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Actualités - OPINION

L’ÉDITORIAL de Issa GORAIEB Le vide dans le vide

On y allait insensiblement, au milieu d’un haineux échange d’accusations, d’invectives, de veto et d’exclusives, de bluffs et de contre-bluffs. On a fini par courir droit dessus, sous le regard effaré des médiateurs étrangers comme des citoyens, tout en protestant à qui mieux mieux de son attachement au dialogue, à l’entente, au compromis. L’impensable est arrivé, on y a sauté à pieds joints. Pour la première fois depuis qu’elle existe, la République se retrouve aujourd’hui (et jusqu’à quand ?) sans président. Du coup, et pour la première fois aussi depuis le régime d’autonomie concédé par les Ottomans, les chrétiens font figure d’absent dans les sphères les plus hautes de l’État libanais. Que c’en soit fini avec un régime qui, d’installation en reconduction – et jusque dans son interminable décomposition –, n’aura cessé d’incarner l’ère de la tutelle syrienne ne suffit guère hélas à enjoliver le tableau. Au peuple, en effet, aura été déniée même une fin de mandat sereine, sinon heureuse : c’est-à-dire une élection présidentielle tenue dans la normalité et suivie d’une courtoise passation des pouvoirs, le tout augurant d’une aube nouvelle. Jusqu’au bout – et on lui reconnaîtra au moins cette douteuse constance –, Émile Lahoud se sera montré fidèle à ses amitiés, affirmant dans son message d’adieu de mercredi qu’il partait la conscience tranquille. En revanche, quelle béate inconscience a-t-elle pu, dès le lendemain, porter cet homme claquemuré dans son palais bien gardé à reprocher aux députés de la majorité de se terrer dans leur hôtel par légitime crainte des attentats, d’inspiration bien connue, qui ont clairsemé leurs rangs ? Jusqu’au bout, de même, Lahoud aura entretenu un malsain suspense autour de la botte secrète – entre autres un gouvernement de militaires ou une squatterisation de Baabda – qu’il réservait à ses détracteurs du 14 Mars. C’est en définitive un pétard passablement mouillé qu’a largué, au moment de rentrer chez lui, le président quand il a confié à l’armée le soin de veiller à la sécurité publique sur tout le territoire. Pourquoi un pétard ? Parce que le président, bien que chef suprême des armées, n’a nulle autorité pour bricoler de la sorte un semblant d’état d’urgence, et encore moins pour placer les forces de police et de gendarmerie à la disposition de l’institution militaire ; le gouvernement ne s’est pas fait faute de le lui rappeler vertement, d’ailleurs. Et pourquoi mouillé, ce pétard ? Parce que l’armée, inquiète de l’actuel échauffement des esprits, n’a pas attendu les dernières instructions de Lahoud pour se déployer en force depuis quelques jours déjà : et cela avec le concours et l’entière coopération de ces mêmes forces de police et de gendarmerie que l’opposition prosyrienne tient pour loyales au seul gouvernement. Cette haute vigilance est on ne peut plus justifiée, tant la précarité politique peut être, ici, source d’accidents sécuritaires. À force d’avoir été triturée dans tous les sens – à commencer par cette inconcevable affaire de Parlement mis à pied par son propre président ! – et parce qu’une hérésie en entraîne inévitablement d’autres, c’est une Constitution à géométrie non plus seulement variable, mais en incessante mutilation, défiguration, que la nôtre. Au Liban, ce ne sont plus des mandats présidentiels qu’on reconduit, mais les délais légaux, extrêmement rigoureux pourtant, régissant ce scrutin vital. Et si l’on s’y résout, nous dit-on, c’est pour empêcher les uns ou les autres d’aller trop loin dans l’hérésie. Et puis l’échéance, qui en est à son cinquième report, attendra bien cette conférence d’Annapolis du 27 novembre censée relancer le processus de paix au Proche-Orient. Dans l’intervalle, les Libanais devront faire connaissance avec cette trouvaille qui a pour nom le vide organisé. Organisé, oui, comme il sied à un pays aussi notoirement épris d’ordre et de discipline que le nôtre. Après tout, on dit bien dérapage contrôlé... Issa GORAIEB
On y allait insensiblement, au milieu d’un haineux échange d’accusations, d’invectives, de veto et d’exclusives, de bluffs et de contre-bluffs. On a fini par courir droit dessus, sous le regard effaré des médiateurs étrangers comme des citoyens, tout en protestant à qui mieux mieux de son attachement au dialogue, à l’entente, au compromis. L’impensable est arrivé, on y a sauté...