Organisations « Company Program » De Abdel-Maoula CHAAR

Des milliers d’ONG travaillent au Liban. Il s’agit d’organisations à but non lucratif qui ont décidé d’amener leur contribution dans un secteur déterminé de la vie du pays. Il y a ainsi des ONG spécialisées dans les domaines politique, social, économique, environnemental, etc. L’éducation fait partie, évidemment, du domaine d’activités de ces organisations et l’une des activités intéressantes promues par l’une d’elles s’appelle « Company Program ». Le principe en est assez simple. L’ONG forme des groupes d’élèves dans des écoles et trouve des compagnies qui vont les héberger pour les aider à former leur propre firme. Les élèves vont déterminer le champ d’activité de leur compagnie, leur produit et leur structure. Ils vont émettre des actions, les vendre, utiliser l’argent pour réaliser leur produit et le monnayer avant de liquider leur compagnie et distribuer les dividendes. Cette activité s’étend sur plusieurs mois au cours desquels les compagnies-hôtes vont prêter un local et mettre à la disposition des élèves certains de leurs cadres pour encadrer chaque phase de l’activité. Pour les élèves, l’intérêt de l’opération est assez évident. Ils bénéficient d’une expérience directe du monde professionnel qui leur permet d’être mieux préparés lorsqu’ils abordent le monde du travail. Certains d’entre eux se découvrent même des talents d’entrepreneurs ! C’est là l’objectif de l’ONG. Le cas des compagnies-hôtes est un peu plus complexe à traiter. Leur participation au programme relève a priori de la philanthropie : elles dépensent apparemment en pure perte des ressources pour mettre le pied à l’étrier à un groupe d’adolescents. « Vision naïve ! », commentent les esprits chagrins qui précisent que les firmes utilisent en fait ce système pour repérer des talents et surtout pour se faire de la publicité. Mais voilà, les compagnies communiquent peu sur ce programme et il est probable que la plupart des lecteurs de L’Orient-Le Jour n’en ont jamais entendu parler. Comme activité marketing on peut faire mieux ! Les mêmes esprits chagrins répliquent à cela : « En fait, les firmes utilisent l’activité en interne pour renforcer leur culture et motiver leurs employés. » Après le marketing, les ressources humaines … Ce qui soulève une autre interrogation : Pourquoi cette activité motive-t-elle les employés et pourquoi certains cadres se portent-ils volontaires pour l’encadrer ? Pour mesurer l’importance de la question, il faut savoir que ces cadres travaillent dans des firmes où la compétition est de règle, qu’ils mordent sur leur temps de travail pour encadrer les jeunes et font ensuite des heures supplémentaires gratuites pour rattraper le « temps perdu ». De plus, leur participation ne leur amène aucun gain matériel direct. Quand on leur pose la question pour comprendre la situation, on entend des mots comme « aider », « servir » ou « rendre à la société ». Alors ? Tant que les entreprises sont envisagées comme des espèces de machines rationnelles guidées par une maximisation de leur profit matériel, la question reste sans réponse. Par contre, si l’on accepte de reconnaître que les firmes sont avant tout composées d’hommes et de femmes et que les affaires peuvent être morales, on finit par admettre qu’il peut y avoir une vie organisationnelle au-delà des incitations matérielles. Cette vision n’est pas neuve mais aujourd’hui elle n’est plus le fait de doux rêveurs. Les compagnies qui se déclarent socialement responsables se multiplient dans le monde et au Liban. « Company Program » a pour toutes les firmes qui y participent un goût de revenez-y. * Spécialiste en stratégie et théorie des organisations – Centre de recherche d’études et de développement (CRED) de l’ESA En coopération avec : ESA