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Actualités - OPINION

Dies irae, dies illa… La colère de Dieu

Le «?dies irae?» de la liturgie latine des défunts préfigure de manière saisissante les larmes et les malheurs que déchaîneront les violences des fins dernières. Jour redoutable, jour du jugement, jour où rien ne restera caché mais où le grand livre sera ouvert pour le malheur des impies et la félicité des élus. Dieu des violences millénaristes Le dieu clément et miséricordieux est aussi un dieu des armées et de la force, qui terrasse ses ennemis. Les fins dernières ont toujours préoccupé les hommes, mais elles ont surtout obsédé les mouvements gnostiques. Ces derniers sont marqués par le désir fou de vouloir hâter, par la violence de leur activisme, l’imminence des fins dernières. Ce fut le cas des sectes des premiers siècles du christianisme, du Moyen Âge, des sectes musulmanes radicales, du marxisme et de bien d’autres courants. Depuis Eric Voegelin, nous savons combien notre modernité est marquée par le rêve du millénarisme gnostique enraciné dans le livre de l’Apocalypse mais aussi, et surtout, dans les élucubrations de l’abbé Joachim de Flore. En Orient, cette même utopie millénariste se retrouve dans certains mouvements chiites radicaux comme les Qarmates, les Shabaks, les Ahl ul-Haqq. Dans le chiisme persan, le millénarisme se retrouve surtout chez les héritiers des Kizilbashi et des Safawis, dont les lointains héritiers sont les tenants du «?vicariat du juriste-théologien?» ou «?wilayat al-fakih?». C’est l’orientation millénariste qui distingue le radicalisme chiite de son rival sunnite qui est essentiellement fondamentaliste (salafiste). Les journées de violences que Beyrouth vient de vivre resteront pour toujours celles où le seigneur des armes déversa sa colère sur une ville qui ose opposer une résistance timide aux justiciers de Dieu. L’erreur impardonnable de la classe politique libanaise, des géostratèges et autres politologues, a été de considérer le parti de Dieu comme un parti politique ordinaire qui, à sa manière, participe à la lutte légitime pour le pouvoir sur un territoire national donné. Parti de Dieu ou secte gnostique?? N’en déplaise aux commentateurs des talk-shows, le Hezbollah n’est pas un parti politique sticto sensu. La notion même de «?polis?» ou «?cité?» est absente de son lexique. Quant à l’essence «?du?» politique, à savoir la régulation des conflits, elle demeure un non-sens au sein d’une vision convaincue d’incarner la vérité gnostique quand elle ne signifie pas tout simplement l’exercice de l’hégémonie. On pourrait dire, à la manière de saint Augustin, que le parti de Dieu n’a rien à voir avec la cité des hommes et que son unique obsession est la cité de Dieu qu’il doit réaliser au nom de son élection divine, et ce en dépit et contre la volonté des hommes. Nous entrons de plain-pied dans l’immanentisme caractéristique de toutes les idéologies totalitaires. Tout ce qui touche aux moyens nécessaires à la réalisation de cette utopie eschatologique est, par définition, couvert par la sacralité du divin. Dieu ne plaisante pas avec la moindre atteinte à la sécurité de ses élus, de ses justes et de ses combattants. On nous avait avertis?: gare à celui qui osera porter atteinte à l’armement des combattants de Dieu, sa main sera coupée. Périlleuse naïveté de l’État de droit Le gouvernement libanais, qui persiste à croire au père Noël et à quelques balivernes comme la souveraineté nationale et les pouvoirs régaliens qui sont ceux de tout État, a cru pouvoir se mesurer à la volonté divine. Dans un sursaut de naïve témérité, il a osé prendre des mesures disciplinaires contre un subordonné de l’administration, à l’occasion d’une sombre affaire de caméra digne d’un scénario de barbouze. Ce gouvernement avait oublié que Dieu veille sur les siens, sur ses élus, ses troupes, ses affidés et leur arsenal. L’oracle du mouvement parut