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Actualités - OPINION

Impression Hémoglobine

Un genou écorché sur l’asphalte. D’abord rien. Puis trois gemmes ont percé sous la peau. Fascinante révélation de ma couleur intérieure. J’observais bouche bée le lent écoulement de trois fils rouge et or le long de ma jambe. Quand on est à la maternelle, la curiosité brûle davantage que la blessure. Ma deuxième expérience fut moins sereine. J’avais reçu un drôle de jouet. Un microscope avec de vraies lames. À l’époque, les fabricants de jouets n’étaient pas contraints aux normes de sécurité. On m’avait dit que cela servait aux médecins, pour voir l’invisible, et toute la vie qui grouille dans le sang. Je porte encore au pouce la cicatrice de la profonde entaille que je m’y creusai au nom de la science. Je n’avais besoin que d’une goutte, une lichette, juste pour savoir, en avoir le cœur net. Mais je me trouvai engloutie dans une débâcle vermeille qu’il me fut impossible de contenir. Effrayée à l’idée de me vider inexorablement, envahie d’un sentiment confus de culpabilité, brusquement consciente d’avoir enfreint un tabou, je tournai de l’œil, mais ce n’était que de peur. J’appris plus tard que la simple vue du sang vous a cet effet sur la majorité des gens. Au centième jour des combats de Nahr el-Bared, toutes les mouvances politiques font avec la « Direction de l’orientation », surenchère d’hommages aux soldats du Liban. La forme la plus populaire de cette campagne étant la banderole, rectangle démesuré de mauvais coton calligraphié fluo, tendu à ce que l’on peut, balcon ou poteau électrique, de part et d’autre des rues. « Le sang de nos soldats fertilise notre terre. » « Nos soldats dessinent de leur sang les contours de notre liberté. » « Le sang des soldats de l’armée libanaise est le gage de l’indépendance du Liban. » « Seul le sang des soldats trace nos lignes rouges. » Et l’on en passe. Plus il meurt de soldats, plus l’odeur du sang inspire nos dazibaoïstes. Qu’importe que leurs chefs-d’œuvre soient arrachés par les poids lourds, foulés du pneu par des automobilistes allumés. Qu’importe la longueur du texte qu’à une certaine vitesse il est impossible de lire. Ils persistent : « L’héroïsme de l’armée libanaise signe d’un sceau sanglant notre Constitution. » Il est vrai que la tragédie de Nahr el-Bared n’en finit pas de finir, emportant jour après jour son lot de héros sous des tempêtes de riz et de pétales de rose. Il est indéniable que nos soldats accomplissent admirablement leur devoir avec le peu de moyens dont ils disposent et la foi prodigieuse qui les anime. Mais je viens dans ces lignes m’insurger contre le vocabulaire sanguinolent de cette campagne nauséeuse. Non, la patrie n’est pas vampire, non, elle n’a pas besoin de sang pour fertiliser sa terre, encore moins pour arroser ses oliviers, ni sceller sa Constitution, ni tracer en rouge des lignes défendues. Le sang versé n’est pas intentionnel. Il est accidentel, malgré l’évidence même du danger. Le sang n’est ni encre pour signer des parchemins ni engrais pour une terre ingrate. Dans ces combats féroces, pour quoi, pour qui, dans l’héroïsme des jeunes militaires, il faudra saluer une idée plus haute que la mort : la dignité. La patrie n’a jamais réclamé ni sang ni larmes. La sueur lui suffit. Élevons nos cœurs et relevons nos manches. Fifi ABOU DIB
Un genou écorché sur l’asphalte. D’abord rien. Puis trois gemmes ont percé sous la peau. Fascinante révélation de ma couleur intérieure. J’observais bouche bée le lent écoulement de trois fils rouge et or le long de ma jambe. Quand on est à la maternelle, la curiosité brûle davantage que la blessure.
Ma deuxième expérience fut moins sereine. J’avais reçu un drôle de jouet....