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Actualités - OPINION

Chrétien d’Orient ou chrétien en Orient ?

La lecture de l’article intitulé « Être chrétien d’Orient » paru dans vos colonnes (voir L’Orient-Le Jour du samedi 18 octobre 2008) m’occasionne, peut-être à mon corps défendant, la longue réflexion qui va suivre. La signataire du commentaire en question est sans doute née chrétienne. Le choix du titre de son article et tous les premiers paragraphes le confirment sans équivoque. Sauf que, dans la suite de ses propos, nous nous retrouvons en train de nager en plein patriotisme « arabe » et que le désespoir de l’auteur devant la paresse de la « oumma », la négation de sa culture, son abandon, son fatalisme, son égoïsme politique et, pour tout dire, son échec total n’ont plus grand-chose à voir avec le « fait d’être chrétien ». Il est évident que, dans toute société humaine, et plus spécifiquement en démocratie, tout citoyen a bien le droit, et parfois le devoir, de manifester son choix politique et de le proclamer. Je ne suis d’ailleurs pas loin de croire (et de m’associer) à de tels vœux au regard d’une large nation arabe unifiée et heureuse. Selon, cependant, des critères bien définis que notre signataire s’est gardée d’évoquer. En réalité, il eut fallu écrire deux commentaires tout à fait distincts. Celui, d’une part, d’être un citoyen « arabe » déçu et, d’autre part, un « chrétien » désespéré. Car l’amalgame entre le spirituel et le politique est une spécificité que le christianisme n’a jamais adoptée. On peut effectivement regretter que le monde arabe ne se soit pas développé, comme le monde européen, vers une sorte d’unité culturelle, politique et économique, à même d’assurer à tous ses habitants un bien-être matériel. Cela est logique et souhaitable. Encore faut-il que ceux qui tiennent en main les destinées terrestres de la race arabe, que ceux qui se croient catapultés pour les infléchir aient l’intelligence et la générosité d’esprit suffisantes pour poser les jalons politiques et constitutionnels d’un vaste rassemblement d’ethnies diverses répondant à la même culture. De sorte que chacun soit fier d’appartenir à un « empire » culturellement soudé, économiquement prospère, et riche de surcroît du pluralisme de ses communautés, dans une démocratie consensuelle harmonisant toutes les valeurs spirituelles que l’évolution de la vie a pu inspirer au cours des siècles. Or, nous savons bien que telles ne sont pas les visées du seul parti que nous connaissions et qui clame depuis si longtemps le rassemblement sous sa houlette des masses du Moyen-Orient arabe. En effet, le Baas, puisqu’il faut l’appeler par son nom, bien qu’il se défende de prôner la suprématie d’une quelconque doctrine religieuse sur les autres, sait fort bien que le monde dans lequel il a vu le jour ne répondra jamais à ses nobles intentions. Parce qu’il a à faire avec des peuples islamisés, chez lesquels, dans leur écrasante majorité, politique et doctrine religieuse sont indissolublement liées. Pour ces peuples, en effet, c’est la doctrine religieuse (révélation divine oblige) qui doit « dicter » les lois régissant toute société humaine, fût-elle non arabe. C’est précisément ici que le bât blesse. Mais continuer à faire semblant de l’ignorer dans nos conversations comme dans la presse est une injure à l’intelligence humaine comme à la dignité de notre esprit qui en est le fleuron sacré. Aussi, évoquer les Nagib Azouri, les Fayçal (et, en sous-entendu automatique, la famille alaouite des Assad...), pour finir par le tandem Michel Aflak et Antoun Saadé est-il, à lui seul, une regrettable maladresse. Car ces derniers étaient bel et bien des « illuminés », peut-être bien intentionnés au départ, mais nullement poussés dans leur prise de position par une quelconque philosophie d’ouverture ou de charité chrétienne. Leurs convictions politiques, qu’ils étaient parfaitement en droit de choisir, sont à respecter sans doute. Mais non la façon de les réaliser, par la force, sur le terrain. Ne mêlons donc pas les genres. Et penchons-nous plutôt sur le sort de cette région du monde qui n’en finit pas de se chercher et qui stagne par la faute de sa soi-disant intelligentsia. Oui (mais ce