Des enjeux aussi lourds de conséquences pour une affaire de foulard à...
Actualités - OPINION
LE POINT Panne de système Christian MERVILLE
Par MERVILLE Christian, le 03 juillet 2008 à 00h00
Au sein du tout-puissant Conseil national de sécurité, il doit s’en trouver quelques-uns pour regretter les temps passés, à l’époque où un simple bruit de chenille d’un blindé suffisait à bouleverser l’ordre des choses. Depuis 1960, soit trente-sept ans après l’instauration de la république sous l’égide de Mustapha Kemal, il y eut ainsi quatre coups d’État, de violence inégale mais toujours opérés au nom du sacro-saint principe de la laïcité qui constitue l’élément majeur des textes fondateurs de la nation. Ces temps-ci, le pays est menacé par un nouveau putsch, judiciaire pourrait-on dire, qui, s’il devait réussir, bouleverserait radicalement l’ordre interne, mais aussi la conjoncture européenne et proche-orientale.
Des enjeux aussi lourds de conséquences pour une affaire de foulard à l’université ? S’il ne s’agissait que de cela…
La réalité est bien plus complexe. Les nuages annonciateurs d’une crise, aujourd’hui devenue inéluctable de l’avis des deux parties, avaient commencé à sérieusement s’assombrir lors des élections législatives de juillet 2007, quand l’AKP (Adalet ve Kalkinma Partisi) avait raflé 47 pour cent des voix, s’adjugeant du coup la présidence de la République et assurant le retour à la tête du gouvernement de Recep Tayyip Erdogan. Depuis, les rapports n’avaient cessé de se dégrader entre ceux qui se présentent comme les héritiers d’Atatürk et ceux qui tentent de se poser en défenseurs de la modernité. L’ennui avec cette dernière thèse, c’est que ses tenants, forts des résultats d’une économie florissante (doublement du PNB, stabilité de la monnaie nationale, amélioration des conditions de vie), se voient accusés de menacer la laïcité et de favoriser – en se protégeant derrière le rideau de la fameuse takiyye – le retour de la religion et de ses symboles, dont le port du voile à l’université.
Leur contre-attaque, les militaires du MGK (Milli Güvenlik Kurulu), conduits par le général Yasar Büyükanit, ont choisi cette fois de la déclencher « par la bande » : les onze membres de la Cour constitutionnelle doivent se prononcer au plus tôt sur une demande d’interdiction du parti au pouvoir, accusé par le procureur Abdurrahman Yalçinkaya, dans un virulent réquisitoire de 162 pages, d’« activités allant à l’encontre de la laïcité ». L’acte d’accusation note en outre que le parti, « tirant la leçon de la condamnation d’autres formations, a recours à la démocratie pour atteindre son objectif, qui est l’instauration de la charia ». Il reste qu’une dissolution de l’AKP signifierait aussi le bannissement de 71 de ses dirigeants, dont le Premier ministre lui-même et le chef de l’État Abdullah Gül, et le départ du gouvernement en place. Il est probable, dès lors, qu’une nouvelle consultation générale débouchera, tout comme en 2002 puis cinq ans plus tard, sur un nouveau succès de l’actuelle formation majoritaire, mais sous un nouveau nom. Entre-temps, on aurait eu droit peut-être à des protestations populaires violentes, à une irruption de l’armée (encore une fois) sur la scène politique, à une récession économique marquée, enfin à un retard dans le processus d’adhésion à l’Union européenne.
À juste raison, le commissaire européen en charge de l’Élargissement, le Finlandais Olli Rehn, s’étonne : « Dans une démocratie, les sujets politiques sont du ressort du Parlement, qui en débat avant de se prononcer, et ne relève pas d’une instance judiciaire. » Tardif rappel des règles élémentaires de la vie publique à l’adresse d’une nation où, depuis 1963, vingt-quatre groupements ont eu à subir les foudres de la justice, qui seront suivis, d’un jour à l’autre, d’un vingt-cinquième, le prokurde Parti de la société démocratique (DTP), soupçonné de prôner une forme de séparation ethnique.
Depuis le début de la semaine, on assiste en parallèle à un scénario qui, en des heures moins graves, prêterait à sourire. Vingt-et-une personnes viennent d’être arrêtées à Ankara, Trebzon, Antalya et Istanbul, dans le cadre d’une enquête sur Ergenekon, un mouvement ultranationaliste, et donc laïc, connu pour son hostilité à l’AKP. Parmi les personnalités emprisonnées figurent deux anciens généraux, des journalistes, des hommes d’affaires et des avocats de renom. L’État a aussitôt été accusé de chercher à intimider ses adversaires et hier, le général Ilker Basbug, chef de l’armée de terre, a entrepris de calmer le jeu en appelant toutes les parties à la prudence, en ces heures difficiles. Grave, la crise l’est, et sur le fond même de la vie publique turque plutôt que sur la forme. Il est évident que les partis ont mal vieilli, à l’ombre du kémalisme, et sont bien mal préparés à affronter les défis qui se posent à l’aube du XXIe siècle. Un compromis permettrait au pays de retrouver son souffle et de préparer dans la sérénité son entrée dans l’ère qui s’ouvre devant lui. L’étape 2008 est aussi importante que celle de 1923. On ne peut que souhaiter voir les uns et les autres le comprendre.
Au sein du tout-puissant Conseil national de sécurité, il doit s’en trouver quelques-uns pour regretter les temps passés, à l’époque où un simple bruit de chenille d’un blindé suffisait à bouleverser l’ordre des choses. Depuis 1960, soit trente-sept ans après l’instauration de la république sous l’égide de Mustapha Kemal, il y eut ainsi quatre coups d’État, de violence inégale mais toujours opérés au nom du sacro-saint principe de la laïcité qui constitue l’élément majeur des textes fondateurs de la nation. Ces temps-ci, le pays est menacé par un nouveau putsch, judiciaire pourrait-on dire, qui, s’il devait réussir, bouleverserait radicalement l’ordre interne, mais aussi la conjoncture européenne et proche-orientale.
Des enjeux aussi lourds de conséquences pour une affaire de foulard à...
Des enjeux aussi lourds de conséquences pour une affaire de foulard à...