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Plus maronite que moi tu meurs ! Georges TYAN

J’ai parcouru quelques quotidiens : tous applaudissent à la réconciliation intermusulmane et s’interrogent, à juste titre : à quand les embrassades interchrétiennes ou plutôt, puisqu’il faut appeler les choses par leur nom, les étouffades intermaronites ? Que de mal n’a pas été fait au nom de la chrétienté dans notre pays, que de meurtres, de sang et d’incompréhension ont été mis sur le compte de ce pauvre saint Maron, patron de cette communauté qui n’en finit pas de s’entre-déchirer. Je me souviens du jour où Bachir Gemayel a fait son coup d’Éat de Safra et unifié bon gré mal gré sous une même bannière la majeure partie du paysage politique chrétien. Outre le fait qu’il se soit alors fait un prénom, Bachir, à travers son coup de force, avait donné aux camps d’en face matière à réflexion et suscité chez eux une trouille indescriptible qui s’est transformée en respect prononcé pour cette communauté qu’on avait l’intention d’embarquer en vrac sur des bateaux à destination de la Californie. Nostalgie quand tu nous tiens… Je me rappelle aussi que même blessé à mort par le meurtre de son fils et de sa famille, l’autre grande figure patriotique, le président Frangié, drapé dans une réelle dignité, m’avait confié suite à ses prises de position aux conventions de Lausanne et de Genève : « Je ne permettrais à personne d’être plus maronite que moi. » Que ce soit de Bachir ou du président Frangié, chacun dans son périmètre avait voulu, suivant son entendement, préserver les droits des maronites et, à une plus large échelle, ceux des chrétiens de ce pays, car par la force des choses, il est advenu que seuls les maronites ont la bougeotte, font de la résistance et s’entre-tuent à qui mieux mieux. On connaît la suite, les accords de Taëf, la mainmise syrienne sur le Liban, un président maronite aux pouvoirs réduits comme peau de chagrin, des lois électorales tronquées qui ont vu arriver par bus entiers toutes sortes de gens. Bien sûr, pour sauver la face et donner un semblant de démocratie, les décideurs ont admis que certains récalcitrants soient élus députés, mais quel poids avaient-ils ? Les maronites avaient été confinés au rôle de suiveurs. Vaille que vaille, la roue économique a recommencé à tourner. Solidere est née, le centre-ville, tel le Phénix, a ressurgi de ses cendres, tout allait vers le mieux, Madame la marquise, sauf que Taëf avait instauré un régime politique aux antipodes de la démocratie, copié sur l’École des fans où tout le monde gagne ce qu’on lui permet de gagner, mais devant se soumettre au diktat imposé sinon il ne perd que sa vie. L’indépendance, la liberté et la souveraineté étant des mots inexistants dans le nouveau lexique, toute attitude contraire à ces principes est sévèrement réprimée. Puis on a appuyé sur un bouton, le président Hariri a été sauvagement assassiné pour lui faire payer ses velléités d’indépendance, le ras-le-bol est sorti dans la rue et, comme par magie, les Syriens ont quitté le Liban. Encore une fois, on connaît la suite, l’indépendance demeure bafouée, la liberté reste tributaire de l’appartenance communautaire (souvenez-vous du malheureux épisode de Basmat Watan) et la souveraineté un slogan creux quand on sait les sacrifices que notre armée a consentis à Nahr el-Bared, les lignes rouges qui lui sont tracées et son manque flagrant d’équipement qui dure depuis des décennies. Entre-temps, il y a eu des débordements de partout, les sunnites et les chiites en sont venus aux mains et aux armes, pour une fois le sang à coulé pour de vrai entre eux, du nord à la Békaa, la haine communautaire dans toute son abjection a refait son apparition, elle a failli contaminer le pays entier n’était-ce la peur du saut dans l’inconnu, mais plus encore l’approche des législatives qui risquent d’exacerber ces clivages et finir on ne sait où. Alors, des embrassades, en veux-tu, en voilà. Et les maronites dans tout cela ? Vont-ils chanter au même diapason, s’étreindre pour mieux s’étouffer, ou faire une paix véritable, celle des braves ? Demander pardon, c’est bon, mais encore faut-il réciter l’acte de contrition et spécifier à qui et pourquoi. Se réconcilier pour la galerie, l’espace d’une élection, c’est très joli, mais faire un long chemin ensemble est plus ardu et demande beaucoup d’abnégation, de pouvoir de résistance aux chants des sirènes de la discorde qui sont en terrain fertile chez nous. Il est malheureux d’observer le déchirement perpétuel de cette communauté, où chacun veut être le premier, sinon l’unique représentant ; il est dommage d’assister impuissant à cette autodestruction, plus encore à ce suicide collectif dont nous subissons malgré nous les conséquences néfastes et les répercussions négatives sur le climat politique, social et économique du pays. Le script final n’a pas été encore écrit, le rôle de cette communauté en particulier et des chrétiens en général n’a pas été défini avec précision pour l’instant, en dépit de leurs gesticulations et de la folie meurtrière qui, de temps en temps, s’empare d’eux. Ils sont condamnés à suivre. Ceux qui sont susceptibles de changer la donne ont pris un faux départ en brûlant les étapes, ils ont été sanctionnés par le meurtre. L’histoire, dit-on, est un éternel recommencement et si, un jour, de suiveurs, ON décidait qu’ils redeviendraient décideurs, plus d’humilité, d’amour et de pardon leur seraient nécessaires afin de retenir les leçons du passé et d’éviter les erreurs qui ont provoqué leur déchéance et surtout de tenir avec honneur ce rôle, de savoir le préserver et d’en transmettre intactes les valeurs, devoirs, obligations et responsabilités de génération en génération. Pour commencer, il faudrait qu’ils rentrent leurs plumes de paon et oublient ce leitmotiv hideux : plus maronite que moi tu meurs. Car, à ce train-là, les croque-morts seront rapidement au chômage. Georges TYAN Conseiller municipal de Beyrouth Article paru le vendredi 10 octobre 2008
J’ai parcouru quelques quotidiens : tous applaudissent à la réconciliation intermusulmane et s’interrogent, à juste titre : à quand les embrassades interchrétiennes ou plutôt, puisqu’il faut appeler les choses par leur nom, les étouffades intermaronites ?
Que de mal n’a pas été fait au nom de la chrétienté dans notre pays, que de meurtres, de sang et...