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Actualités - OPINION

Après Doha Amine ISSA

Qui du gouvernement ou de l’opposition a pris l’initiative d’accélérer les événements au Liban lors de la semaine sanglante ? La majorité a-t-elle tendu un piège au Hezbollah ? Pour lui ôter sa légitimité de résistant, lui a-t-elle cédé Beyrouth – dont la défense militaire eut été dévastatrice pour les intérêts économiques concentrés dans la capitale – et résisté dans la Montagne, sur un terrain étranger aux combattants du Hezbollah, au prix de destructions acceptables ? Est-ce le Hezbollah qui prit l’initiative pour engranger des bénéfices politiques avant que le climat régional ne lui soit défavorable ? À la lecture des accords de Doha, quelle que soit l’identité de l’initiateur des violences, les deux parties sont sorties gagnantes. L’opposition en obtenant le droit de veto au sein du gouvernement à venir, et la majorité en brisant le tabou de l’évocation de la régularisation des armes du Hezbollah. Mais au-delà de cette constatation, que peut-on dire de cet accord ? D’abord, il confirme, ce que nous savons déjà, notre inaptitude à résoudre nos problèmes sans l’intervention d’une tierce partie. La commission chargée de formuler des propositions pour la formation du cabinet d’union nationale ne comprenait pas un seul Libanais ! C’est la personnalité du médiateur qui est ici remarquable. S’il est vrai que Damas, Téhéran et Riyad étaient présents dans les négociations, ils ne l’étaient pas physiquement, comme à Taëf et surtout au cours des deux ans de crise, ils ont démontré leur incapacité à la résoudre. L’émirat du Qatar a réussi là où tous les autres ont échoué parce que son émir a compris que l’unipolarité ou la bipolarité dans la gestion des affaires du monde sont des concepts qui n’ont plus cours. Depuis la chute du mur de Berlin, l’ordre mondial axé sur la rivalité des deux mondes capitaliste et communiste s’est effondré. Pendant la dernière décennie du XXe siècle, les États-Unis ont semblé pouvoir régner sans partage. Cette image s’est écroulée dramatiquement avec les tours jumelles de New York. Aujourd’hui, le pouvoir économique de l’Asie émergente, particulièrement la Chine et l’Inde, les fonds souverains qui se chiffrent en milliards de dollars que détiennent les États pétroliers de toute la planète, les acteurs financiers comme les fonds de pension et les réserves de change de la Chine, octroient à leurs détenteurs une capacité d’intervention sans précédent. Les grandes sociétés de diffusion d’informations par l’Internet ont également une force de persuasion qu’aucun État ne possède. Les groupes armés disséminés dans plusieurs pays, qu’ils soient de type terroriste ou de résistance à un envahisseur ou à l’oppression d’un gouvernement, ont acquis une telle autonomie qu’il devient très difficile de les annihiler selon les méthodes classiques. Les défis du XXIe siècle comme le changement climatique, la crise des matières premières et celle de l’énergie, sont d’une complexité telle qu’ils ne peuvent être résolus par un pays ou un groupe restreint de pays. Or, le Qatar aujourd’hui s’est engagé dans une politique où, tout en détenant d’immenses capitaux, il maintient des relations aussi bien avec Israël qu’avec l’Iran et la Syrie et abrite la plus grande base de l’armée américaine au Moyen-Orient. Son émir, au fait des défis techniques de notre époque, ouvre ses portes aux plus grandes universités occidentales et organise des forums internationaux traitant de tous les sujets dont dépendra l’avenir du monde. Débarrassé de toutes inhibitions idéologiques, de tout parti pris, il a pu librement approcher les divers belligérants locaux, régionaux ou internationaux sans craindre de quelconques répercussions négatives sur son propre avenir. Quant à la loi électorale, à ceux qui considèrent qu’elle renforce le communautarisme, elle ne le fait pas moins que tout autre loi, car au Liban ce n’est pas d’elle que dépendent les comportements électoraux. Une loi qui sanctionne le manquement à un règlement peut fonctionner dans n’importe quelle condition, du moment qu’il existe une force de coercition. Mais toutes les lois qui prétendent influencer le comportement civique et politique des citoyens, comme la loi électorale, sont vouées à l’échec si elles ne sont pas précédées par un travail des élites, politique, intellectuel et moral. Tant que les hommes politiques joueront sur