ne sera pas pour demain), il nous faut unifier ces peuples de culture arabe. Oui, il nous faut un Moyen-Orient uni. Mais pas avant d’avoir réduit les deux obstacles principaux qui empêchent tout développement positif : l’intégrisme islamique et l’entêtement hégémonique de l’État d’Israël. Ainsi, et pour finir, quid de l’individu chrétien ? Ici (et cela à l’adresse de mes coreligionnaires libanais), que l’on me permette une première définition claire et succincte de ce que doit être le chrétien à la base. Être chrétien, c’est d’abord et surtout être « porteur » du message de Jésus de Nazareth et se comporter en tant que disciples du maître. Disons-le tout de suite : être celui qui a compris en profondeur que son « royaume n’est pas de ce monde ». Je sais que cette constatation est triste pour les jouisseurs. Mais telle est la grande vérité de la doctrine chrétienne. À prendre ou à laisser. Le chrétien, où qu’il soit sur la planète, n’a pas à œuvrer uniquement pour imposer les propres vues politiques. Il a d’abord à « témoigner », par sa conduite des affaires quotidiennes, par son attitude envers ses frères en humanité, par tous ses efforts, grands ou petits, que le « tout, dans une vie, n’est pas tant de réaliser de grandes choses, mais bien plutôt de faire » grandement « la moindre des choses »... Sa véritable fierté relève de la suprématie de l’esprit sur le monde matériel. Et du fait de concrétiser pareille philosophie en pratiquant l’amour envers et contre tout. Car, s’il y a Dieu, il ne peut être qu’amour. Alors, s’il fallait nous sentir affligés de quoi que ce soit, ce ne serait certes pas de voir s’amenuiser, comme peau de chagrin, la communauté chrétienne en Orient, mais de constater combien les membres de cette communauté se sont laissé séduire par le « veau d’or » de la société de consommation. En Orient comme en Occident d’ailleurs. Avant de chercher à plafonner au sommet d’un pouvoir, préoccupons-nous davantage de réfréner nos égoïsmes et de magnifier les valeurs que notre conscience, par nature, distille. Cela ne veut pas signifier qu’il faille démissionner au plan de la chose publique. Cela signifie qu’il faut suivre, dans la conduite de toute politique, les préceptes généraux du Nouveaux Testament. Rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. N’abdiquer en rien dans le domaine public, mais s’organiser selon la seule loi de l’amour du prochain. À commencer par la solidarité communautaire et le respect de son propre coreligionnaire. À ce propos, combien, parmi les chrétiens du Liban, ont-ils lu, ne serait-ce qu’une fois, l’Exhortation apostolique si laborieusement rédigée par Jean-Paul II ? « Aimez-vous les uns les autres », avait recommandé Celui qui a pris chair pour incarner l’infinie bonté de la puissance divine ? Qu’en avons-nous fait, nous, orgueilleux chrétiens du Liban ? Le chrétien du Moyen-Orient est minoritaire partout aujourd’hui. En Arabie, il n’a aucun statut. Dans les pays du Golfe, il n’est que touriste-commerçant. En Irak, il vient d’être éliminé. En Égypte, il vit en porte-à-faux. En Syrie, il est tout simplement muet. Il n’y a qu’au Liban où il peut encore (et pour combien de temps ?) garder la tête haute et se targuer de faire partie des classes gouvernantes. Mais à voir ces chrétiens libanais se déchiqueter comme ils le font, c’est là qu’il faut précisément parler de scandale, et se poser la question de leur appartenance et de leur culture. Être chrétien d’Orient ne veut plus rien dire de nos jours. Nous ne sommes plus que des « chrétiens en Orient ». À ce titre, chacun de nous est tenu, au nom même de sa dignité et de son honneur, de se comporter en « témoin du Christ ». C’est là et là seulement que réside la gloire. Peu importe le nombre des participants. Le témoignage seul est le « sel de la terre ». Louis INGEA Architecte d’intérieur Membre de Miles
La lecture de l’article intitulé « Être chrétien d’Orient » paru dans vos colonnes (voir L’Orient-Le Jour du samedi 18 octobre 2008) m’occasionne, peut-être à mon corps défendant, la longue réflexion qui va suivre.
La signataire du commentaire en question est sans doute née chrétienne. Le choix du titre de son article et tous les premiers paragraphes le confirment...