussant des gloussements d'autruche qui a avalé un balai par erreur lorsqu'on lui parle de Marc Lévy, de Dani Boon ou de Radiohead. Des troisièmes, enfin, me traitent de nymphomane et rêvent de me brûler vive sur un bucher dressé place Sassine, jurant que mon seul but dans la vie est de coucher dans mes interminables draps de satin noir customisés rien que pour moi par Alexander McQueen et que même cette sotte d'Anna Wintour a voulu me piquer, seuls ou à plusieurs, des it boys d'à peine vingt ans, des surfeurs, des top models, des menuisiers ou des rugbymen qui feraient passer Ashton Kutsher, Chase Dreyfous ou Julien Doré pour de bedonnants, grisonnants et cacochymes quinquagénaires. À ces trois groupes de gossipers crétins, qui me traitent dans tous les salons de pouffiasse invétérée, il me plairait de dire : il suffit ! Mais je me tairais pendant qu'ils braient. Je me fous impérialement qu'ils sachent ou pas que je suis capable de m'oublier, de me transcender et de ne dormir ni nuit ni jour pour une cause que j'aurais jugée noble et digne de mon énergie. Je me fous impérialement qu'ils sachent ou pas que j'ai décidé par exemple d'empêcher par tous les moyens possibles et imaginables la municipalité de Beyrouth de transformer le jardin de Sanayeh en parking. Que j'ai décidé de devenir la Brigitte Bardot, en mille fois plus glam, de la chlorophylle. À peine vêtue d'une microjupe en coton blanc Anne Demeulemeester et d'un débardeur blanc Petit Bateau, chaussée de mes Louboutin Pink Bubble-gum et de solaires rose Dior, j'ai débarqué comme une furie devant l'espace vert en péril et me suis immédiatement enchaînée, avec des menottes en acier Sonia Rykiel et sous l'œil tétanisé des gardiens et autres agents de l'ordre. Dix minutes plus tard, arrive avec tambours et trompettes mon délicieux jouet du mois, Omar, 19 ans, de Tarik Jédidé, armé d'une tablette en plexi Karen Chekerdjian, d'une caisse de Veuve Clicquot et d'un saladier bleu ciel Alessi rempli de pistaches d'Alep. Mes amis débarquent, la fête commence, les policiers s'énervent et je leur fais comprendre, très Rita Hayworth un peu agacée, que je ne bougerai pas d'ici avant que ce bon monsieur Ariss, le président de la municipalité de Beyrouth, ne me jure sur la tête de ses enfants qu'il va abandonner le projet. Ou avant que le Lebanese idol, mon lion superbe et généreux, qui loge en voisin dans le ministère d'en face ne vienne m'assurer de son soutien. Quelques minutes plus tard, comme dans un rêve, Ziyad Baroud apparaît : Vous avez un problème, mademoiselle ? Je lui tends une coupe de champagne, la larme au coin de l'œil : il m'a appelée mademoiselle, les choses sérieuses peuvent commencer, miam miam.
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C'est dingue ce que les gens, même prétendument intelligents, peuvent manquer de discernement et ne s'arrêter qu'aux apparences. C'est trop joli, des apparences ; ces néobarbares n'ont rien compris. Certains me prennent pratiquement toujours pour une Barbie écervelée camée au shopping, une espèce d'ultrafashionista alcoolique au QI qui...