Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Commentaire La fin du néoconservatisme ?

Par Stephen Eric BRONNER* Le néoconservatisme a rassemblé tous ceux qui, au sein de l’Administration Bush, étaient partisans d’une politique étrangère agressive, d’un budget militaire d’importance, du démantèlement de la protection sociale et d’un retour aux « valeurs traditionnelles » et qui méprisaient les institutions et le droit international. L’ère Bush s’achevant avec une popularité en chute libre et une résignation généralisée, le néoconservatisme arrive-t-il, lui aussi, en bout de course ? Le néoconservatisme a débuté sur une base différente de celle des autres formes de conservatisme. Les réformes pouvant devenir une part de « notre » héritage, les conservatismes traditionnels peuvent s’adapter au changement et même se voir attribuer le mérite de la négociation entre le passé et le futur. Par contre, les néoconservateurs ne se préoccupent pas de ce qu’Edmund Burke appelait les liens qui unissent « les morts, les vivants et ceux qui ne sont pas encore nés ». Ils sont révolutionnaires ou plutôt « contre-révolutionnaires » dans leur volonté de redessiner l’Amérique et le monde. D’une certaine manière, Irving Kristol, Norman Podhoretz et les autres porte-drapeaux du néoconservatisme peuvent encore se définir par le dogmatisme communiste qu’ils cherchaient à combattre durant leur jeunesse teintée de sympathie trotskiste. Leur action ne nécessite aucune justification compliquée : ils défendent les « valeurs américaines », tandis que leurs critiques fournissent une « justification » objective aux « ennemis de la liberté ». Jusqu’aux années 1960, les futurs néoconservateurs partageaient l’anticommunisme virulent des démocrates, acceptaient le mouvement des droits civiques et soutenaient l’État providence et le New Deal du président Roosevelt. De manière significative, en 2003, le néoconservateur influent Richard Perle a rappelé qu’il avait encore sa carte du Parti démocrate, par nostalgie pour Henry « Scoop » Jackson, l’ancien puissant sénateur qui incarnait ces engagements. Néanmoins, pour les néoconservateurs en devenir, les années 1960 ont engendré un « traumatisme » qui a transcendé l’humiliation d’une guerre perdue et la disgrâce de Richard Nixon. Ce qui paraissait dans les années 1950 comme une culture du contentement s’est transformé en une « culture de l’adversaire », selon l’expression de Podhoretz. De nouveaux mouvements sociaux paraissaient menacer tout « l’establishment ». Ils cherchaient à démystifier l’histoire, ils rejetaient les lieux communs servant à justifier la politique en faveur des intérêts de l’élite et voulaient que les institutions aient davantage à rendre des comptes. Il a pourtant fallu attendre que Ronald Reagan forge une alliance entre les deux factions traditionnellement opposées du conservatisme pour consolider les fondations politiques du néoconservatisme triomphant. La première faction comptait essentiellement les élites opposées à l’intervention de l’État dans le marché. Ses membres ne s’intéressaient guère aux vérités associées à la « communauté » ou aux « valeurs familiales ». Leurs meilleurs argumentaires intellectuels venaient de Milton Friedman, Friedrich von Hayek et Robert Nozick qui cherchaient à remettre en question les théories collectivistes de la société en général et le « socialisme » en particulier. L’autre faction était enracinée dans le populisme du mouvement « Know nothing » du XIXe siècle avec ses accès d’hystérie nationaliste, de défense des préjugés traditionnels et de ressentiment envers les élites intellectuelles et économiques. Néanmoins, ses membres n’étaient pas systématiquement opposés à une législation sociale au profit des travailleurs – surtout si elle privilégiait les travailleurs blancs – et certains parmi eux avaient même une image positive du New Deal. On ne peut donc réduire le néoconservatisme à la défense de l’économie de marché ou à un populisme de droite, puisque sa spécificité idéologique consiste en la fusion de points de vue contradictoires. La question était donc de parvenir à combiner