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Actualités - CHRONOLOGIE

DANSE - « À corps perdu » de Nada Kano au Masrah al-Madina (Hamra) Cérémonial de la douleur

Grave, tendu, angoissant, dur est le spectacle de la chorégraphe Nada Kano présenté sous le titre À corps perdu au Masrah al-Madina (Hamra). Double jeu et multiples intentions pour cette expression À corps perdu car il s’agit non seulement d’ivresse corporelle pour un sentiment fou ou exaltant, mais il fait allusion, sans nul doute aussi, à la perte physique d’un corps. Perte désespérante, révoltante, difficilement acceptable et infiniment douloureuse... Que l’on situe d’abord ce spectacle dans son triste et chaotique contexte?: la mort du jeune Charles Chikhani, à peine de retour au pays natal, dans une explosion à Sin el-Fil. Drame terrible que les Libanais ont subi pendant plus de trois décades et qui, brusquement, secoue et assombrit une famille, une patrie et surtout une personne proche du cœur du défunt… Et voilà mis sur le tapis de la danse contemporaine les thèmes de la fidélité à une terre ou les départs chavirants vers l’inconnu. Mais aussi le thème de l’amour et d’un couple à ses premiers balbutiements, soufflés avec fracas, par la violence d’une mort nullement invitée aux premiers festins d’une tendre approche humaine… À partir de cette mort soudaine, point noir et injuste, se déclenche le concept d’un spectacle dansé où la douleur, le deuil, le chagrin, la déroute et les destins marqués par les plus irréversibles des séparations ont des couleurs rougeoyantes, tranchantes, drues et sombres. Dans un décor dessinant une pente ornée de verdure et de fleurs, comme un chemin de calvaire aux stations imprévisibles avec des fossés trous béants, pour se terminer dans une draperie noire mortuaire, sept danseurs (Avedis Seropian, Kim Baraka, Léa Chikhani – sœur de Charles Chikhani –, Éliane Hachem, Mia Habis, Sara Karam et Maya Nasr) célèbrent, sur un ton incantatoire, équilibriste, funéraire et parfois mécanisé, un cérémonial de la douleur qui a toutes les allures d’un colérique et nerveux réquisitoire contre une société en mal d’existence… Sous les feux des projecteurs, d’un côté ce chemin qui symbolise une robe avec le jardin secret d’une femme qui a effleuré une grande passion et, de l’autre, la corde raide d’une potence, permanente menace de la grande Faucheuse… Entre ces deux frontières de la vie et de la mort, un ballet de valises, les pommes des tentations mortelles (ces funestes aller-retour d’une navette empoisonnée) et des personnages aux gestes de bacchanales, englués dans une délirante expression corporelle tordue par des ouragans invisibles. Pour cette répétitive gymnastique et cette acrobatie entêtée de la douleur, des partitions musicales (au fortissimo accentué) aux atmosphères diverses, allant de la musique moderne la plus audacieuse, la plus stridente aux rares coulées de piano charriant des images de liberté et d’évasion. Mêlant avec une emphase soutenue les accents grinçants des violons de Prokofiev au lamento d’une Prière pour personne, pour se ruer dans la musique électronique de Charbel Haber ou l’immortel et lumineux Quand on n’a que l’amour de Jacques Brel, la danse est ici, bien sûr, un art (un peu trop appuyé dans son esthétisme sans concessions pour des spectateurs agressés dans leur confort émotionnel) imitant la vie et ses impondérables, mais aussi sœur jumelle et tourmentée du désarroi et de la difficulté d’exister… Par-delà la volonté de dénoncer l’inacceptable et de s’entretenir des déboires d’un quotidien voué aux malheurs et aux séparations, il s’agit, avec À corps perdu, d’un vrai travail d’exorcisme, de libération. Un spectacle délibérément raide et brut, qui bouscule sans jamais se plier à ce qui est lénifiant… Edgar DAVIDIAN
Grave, tendu, angoissant, dur est le spectacle de la chorégraphe Nada Kano présenté sous le titre À corps perdu au Masrah al-Madina (Hamra). Double jeu et multiples intentions pour cette expression À corps perdu car il s’agit non seulement d’ivresse corporelle pour un sentiment fou ou exaltant, mais il fait allusion, sans nul doute aussi, à la perte physique d’un corps....