Actualités - OPINION
LE POINT Quand meurt le King Christian MERVILLE
Par MERVILLE Christian, le 08 avril 2008 à 00h00
On a beaucoup pleuré le week-end dernier aux États-Unis en évoquant le souvenir d’un Juste mort il y a de cela quarante ans. Tout le monde ou presque y est allé de sa larme de circonstance, vraie ou feinte. Même Hillary Clinton, mais il faut lui reconnaître, elle, une extraordinaire capacité, depuis le début de cette campagne électorale, à activer sur commande ses glandes lacrymales. D’une côte à l’autre on a sacrifié, cette année encore, au rituel des hommages, chacun faisant assaut d’éloquence pour évoquer le legs de l’homme au rêve prophétique, noyé sous un déluge rhétorique en cette année électorale où toutes les exagérations sont de rigueur. Ce qui a fait dire à Al Sharpton, l’un des leaders du mouvement des droits civiques : « La question n’est pas de savoir qui va faire une apparition en passant ; la question est de savoir qui va accomplir ce pour quoi le Dr King se battait. »
Ah ! S’il pouvait être donné à Martin Luther King d’observer, du balcon de sa chambre du Lorraine Motel où une balle devait lui transpercer la gorge, l’état de son pays, à l’aube de ce troisième millénaire, celui de tant d’espoirs enterrés, sur les rives de l’Euphrate ou dans les contreforts de la Khyber Pass. Le révérend Jesse Jackson, un compagnon de la première heure, a évoqué, sans aller plus loin, les problèmes de l’emploi et de la délinquance. Que n’a-t-il été plus précis en citant des chiffres. Ceux-ci, entre autres : à chaque dollar empoché par un travailleur blanc répondent 57 cents gagnés par un Noir ; le revenu annuel dans un foyer afro-américain est de 30 000 dollars, soit 62 pour cent de celui d’un foyer blanc (selon une étude établie en 2003) ; le taux de chômage se situe à 10,8 pour cent parmi les Noirs, contre 5,1 pour cent dans le camp WASP, suivant les statistiques du mois de mars 2008. Des chiffres encore ? Onze pour cent des hommes de couleur âgés de 20 à 34 ans sont sous les verrous, contre 3 pour cent d’Hispaniques pour une population carcérale qui va en augmentant de façon cataclysmique. En effet, plus de 2,3 millions de personnes étaient emprisonnées à la fin de 2007 (1,5 million en Chine, pays de un milliard 300 000 habitants), alors que le nombre de personnes sous les verrous était de 300 000 en 1972, de 1 million en 1990, 2 millions en 2000. Dans l’enseignement, l’échec est proprement inquiétant : un tiers des élèves ne parviennent pas à dépasser le stade du high school (le taux atteint 50 pour cent dans les villes). Enfin, un tiers des enfants noirs naissent hors mariage.
Pourtant, nous a-t-on fait croire, MLK a laissé un testament qui permettait d’espérer un raccommodage social, placé sous le triptyque fraternité-égalité-justice. Le processus, forcément lent à se mettre en branle, a reçu un sérieux coup de frein sous le double mandat de George W. Bush, plus soucieux de servir la cause des bailleurs de fonds de son parti que celle de ses « fellow citizens ». Grippée huit ans durant – peut-être même un peu plus longtemps… –, la machine peut redémarrer, comme l’a laissé espérer Barack Obama dans son discours de Philadelphia, l’un des textes fondateurs de l’Amérique que l’on espère post-Grand Old Party. Lancé dans une allocution à l’origine destinée à lui donner l’occasion de se démarquer de son (faux) mentor, le pasteur Jeremiah Wright, le sénateur de l’Illinois a commencé par rappeler, à juste raison, les premiers mots du préambule de la Déclaration d’indépendance : « Nous, peuple des États-Unis, afin de créer une Union plus parfaite, d’établir la justice, d’assurer la sécurité interne et la défense commune, promouvoir le bien-être de tous et garantir la liberté pour nous-mêmes et pour nos descendants… » En 37 minutes, il a soutenu ensuite que l’œuvre ainsi entamée ne fut pas achevée, avant de reconnaître, un aveu qui lui fait honneur : « Je ne peux le (Wright) désavouer, pas plus que je ne peux renier ma communauté, ma grand-mère (blanche), ces gens qui font partie de l’Amérique, qui sont l’Amérique. »
Pour une profession de foi semblable, contre la ségrégation, contre la discrimination, un héros des droits civiques est tombé, qui avait obtenu – l’ironie de ce rapprochement… – le Nobel de la paix. Mais hier, Bill Clinton qualifiait de « conte de fée » l’opposition de l’adversaire de son épouse à la guerre d’Irak. Hier, une conseillère de celle-ci, l’ancienne candidate à la vice-présidence Geraldine Ferraro, voulait croire qu’Obama ne devait ses succès aux primaires qu’à la couleur de sa peau. Anxieux, un journaliste se posait la question, après avoir affiché sa préférence pour le descendant d’une famille kenyane : « Va-t-il connaître le sort de Robert Kennedy ? » Preuve que les vieux démons que l’on croyait avoir exorcisés il y a 221 ans sont toujours là. Eh oui, le problème, c’est que les diables, rendons-nous à l’évidence, ne meurent pas ; ils sont en latence, tout comme certains virus.
Le motel où Martin Luther King est tombé (chambre 306) est toujours là, transformé en musée national. Comme un symbole d’espoirs éternellement vivaces.
On a beaucoup pleuré le week-end dernier aux États-Unis en évoquant le souvenir d’un Juste mort il y a de cela quarante ans. Tout le monde ou presque y est allé de sa larme de circonstance, vraie ou feinte. Même Hillary Clinton, mais il faut lui reconnaître, elle, une extraordinaire capacité, depuis le début de cette campagne électorale, à activer sur commande ses glandes lacrymales. D’une côte à l’autre on a sacrifié, cette année encore, au rituel des hommages, chacun faisant assaut d’éloquence pour évoquer le legs de l’homme au rêve prophétique, noyé sous un déluge rhétorique en cette année électorale où toutes les exagérations sont de rigueur. Ce qui a fait dire à Al Sharpton, l’un des leaders du mouvement des droits civiques : « La question n’est pas de savoir qui va faire une apparition en...