le capitalisme dans l’intérêt des élites avec l’esprit de clocher des électeurs. L’image d’un « gouvernement gigantesque » et oppressif – se traduisant par des impôts écrasants –, associé à un nationalisme anticommuniste et à un racisme à peine voilé, se vendait bien sur le marché des valeurs politiques. Tout le monde comprenait qui étaient les « profiteurs » de l’aide sociale et à qui pensait Kristol dans son célèbre aphorisme selon lequel un néoconservateur est « un homme de gauche qui a été confronté à la réalité ». Mais avec l’effondrement du communisme, les deux factions néoconservatrices paraissaient à nouveau condamnées à s’opposer. La mondialisation économique risquait d’entraîner une réaction de la part des populistes à l’esprit de clocher, alors que l’ennemi extérieur – qui unissait l’ensemble du mouvement néoconservateur – avait disparu. Puis est venu le 11 septembre. Dès le début, les hauts responsables de l’époque Reagan ont été très circonspects quant à une réponse unilatérale. Il était évident pour beaucoup d’entre eux que le fondamentalisme islamique n’était pas comparable au communisme, et notamment en Irak, les responsables militaires voyaient le danger qu’il y avait à disperser les forces américaines. Mais ils n’ont guère été écoutés. Pour l’entreprise néoconservatrice, le 11 septembre a servi à créer un nouveau contexte permettant de lier la recherche d’une hégémonie américaine associée à un nationalisme intense sur le plan extérieur, avec une attaque encore plus intense contre le système de protection sociale sur le plan intérieur. Employant une forme grossière de « réalisme » prenant l’État comme unité de base de l’analyse politique, les néoconservateurs ont décrit el-Qaëda en termes d’ennemi familier (le fascisme ou le communisme) soutenu par des « États voyous » qu’il ne faut pas « apaiser ». D’où « l’axe du mal » et les « frappes préventives ». Ce nouvel « hyperréalisme » n’a pas grand-chose à voir avec l’ancien réalisme. Churchill et Roosevelt n’ont pas menti à la communauté internationale au sujet de la menace du fascisme, ils n’ont pas construit une « coalition des volontaires » complètement artificielle ni employé la violence sans avoir à se justifier : c’était la tactique de leurs ennemis totalitaires. Aujourd’hui, un réalisme intelligent appelle à reconnaître les difficultés à bâtir une démocratie : la méfiance à l’égard des valeurs occidentales générée par l’impérialisme, la puissance des institutions et des coutumes prémodernes et la fragilité du système étatique dans la plus grande partie du monde. Malheureusement, ce n’est pas seulement le réalisme authentique qui est en cause. Étant donné la tension intrinsèque entraînée par le soutien simultané des néoconservateurs à l’égard du capitalisme et des valeurs « traditionnelles », sa stratégie, perfectionnée depuis les années Reagan, a consisté à recréer des lignes de division : aujourd’hui comme hier, l’Occident est « menacé », ce qui amène à creuser une séparation émotionnelle très forte entre « nous » et « eux ». Cette stratégie ne va pas arrêter de séduire avec la fin de l’Administration Bush, car le néoconservatisme alimente des peurs profondément enracinées dans l’histoire américaine. Changer cela nécessite non seulement de remettre en question une nouvelle apparence idéologique, mais aussi de décider quelle politique reflète le meilleur de la tradition politique américaine. * Stephen Eric Bronner est professeur de sciences politiques à l’université Rutgers dans le New Jersey. Il est l’auteur d’un livre intitulé Peace Out of Reach : Middle Eastern Travels and the Search for Reconciliation. © Project Syndicate/Institute for Human Sciences, 2007. Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz.
Par Stephen Eric BRONNER*

Le néoconservatisme a rassemblé tous ceux qui, au sein de l’Administration Bush, étaient partisans d’une politique étrangère agressive, d’un budget militaire d’importance, du démantèlement de la protection sociale et d’un retour aux « valeurs traditionnelles » et qui méprisaient les institutions et le droit international. L’ère Bush s’achevant...