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Les victimes cachées de la guerre

Lui a perdu deux fils dans un attentat à la voiture piégée. Elle a vu son mari tué par un escadron de la mort. Tous deux sont déprimés, anxieux, et pleins de rage. Et ces âmes torturées sont les victimes cachées de la guerre en Irak. Leur sort est d’autant plus grave que ceux qui pourraient les aider, les psychiatres et les psychologues, ont fui, explique l’un de ceux qui ont choisi de rester dans un pays dont les structures médicales sont naufragées. Le Dr Chaalane al-Abboudi reçoit ses patients, de plus en plus nombreux, à l’hôpital Ibn-Rochd, dont il est le directeur, dans le quartier de Karrada, au centre de Bagdad. « Il y a un an, 14 spécialistes travaillaient avec moi. Aujourd’hui, je n’en ai plus que quatre », raconte à l’AFP le Dr Abboudi, dans son petit bureau qui ne désemplit pas. Malgré la diminution rapide de son équipe, il fait en sorte que tous ceux qui viennent le voir trouvent le réconfort dont ils ont besoin. « Nous avons entre 80 et 100 visites chaque jour », explique le médecin. « Quand ils viennent ici, ils touchent le fond du désespoir », commente-t-il. « Ils sont d’abord allés voir leurs chefs religieux, leurs directeurs de conscience ou parfois des charlatans. Ils viennent me voir en dernier recours. » Chaima Jabbar est l’une de ces désespérées. Elle s’est réveillée un matin d’hiver pour apprendre que son mari avait été abattu dans la rue. Depuis, elle pleure sans arrêt, ne dort plus, et se met souvent en colère. Pire pour une bonne musulmane, elle injurie Dieu sans se contrôler. Elle refuse d’accepter l’idée que son mari soit mort, malgré le spectacle terrible de son cadavre criblé de balles, affalé sur un trottoir du quartier chiite d’Ur, dans le nord-est de Bagdad. « J’ai cette image devant mes yeux en permanence. Je pense qu’il est encore vivant », explique cette enseignante de 24 ans, qui se couvre d’une abaya noire. « Je me surprends aussi à parler seule », avoue Chaima, qui éclate d’un rire plus hystérique que joyeux. « Mais elle va mieux depuis que nous l’avons traitée », assure le Dr Abboudi après le départ de la jeune femme, accompagnée de son père, et munie d’une nouvelle plaquette de médicaments. Par contre, le patient qui inquiète vraiment le psychiatre s’appelle Ghazi Alaibi, dont les deux fils ont péri dans deux attentats à la bombe en l’espace de quatre mois. « Il est suicidaire, nous devons le surveiller en permanence. Nous le gardons à l’hôpital. Il est déprimé et ne supporte pas les autres », explique le docteur. Avant l’invasion américaine de mars 2003 et l’explosion de violences confessionnelles qui a suivie, Ghazi Alaibi, 53 ans, avait déjà connu le malheur : il avait été prisonnier pendant 7 ans durant la guerre avec l’Iran. Mais rien ne l’avait préparé à la brutalité de ce qui allait suivre l’intervention américaine, dont le président George W. Bush avait promis qu’elle devait apporter paix et prospérité aux Irakiens. « Une voiture piégée a explosé juste devant mon épicerie en novembre 2005 », raconte-t-il, les yeux baignés de larmes. « Mon fils aîné qui s’occupait du magasin a été tué sur le coup. L’explosion a dévasté le négoce », dans le quartier chiite de Chaab, longtemps une cible des extrémistes sunnites. Quatre mois plus tard, un autre kamikaze s’est fait exploser de nouveau devant son magasin. « Un autre de mes fils a été tué par un éclat qui lui a ouvert la tête. » « Je ne peux pas croire qu’ils sont morts et chaque jour, je les vois comme s’ils étaient encore vivants », assure-t-il. Chaima Jabbar et Ghazi Alaibi ne sont que deux cas parmi une foule innombrable d’Irakiens affectés psychologiquement par la guerre. Pourtant, le docteur Abboudi, père d’une famille de 10 enfants, reste serein malgré les souffrances qui défilent dans son bureau. « Les Irakiens savent s’adapter et survivre », assure-t-il. « Ils ont survécu à la guerre avec l’Iran, à la première guerre du Golfe et à cette guerre. Nous nous adaptons rapidement. Sinon ce serait bien pire. » Bryan PEARSON (AFP)
Lui a perdu deux fils dans un attentat à la voiture piégée. Elle a vu son mari tué par un escadron de la mort. Tous deux sont déprimés, anxieux, et pleins de rage. Et ces âmes torturées sont les victimes cachées de la guerre en Irak.
Leur sort est d’autant plus grave que ceux qui pourraient les aider, les psychiatres et les psychologues, ont fui, explique l’un de ceux qui ont choisi...