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Actualités - OPINION

LE POINT Khyber impasse Christian MERVILLE

Une loi martiale, déguisée en état d’urgence, c’est tellement commode en période de crise. La mesure décrétée le week-end dernier a permis à Pervez Musharraf d’embastiller la moitié des membres de la Cour suprême, de faire arrêter près d’un millier d’opposants dont nombre d’avocats, de museler une presse par trop indocile, de raviver la flamme (comme s’il en avait besoin…) du radicalisme islamique. Plus que tout, elle aura inquiété l’Occident et embarrassé le protecteur américain, empêtré dans la fange de l’Euphrate, les rets du nucléaire iranien et le brutal réveil des talibans. Pas mal pour un stratège galonné qui joue ainsi sur un coup de dés son avenir immédiat. Celui aussi de son pays. L’argument du général-président servi à ses concitoyens est, croit-il, imparable : « L’inaction à ce stade est un suicide et je ne peux laisser ma patrie mourir ainsi. » Au nom de cette opération de sauvetage digne de la fable de « l’ours et l’amateur des jardins », le Pakistan est condamné à entrer pour une période indéterminée en hibernation politique, coincé entre la férule dictatoriale et la pesante emprise de ces étranges « étudiants en théologie » qui font déjà la loi, malgré la présence de quelque 80 000 hommes de troupe, dans la province du Waziristan et sa capitale Wana, se payant même le luxe de libérer 200 soldats, au nom d’une mansuétude qui devra bien avoir sa contrepartie. Confrontée à un acte d’autoritarisme sans précédent, l’Administration Bush donne l’impression de vouloir se voiler la face devant le dilemme. Lorsque Condoleezza Rice parle de réexaminer l’aide, essentiellement militaire, généreusement octroyée par Washington – 11 milliards de dollars en six ans –, elle s’empresse de préciser : « Nous gardons des intérêts antiterroristes et nous devons pouvoir rester en mesure de protéger les citoyens américains en continuant à lutter contre le terrorisme. » Or, on ne le sait que trop bien, à chaque fois que Washington s’est trouvé dans l’obligation de choisir entre sécurité et démocratie, il a opté pour le premier terme de l’alternative. Pour se retrouver Gros-Jean comme devant. Le Los Angeles Times cite l’étonnant aveu d’un haut responsable US qui affirme, anonyme : « Le problème, c’est que nous sommes engagés dans une guerre en Afghanistan dans laquelle Islamabad est notre partenaire. » Plutôt que l’apparent virage en douceur pris par le département d’État, il conviendrait de prendre au pied de la lettre les propos de Bryan Whitman, l’un des porte-parole du Pentagone, jugeant « malvenue » la déclaration du chef de l’État pakistanais, mais ajoutant : « L’étroite coopération (entre les deux parties) se poursuit. » Et cela même si le secrétaire à la Défense Robert Gates appelle hypocritement à une amélioration rapide des conditions politiques et claironne à qui veut l’entendre que les discussions bilatérales annuelles sur les questions stratégiques ont été suspendues. Conclusion pratique : les menaces de sanctions continueront de pleuvoir sur le régime en place, mais ne se concrétiseront pas. Deux éventualités se présentent aujourd’hui : le renversement du pouvoir en place par un groupe de généraux hostiles à Musharraf (ils sont plus nombreux qu’on ne le pense). Une telle possibilité ne se concrétisera que si l’état-major venait à être confronté à la menace d’un mouvement populaire qui irait grandissant, alimenté entre autres par les rescapés de l’assaut donné en juillet dernier contre les défenseurs de la Mosquée rouge. L’autre cas verrait l’opposition assurer la relève en descendant dans la rue comme elle commence à le faire. Mais, écartelée entre magistrats et avocats, partis politiques et rares rescapés des laminages passés, elle pourrait ne pas disposer du souffle nécessaire pour parvenir à ses fins. Cinquante ans se sont écoulés depuis l’irruption sur la scène locale du maréchal Ayoub Khan et de son éphémère protecteur – devenu sa victime –, le président Iskander Mirza. Par la suite, Yahia Khan, puis Zia ul-Haq ont connu des fortunes diverses avant de s’effacer devant la montée en puissance de Nawaz Sharif et de Benazir Bhutto, bientôt éclipsés par l’actuel maître du pays. Les trois derniers dirigeants militaires ont eu recours à leurs collègues pour se maintenir en place, avant d’être lâchés par eux. L’histoire étant souvent un éternel recommencement, on assiste à l’heure présente au même scénario, à la différence près que l’impasse, cette fois, ne peut déboucher que sur un net renforcement d’el-Qaëda, ou ce qui en tient lieu, et sur son rapprochement avec les ultras afghans, ce qui ne sert nullement les intérêts yankees. Dans l’un de ses derniers messages au monde, le chef de l’État lance à l’Amérique et aux alliés de celle-ci l’appel suivant : « S’il vous plaît, n’exigez pas de nous, vous qui avez des siècles d’avance dans ce domaine, le même respect des règles démocratiques, des droits de l’homme et des libertés publiques. » Précision inutile car, même sur les rives du Potomac, les chimères n’ont pas la vie dure.
Une loi martiale, déguisée en état d’urgence, c’est tellement commode en période de crise. La mesure décrétée le week-end dernier a permis à Pervez Musharraf d’embastiller la moitié des membres de la Cour suprême, de faire arrêter près d’un millier d’opposants dont nombre d’avocats, de museler une presse par trop indocile, de raviver la flamme (comme s’il en avait...