Rechercher
Rechercher

Travailleurs ou réfugiés, les Soudanais clandestins en proie à l’exploitation

Bonne ou mauvaise fortune, ils témoignent

Des Soudanais racontent leur voyage vers le Liban, leur situation de sans-papiers et les problèmes qu'ils rencontrent au quotidien. Une « success story » pour certains, un véritable calvaire pour d'autres.
« Si c'était à refaire ? Je préférerais mourir dans mon pays plutôt que revivre ce que j'ai vécu ces dix dernières années, depuis que j'ai quitté le Soudan », lance Ahmed, résident illégal au Liban, ancien professeur d'anglais devenu aujourd'hui concierge. Ahmed raconte la fuite de son pays en guerre pour la Syrie, par avion, avec sa femme et son premier enfant. Il raconte aussi la traversée de la frontière syro-libanaise, après la naissance de son second enfant en Syrie. Une traversée qui a duré une journée entière. « Le passeur nous a fait marcher dans la montagne durant 4 km environ. Je portais les enfants et ma femme les valises. Au passage d'une patrouille, il nous a ordonné de ramper. C'était le moment le plus difficile », remarque-t-il. Ahmed se souvient bien de son passeur, « un haut placé sécuritaire », qui a empoché 400 dollars de la petite famille, « 150 dollars par adulte et 100 autres pour les deux enfants ».

Exploités par leurs employeurs et les forces de l'ordre
Le Liban devait être une étape pour Ahmed et sa famille, avant l'Europe. Mais aujourd'hui, cet homme mûr affirme avoir changé d'avis. D'une part, il observe que sa demande auprès de l'UNHCR au Liban a été refusée, parce qu'il avait déjà un dossier en Syrie. D'autre part, il est satisfait de l'instruction que ses trois enfants reçoivent gratuitement au Liban, grâce à l'aide d'associations comme Caritas et Insan. Et puis la situation s'est améliorée au Soudan où l'homme pense ramener sa famille d'ici à quelques années. D'ailleurs, pour la première fois depuis 10 ans, Ahmed est optimiste depuis qu'il a trouvé cet emploi de concierge dans une école et qu'il a réussi à mettre 200 dollars de côté en un mois. Car il est à présent logé gratuitement et ne paie ni l'eau, ni l'électricité, ni l'abonnement aux chaînes câblées. Il espère surtout que son employeur tiendra sa promesse de l'aider à régulariser sa situation et de lui obtenir, ainsi qu'à sa famille, un titre de séjour.
Mais son parcours au Liban n'a pas été des plus roses. Bien au contraire. Ahmed raconte les petits boulots avec des salaires de misère, les loyers exorbitants dans des logements insalubres, la vie chère surtout et puis l'exploitation. Une exploitation tant de la part des employeurs que de la part de certains éléments des forces de l'ordre. « J'ai été arrêté à un barrage sécuritaire. Après m'avoir transporté d'un poste de gendarmerie à un autre et m'avoir fouillé de manière humiliante, les agents de l'ordre en tenue civile m'ont contraint de payer 700 dollars pour m'éviter la prison », se souvient-il. « Ne disposant pas de cette somme, j'ai pu les convaincre de la régler à crédit. Chaque fin de mois, ils venaient chez moi à la maison pour encaisser leur dû. Dès que j'ai terminé de payer, j'ai déménagé », note Ahmed, précisant qu'« un compatriote a été, plusieurs fois de suite, la proie de cette bande ». Pourquoi n'a-t-il pas alors régularisé sa situation ? Ahmed explique qu'il ne pouvait pas se permettre de déposer une garantie de 1 000 dollars, de payer les amendes relatives à son entrée illégale et enfin les frais de permis de travail et de séjour, « une somme qui atteint facilement 3 200 dollars », dit-il.
« C'est d'ailleurs la raison pour laquelle de nombreux Soudanais sont sans papiers », observe-t-il. « Même si nous sommes nombreux à nous considérer plutôt comme réfugiés que migrants économiques et que nous sommes sérieux et travailleurs, nous demeurons de pauvres gens », conclut-il.

Une communauté solidaire
Ahmed n'est qu'un exemple parmi tant d'autres clandestins soudanais. Mais il y a aussi de belles histoires comme celle de Issa, célibataire, venu au Liban pour des raisons d'ordre économique et qui a eu la chance de voir sa situation régularisée par son employeur. Avec un salaire de 400 dollars par mois, ce technicien de surface peut aider sa famille restée au Soudan et mettre de l'argent de côté pour retourner ouvrir un commerce dans son pays.
Il y a des histoires plus tristes, comme celle de Soumaya dont le fils aîné est autiste et qui tient à rester au Liban parce qu'au Soudan, il n'existe pas d'école spécialisée pour lui. « Que ferais-je de lui là-bas ? Comment évoluera-t-il ? » demande-t-elle. Et pourtant, ses deux enfants ne mangent pas tous les jours à leur faim. « Je ne peux pas travailler, mon fils m'accapare beaucoup. Mon mari a beau accumuler les heures supplémentaires, la pression financière est trop forte, malgré les aides d'associations comme Caritas », observe-t-elle. Soumaya, qui est sans-papiers, ne peut aussi s'empêcher d'évoquer la pression exercée par les forces de l'ordre. « Un jour, j'ai été arrêtée devant l'école de mon fils. L'agent sécuritaire ne m'a laissée partir qu'après l'avoir vu sortir de l'école. Il a compris qu'il n'était pas comme les autres », dit-elle.
Il y a enfin l'histoire d'Angelina, mère de trois enfants, originaire du Sud, qui n'a même plus de passeport, car elle refuse d'avoir le moindre contact avec son ambassade à Beyrouth. Si les cartes de réfugiés délivrées par l'UNHCR ont évité la prison à cette femme et à son époux, une de leur compatriote par contre, mère de famille, est aujourd'hui emprisonnée pour présence illégale sur le territoire libanais. « Toute la communauté soudanaise s'occupe de sa fillette, raconte Angelina. Notre situation financière est pourtant précaire. » Travaillant comme femme de ménage et comme coiffeuse, fatiguée de se faire exploiter par des employeurs qui ne lui paient pas toujours son dû, Angelina estime qu'il est grand temps pour elle et sa famille de ne plus vivre dans l'illégalité. Elle attend que la situation s'améliore au Soudan pour rejoindre, avec ses enfants, son époux retourné au pays à la recherche d'un emploi. « Il a fait des études de psychologie, d'éducation et de théologie. Au moins là-bas, il ne travaillera pas dans des tâches besogneuses et aura un meilleur salaire que celui qu'il touchait ici », conclut-elle.

A.-M. H.
« Si c'était à refaire ? Je préférerais mourir dans mon pays plutôt que revivre ce que j'ai vécu ces dix dernières années, depuis que j'ai quitté le Soudan », lance Ahmed, résident illégal au Liban, ancien professeur d'anglais devenu aujourd'hui concierge. Ahmed raconte la fuite de...