la fibre confessionnelle, tant que les programmes éducatifs ne traiteront pas de façon réellement pédagogique la question de la citoyenneté, tant que les hommes de religion ne se consacreront pas exclusivement à l’adoration de Dieu et au salut des âmes perdues, aucune loi ne changera les habitudes de vote des Libanais. La loi qui prévalut pour les élections de 2005 était en principe moins sujette aux replis communautaires. Mais les hommes politiques qui s’adressèrent à leurs électeurs dans l’urgence excitèrent les peurs à caractère sectaire et le résultat fut un Parlement formé de partis confessionnels, ce qui contredit pour au moins le 14 Mars, le mouvement citoyen du même nom. Le tiers de blocage accordé à l’opposition est plus dangereux comme précédent, que par son utilisation par l’actuelle minorité. Maintenant que le tribunal international pour juger les assassins de Rafic Hariri est entre les mains de la communauté internationale et que Fouad Siniora n’a jamais eu l’intention de signer un traité de paix avec Israël, on se demande ce que peut en faire le 8 Mars. Bloquer la nomination de juges serait rapidement contourné par l’ONU, qui a démontré qu’il pouvait aller de l’avant même quand l’actuel cabinet était incapable, pendant les deux dernières années, de nommer un garde-champêtre. Le tiers de blocage n’est une nécessité que dans les pays où il y a une minorité qui craint de voir son identité dissoute. Or le Liban est une addition de minorités, et il s’est avéré au cours de son histoire qu’aucune communauté n’a pu durablement imposer sa vision du Liban au détriment des autres. Le seul effet qu’aura cette nouvelle règle, même si elle ne concerne qu’un nombre restreint de décisions, sera d’être une épée de Damoclès suspendue au-dessus de toute majorité parlementaire, qui ne peut être que multiconfessionnelle, et celle-ci devra pratiquer un marchandage perpétuel pour prendre des décisions. Ce n’est pas un esprit de consensus qui prévaudra, mais celui d’un bazar. Reste la question des armes de la Résistance, qui dorénavant, comme je l’indiquais plus haut, sera abordée sans valoir à son évocateur les adjectifs les plus infamants. Cette question revêt un aspect essentiel pour la confirmation de la souveraineté de l’État. On l’a suffisamment dit. Ici, je ne voudrais pas aborder les perspectives de la résolution de ce problème, ce qui exigerait des préalables trop longs. Il est par contre nécessaire de parer au plus urgent. Les derniers affrontements ont démontré que les Libanais avaient franchi un seuil psychologique qu’ils n’avaient pas osé dépasser depuis 1990, en renouant avec les pratiques miliciennes, envahissant les rues avec leurs armes. Or la passivité de l’armée, quelles qu’en soient les raisons, a permis l’amplification de cette transgression et elle est très dangereuse. Ni l’accord de Doha ni l’autorité des chefs politiques, y compris celle de Hassan Nasrallah, ne pourront ramener le mauvais génie dans sa boîte. Seule la menace de représailles en est capable, c’est-à-dire soit la victoire d’un camp sur l’autre, ce qui n’est pas souhaitable et est improbable, soit une intervention de l’armée. Or celle-ci, si elle ne s’est opposée aux miliciens à Beyrouth, n’a pas arrêté non plus les combattants loyalistes au Nord et dans la Békaa. Cette neutralité négative lui laisse une grande marge de manœuvre pour sévir, rapidement et avec force, là où il le faudra, si la décision politique de le faire est prise, ce qui n’est pas encore le cas. Sinon les hommes politiques devront repartir à Doha ou ailleurs, mais plusieurs milliers de morts plus loin. Article paru le mardi 27 mai 2008
Qui du gouvernement ou de l’opposition a pris l’initiative d’accélérer les événements au Liban lors de la semaine sanglante ? La majorité a-t-elle tendu un piège au Hezbollah ? Pour lui ôter sa légitimité de résistant, lui a-t-elle cédé Beyrouth – dont la défense militaire eut été dévastatrice pour les intérêts économiques concentrés dans la capitale – et résisté dans la Montagne, sur un terrain étranger aux combattants du Hezbollah, au prix de destructions acceptables ? Est-ce le Hezbollah qui prit l’initiative pour engranger des bénéfices politiques avant que le climat régional ne lui soit défavorable ?
À la lecture des accords de Doha, quelle que soit l’identité de l’initiateur des violences, les deux parties sont sorties gagnantes. L’opposition en obtenant le droit de veto au sein...