donc sur nos écrans afin de nous annoncer, d’un ton calme et dénué de toute émotion, que Dieu exécutera sa promesse, à savoir couper la main qui a osé toucher à la sacralité des outils de mort des élus du Bien. Dieu tint parole et Beyrouth fut livrée, par le seigneur des armes, aux anges de la mort. Cagoulés de noir, les justiciers de la colère divine se déchaînèrent contre les rebelles et contre tous les impies devant la face de Dieu afin de leur faire subir le juste châtiment. Les désolations futures de la guerre métaphysique Au-delà de l’inacceptable et de l’absurde, au-delà de l’ignominie criminelle de ces journées de mai, ce qui vient de se passer à Beyrouth est une répétition générale de ce qui se passera ailleurs. Qu’on se rassure, le Liban ne présente aucune spécificité en la matière. La vulgaire culture techno-financière contemporaine, qui accorde la primauté à l’économique sur «?le?» politique, finira par tuer dans l’homme toute perception de la chose publique et de la recherche du bien commun. Il n’y a presque plus de place pour toutes les instances de la médiation, pour les «?corps?» qui amortissent le choc des violences inouïes de notre psychisme. L’homme-divinisé et le Dieu-sécularisé sont désormais dans un face-à-face apocalyptique, celui de la guerre métaphysique?: Dieu ou l’homme. «?La mort de l’esprit est le prix du progrès?», c’est ce que Nietzsche avait compris, c’est ce qu’il avait pressenti au cœur du mystère de l’apocalypse occidentale en annonçant que Dieu avait été tué. Eric Voegelin pensait qu’une civilisation peut simultanément «?progresser et décliner, mais pas éternellement?». Ce processus ambigu «?atteint sa limite lorsqu’une secte activiste représentant la vérité gnostique organise la civilisation en un empire sous sa domination?». Le totalitarisme métaphysique, défini comme le gouvernement existentiel des activistes gnostiques, est la forme ultime de cette utopie meurtrière. C’est pourquoi le Hezbollah n’est ni un parti politique ordinaire, ni un mouvement de libération nationale classique, et encore moins un mouvement de résistance traditionnel. Il est, avant tout, un courant gnostique sectaire dont l’idéologie totalitaire se propose de hâter l’imminence d’un mythe?: les fins dernières. Les marxistes étaient porteurs d’un tel projet. L’erreur des Libanais est de persister à croire qu’on peut «?nationaliser?» une secte millénariste, qu’on pourrait libaniser le Hezbollah. Après les terribles journées de mai, journées de la colère de Dieu, le Hezbollah apparaît de plus en plus comme l’équivalent de l’ennemi intérieur. Hobbes disait que l’État moderne se construit sur les ruines de l’ennemi intérieur. Une telle perspective pourrait faire présager le pire. L’histoire ne connaît malheureusement pas beaucoup d’exemples où une secte millénariste aurait spontanément retrouvé le sens des réalités. Le gnosticisme, même auréolé des incontestables et formidables progrès de la société occidentale, est régressif. Il suppose des gens infantiles attendant du dehors des remèdes, des solutions, de bonnes interprétations de leurs maux avant qu’ils puissent eux-mêmes réfléchir à une issue quelconque. Il conçoit les individus comme uniquement désireux d’une vie programmée, ayant horreur de la réalité de leur existence. Mais, écrit Eric Voegelin, «?le gnosticisme ne peut vraiment éliminer ceux qui ne pensent pas comme lui, même par les guerres perpétuelles qui agitent nos sociétés?». Ce gnosticisme n’aura pas la victoire face à ceux qui n’ont pas abdiqué «?leur?» vérité. Pr Antoine COURBAN
Le «?dies irae?» de la liturgie latine des défunts préfigure de manière saisissante les larmes et les malheurs que déchaîneront les violences des fins dernières. Jour redoutable, jour du jugement, jour où rien ne restera caché mais où le grand livre sera ouvert pour le malheur des impies et la félicité des élus.

Dieu des violences millénaristes
Le dieu clément et...